Anglais parlé, un atout?
Quelques réflexions/questions sur le débat sur la prostitution/travail du sexe
La voiture file vers le sud, sur une autoroute française. À la radio, qui devient un simple bruit de fond après plusieurs heures sur la route, un titre attire mon attention. En vue de la Coupe du Monde de football (soccer) de 2014, une municipalité brésilienne aurait pris l’initiative d’offrir aux travailleuses du sexe de son territoire des cours d’anglais. Objectif avoué : mieux répondre aux demandes des clients et être en mesure de négocier avec eux dans la langue de Shakespeare.
La question des liens entre foot et prostitution ont aussi fait surface pendant les mois précédant les dernières Coupes du Monde, tant en 2010, en Afrique du Sud, qu’en 2006, en Allemagne. Les mêmes questions ont été soulevées en marge d’autres événements sportifs d’envergure. Sans y avoir trop réfléchi, a priori, je trouve peu inspirants ces immenses rassemblements à teneur fortement masculine, centrés sur le sport et le sexe. Je tente toutefois généralement de ne pas trop m’impliquer dans les débats sur la prostitution, faute d’avoir une opinion ferme sur la question.
En effet, le débat entre « abolitionnistes » et « pro travail du sexe » me met mal à l’aise. Comme militante, comme féministe, et surtout, comme femme ayant toujours eu un niveau de vie relativement confortable, je n’arrive pas à trancher. Qui suis-je pour prendre position sur cette question difficile ? Je trouve parfois l’approche de nombreuses militantes abolitionnistes infantilisante pour les femmes[1] qui vendent leur corps, qu’elles soient dans une situation complètement désespérée ou qu’elles le fassent par choix (si tant est que l’on peut faire le « choix » de vendre sa force de travail, comme travailleuse du sexe ou comme salariée d’un secteur plus traditionnel).
Pourtant, je suis sensible à plusieurs arguments abolitionnistes. Je me sens interpellée quand on me renvoie le fait que le pragmatisme de la tendance « travail du sexe » est loin de l’approche plus idéaliste/radicale que j’aurais tendance à adopter par rapport à d’autres questions politiques ou sociales. En effet, pourquoi ne pas rêver d’un monde sans rapports sexuels marchands, sans appropriation du corps des femmes par les hommes, du corps des personnes opprimées par leurs oppresseurs ? Mais à ce compte, est-ce que le syndicalisme tient forcément pour acquis le bien-fondé de l’exploitation salariale ? Ou tente-il simplement de prendre en compte son existence, ici et maintenant, et ses conséquences parfois désastreuses sur les travailleurs et travailleuses ?
L’enseignement de l’anglais destiné aux travailleuses du sexe, alors, peut-il être un projet émancipateur ou est-ce simplement une nouvelle étape dans l’instrumentalisation de femmes du sud aux désirs des hommes ?
Cette initiative, qu’un commentateur de France Info attribuait à la municipalité de Belo Horizonte dans le commentaire radio plutôt douteux qui a attiré mon attention part en fait d’une association régionale de travailleuses du sexe. C’est donc l’Association des prostituées de l’Etat du Minas Gerais (Aspromig), dont Belo Horizonte est la capitale, qui a mis sur pied ce programme de formation pour ses membres. Dans un commentaire publié par L’Express, la présidente de l’Aspromig précise que « cette initiative s’inscrit dans le cadre de la lutte des prostituées pour réglementer la profession.».
Je ne connais pas l’Aspromig. Et, faute de lire le portugais, je n’arrive pas à en apprendre plus sur cette association. Mais malgré mon inconfort initial en entendant parler de ces cours de langues conçus sur mesure pour plaire aux désirs de ces messieurs, je salue le travail de cette organisation.
Bien sur, à terme, je rêve d’un monde où personne n’aurait à vendre de services sexuels. D’une part parce qu’au fond de moi, je reste un peu sceptique face à l’argument selon lequel le travail du sexe est un travail comme un autre, surtout quand il est question de vendre des relations sexuelles complètes. D’autre part, parce que je veux croire qu’on arrivera un jour collectivement à sortir des rapports marchands qui régissent les moindres aspects de nos vies à l’heure actuelle.
Ceci étant dit, je crois qu’en attendant, il importe de travailler pour améliorer les conditions de vie des travailleuses du sexe. Il me semble qu’en aidant les femmes de Belo Horizonte à mieux comprendre leurs clients, les cours de langue offerts par l’Aspromig ne leur permettront pas seulement de mieux répondre aux désirs de ces derniers. Ils seront aussi un outil pour améliorer un tant soit peu leur sécurité, en saisissant mieux les propos de leurs clients, et pour négocier plus efficacement leur rémunération. À plus long terme, peut-être, il s’agira d’un apprentissage qui pourra leur servir à (re)prendre du contrôle sur leur vie professionnelle, puisque, comme le soutien l’Aspromig, « Aujourd’hui, n’importe quelle profession exige l’anglais » (Source).
Au final, peu importent les chemins que ces femmes emprunteront dans le futur ou les trajectoires de vie qui les ont menées au travail du sexe. Je suis convaincue qu’elles ont besoin de soutien, de support et de solidarité. Et il me semble qu’en se réunissant dans une association par et pour les travailleuses du sexe, ce sont ces femmes qui sont les mieux placées répondre à leurs propres besoins et aspirations.
Qu’en pensez-vous ?
Typhaine
[1] Évidemment, la question se pose aussi pour les hommes et les personnes trans qui participent au commerce du sexe. Je me limiterai toutefois ici à parler des femmes, puisque c’est d’elles qui sont les principales cibles des cours d’anglais préparatoire à la Coupe du Monde 2014.