Psychologies magazine ou l’homophobie institutionnalisée
Je suis restée en arrêt. Au kiosque à journaux, qu’on appelle un dépanneur, au Québec. Devant la couverture de Psychologies magazine de ce mois-ci. Qui titre innocemment, tout en haut de sa couverture: « Débat: comment vont les enfants d’homos ». Ouais, débat. J’ai lu, relu, rerelu. Y’a des phrases qu’on ne veut pas croire, parce que sinon on pleurerait drette-là. Je rerererelisais, mais les larmes montaient quand même. La bêtise humaine, on ne gère pas. Les larmes non plus. J’ai même pas pu ouvrir la revue. J’suis allée prendre un café avant de m’écrouler, mais même à ça, le motton a pas passé.
Alors voilà, débattre de l’état des enfants d’homos. Ouais, laisser des psychologues et psychanalystes, ces personnes humaines et donc pas dénuées de préjugés, en débattre, du haut de leur chaire. Ils semblent même avoir oublié leur propre mise à jour mentale du DSM-machin, le répertoire des maladies psychologiques dans lequel l’homosexualité a longtemps figuré, et figure encore sous une forme ambigüe. Selon Rue89, « [l’homosexualité était] considérée comme une pathologie psychiatrique jusqu’en 1973 aux USA et jusqu’en 1992 en France ». Bref à voir le grabuge précédent la nouvelle loi en France et à voir les thérapies de guérison qui prolifèrent partout, ben… je dirais qu’en 2012 c’est encore mal vu, les LGBT, et leurs revendications. Le titre ne fait que me le confirmer (douloureusement)…
En débattre, des familles homoparentales et de leurs rejetons, c’est loin d’en faire un simple état des lieux, ce n’est pas faire une enquête qui elle, aurait pu être une simple marque de curiosité sans malice. En débattre, c’est tenter de départager le bien du mal, donc supposer qu’il puisse avoir du mal. Pourtant, cette situation n’est pas matière à débat. Les enfants d’homos sont des enfants, point. Et les homos sont des humains comme les autres. Et leurs couples sont légitimes et tout à fait sains. Vous en doutez?
En réalité, le seul fait de vouloir en débattre, car l’action même de vouloir débattre suppose une problématique, sous-tend l’idée d’une irrégularité, et trahit clairement l’homophobie implicite de la démarche. Qui oserait titrer, par exemple:
« Débat: les enfants des noirs se portent-ils bien? »
« Débat: les Sourds sont-ils à même d’avoir les compétences pour élever leurs enfants malgré la surdité? »
Bien qu’elles nous semblent excessives aujourd’hui, je suis persuadée que ces questions ont été posées au temps de la ségrégation raciale, lorsque les esclaves faisaient des pieds et des mains (!) pour obtenir la liberté qui leur revenait de droit. Je suis persuadée que la question se posait lorsque les sourds étaient appelés « deaf and dumb » (sourd et stupide). J’ose espérer que ce sont des questions d’une autre époque.
Or, nous sommes en 2012. Demander si les enfants des homos vont bien, c’est implicitement douter de la légitimité et de la santé de ces familles. Qui, souvent, ont ardemment désiré la venue de ces enfants et qui ont dû passer par un processus d’autant plus complexe que la plupart des familles hétérosexuelles. Mettons que quand t’es gai ou lesbienne, avoir un enfant par accident, ça arrive pas souvent.
En tant que lesbienne, en 2012, je ne peux lire ce genre de titre sans ressentir un profond malaise, qui me blesse de manière aigüe. Je ne peux croire qu’on remette en doute les compétences parentales des gais, des lesbiennes et des trans. Je ne peux croire qu’on considérerait que je serais une moins bonne mère que du temps où j’étais hétéro, peu importe que j’aie été heureuse ou pas avec mes partenaires. Le bonheur des parents n’influe-t-il pas les enfants, pourtant ? Je ne peux croire qu’on se permette de refuser aux homos des droits acquis pour les hétéros, alors que leurs familles existent, et que le manque de droits a des conséquences bien pires que « le simple fait d’être une famille homo ».
Des parents non reconnus qui se retrouvent sans droits de visite lors d’une séparation, donc des enfants qui sont enlevés à l’un de leurs parents, ça fait partie d’un plan égalitaire de filiation ? Car évidemment, en ne reconnaissant qu’un parent de même sexe sur l’acte de naissance de l’enfant, dans le cas de familles homoparentales donc, un parent se retrouve réellement en situation délicate, c’est-à-dire qu’il n’existe pas aux yeux de la loi. Par exemple, il ne pourra jamais être consulté si son enfant est malade, à l’hôpital, et qu’un accord parental est requis pour des soins, même si le parent « légal » est absent. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Peut-être que, habitant le Québec où les familles homoparentales sont reconnues me donne un point de vue différent sur cette résistance qu’a la France (et les USA, etc.) à reconnaître l’existence effective des familles LGBT. Les militants anti-mariage pour tous agissent comme si leurs seules familles existaient, comme si leur modèle parental était le seul légitime, le seul à être sain. En fait, ils disent craindre que la société se retrouve corrompue par les familles considérées « irrégulières » à leurs yeux. Or, ce qu’ils ignorent, fort probablement sciemment, c’est que ces familles existent.
Bref, bien que de ma situation québécoise, je n’aie pas à me faire de souci dans l’immédiat – mon esprit de militante féministe me convainc qu’aucun gain n’est totalement acquis -, la blessure, face à cet affront à propos de mon intégrité en tant qu’humaine et en tant que parente potentielle dans le cadre d’une famille homoparentale, demeure la même, la sidération aussi. Le sentiment de ridicule face à ce genre de résistance sociale et intellectuelle est amplifié, de par l’effet de distance entre les pays ; je n’y vois qu’un décalage inouï entre les deux conditions légales, pour deux pays pourtant « de même niveau ». Peu importe, ce titre honteux m’a tiré les larmes.
(Depuis que j’ai écrit cet article, il y a eu des manifestations contre le mariage pour tous en France, où des militantes FEMEN et la journaliste Caroline Fourest ont été agressées physiquement et verbalement par des manifestants. Je ne pouvais alors pas aller lire des journaux en ligne, tant cette violence m’apparaissait extrême, incroyable, et terrible.)
Bref, je crois que Psychologies magazine va beaucoup trop loin. Pareil comme lorsqu’ils ont titré, il y a 2 ou 3 ans, «Sexe: un peu de « violence » ne nuit pas». La montée des boucliers des féministes était tout à fait légitime. Eh bien cette fois-ci, notre révolte est encore une fois justifiée. Et je joins ma voix à celle de la communauté LGBT française, qui se bat contre l’obscurantisme.
Quant à la rédaction du magazine, j’espère qu’ils auront l’humilité de s’excuser. Mais j’en doute. Ils semblent complètement empoussiérés dans leur à-prioris.
Les homos sont des humains comme les autres. Ce qui les différencie des « normaux » (ah, ah!) c’est qu’ils sont à risque de vivre… de l’homophobie, c’est à dire de la violence et de la discrimination, qui ont directement un impact sur… leur santé psychologique, et in extenso, sur la santé psychologique de leur famille…
Bravo, Psychologies magazine. Ça s’appelle frapper dans le mille.
Par Marie-Andrée
Natalie G
Je n’ai pas lu l’article alors je ne pourrais pas dire s’il a été écrit dans le but de débattre de la légitimité ou non des parents gais. Par contre la question pourrait se poser dans le sens où ces familles sont victimes de préjugés, de discrimination et parfois de violence.
Il pourrait aussi être écrit dans le but de déconstruire les idées reçues générant ces problèmes. La même chose pourrait être écrite au sujet des enfants noirs. Et dans le fond, un article intitulé « Est-ce que les enfants de parents caucasiens de sexes opposés vivant en banlieue dont le père est professionnel et dont la mère est au foyer vont tous si bien que ça? » serait aussi très pertinent tant qu’à moi.
Par contre, si dans l’article on se questionne sur si le simple fait d’avoir deux parents de même sexe peut nuire au développement de l’enfant et explique comment « palier au manque que ça pourrait occasionner », là je suis d’accord que ça ne fait que renforcer les idées reçues sur ces familles.
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Marie-Andrée
Natalie, tu as raison, on parle d’articles qu’on n’a pas lus. Or, j’ai souvent lu dans Psychologies magazine des débats où on doutait de la légitimité de ces familles et de la santé des enfants. J’ai aussi lu ce genre de trucs dans plusieurs magazines français (oui je sais, j’ai d’excellentes lectures, superbes pour exacerber mon féminisme pourtant déjà présent, hein?). De là, je peux présumer du contenu. Ce que je dis, c’est que parler de « débat » au lieu d »enquête », déjà, ça en dit long, ça dit tout.
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Emilie D.
J’ai du mal avec Psychologie Magazine depuis que j’ai lu que le rapport au sexe des hommes et des femmes était fondamentalement différent, que les hommes avaient un rapport plus instinctif à l’acte sexuel, et les femmes un rapport plus cérébral. Je remets fortement en doute le fait que cette différence soit « fondamentale » donc innée. Et si elle est acquise et que des études le confirment, on sait qui renforce ces préjugés idiot. Bref !
Pour revenir au sujet de l’article, votre colère est évidemment légitime sur le fond. Sur la forme, je me souviens aussi avoir vu un titre du genre : « Débat : comment vont les enfants de divorcés ? » L’article montrait que les enfants de divorcés avait du mal à s’investir dans des relations de couple, entre autres choses. Pour autant, il ne voulait pas remettre en cause le droit des couples à divorcer (même s’il est quand même un brin culpabilisant…!).
Peut-être que dans ce cas précis, l’emploi du mot « débat » fait problème. Mais d’une façon générale, poser une question ne veut pas forcément dire remettre en cause le droit acquis. Et puis, si la réponse est « Ils vont bien », cela peut même bénéfique. 😉
Le problème, à mon sens, n’est pas tant le problème posé que la réponse apportée. Ce qui n’enlève rien à la légitimité de votre article, sur le fond des choses. 🙂
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Alexa Conradi
Moi non plus je n’ai pas lu l’article en question. Cependant, au moment des débats à l’Assemblée nationale du Québec sur la parentalité lesbienne, nous avons eu recours à un argument fort. La non-reconnaissance légale de la parentalité lesbienne créait une inégalité de droit pour les enfants issues d’union homosexuelle versus ceux d’une union hétérosexuelle. On ne garantissaient pas à nos enfants un accès à leurs parents en cas d’accident, en cas de divorce, etc. On notait ainsi que le droit était plus lent que l’évolution des formes de famille.
De plus, on notait au plan de la recherche sociologique que la santé mentale, l’identité de genre ou la sexualité des enfants issus de famille homoparentale ne différeraient pas ou peu des enfants de parents hétérosexuels. La différence se voyait dans la capacité de nos enfants de comprendre d’autres formes d’oppression que les autres.
Maintenant, à une échelle plus personnelle, je dirai que tout changement aux lois en France qui permettraient par exemple à deux femmes d’être reconnues légalement mères d’un même enfant doit être accompagné par de sérieuses campagnes publiques voire même des programmes d’éducation à l’égalité (non-sexiste, non-raciste et anti-hétéronormative) à l’école. Pourquoi? Parce que les préjugés lesbophobes/homophobes et la contrainte de se conformer à un genre bien défini crée des pressions énormes sur nos enfants. Ils et elles peuvent trouver cette pression difficile à vivre. Elles et ils doivent constamment décider à qui dire qui sont leurs parents. L’isolement de notre famille a été importante à des moments parce que le poids du regard de la société était lourd à porter pour des jeunes dont la place dans la société n’est pas acquise. L’adolescence peut être difficile, les préjugés en rajoutent sur le tas comme on dit. La société continue à exprimer beaucoup de colère envers celles qui transgressent les règles de la féminité et de la masculinité. Nos familles servent parfois de bouc-émissaires.
Enfin, c’est l’amour qui fait une famille. C’est ce qui est important.
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Jen
J’avais lu un article il y a plus de 20 ans dans un magazine dont je ne rappelle pas le nom où il était question de » les enfants de serial killers deviendront-ils des serial killers à leur tour ? « . Sous couvert de questionnement sociétal, ce journal laissait entendre que ces enfants présentaient plus de risque de devenir des serial killers que les autres enfants. Comme quoi, les années passent, la bêtise demeure.
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