Les femmes changent la lutte: au-delà du sexisme et des inégalités, le militantisme des femmes se conjugue au pluriel!
Par Marie-Eve Surprenant et Mylène Bigaouette
Bien que le sexisme, la division sexuelle du travail et les inégalités hommes-femmes dans la lutte étudiante constituent l’un des aspects centraux du livre Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois. (les éditions du remue-ménage, 2013), ils sont loin d’être les seuls sujets abordés. En effet, dès le début de ce projet, nous avons eu à cœur de démontrer d’abord et avant tout l’importance de la mobilisation des femmes dans ce mouvement social historique. Nous avons souhaité mettre en lumière la diversité des militantes, de leurs actions et des groupes dans lesquels elles se sont investies afin de s’assurer que leurs contributions au printemps érable ne soient pas relayées aux encadrés et notes de bas de page des futurs manuels d’histoire.
C’est ainsi que nous avons été heureuses de voir l’aspect du sexisme traité dans le journal Le Devoir du mercredi 20 novembre 2013 (Dérapages sexistes dans la lutte étudiante par Martine Delvaux). Bien que cela en ait surpris plusieurs, le sexisme persiste bel et bien dans les mouvements sociaux, notamment dans le mouvement étudiant, comme il persiste dans notre société. Nous ne pouvions passer cet élément sous silence puisqu’il a fait partie du vécu des militantes. Cela dit, nous trouvions important de rappeler que cette réalité n’est qu’un aspect de l’expérience des femmes pendant la grève et surtout, qu’elles ont su se démarquer malgré cette limite supplémentaire. Au-delà de l’adversité, les femmes se sont mobilisées et ont changé la lutte entre autres en remettant en question ces cadres et systèmes qui auraient voulu faire d’elles des militantes au rôle secondaire.
Afin de donner un aperçu plus global des sujets abordés dans l’ouvrage Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois. et ainsi permettre à toutes et tous d’en discuter en toute connaissance de cause, voici quelques extraits choisis de l’introduction et de la conclusion.
Introduction
La grève étudiante du printemps érable, vaste mouvement de contestation sans précédent, constitue un tournant historique pour la société québécoise. C’est non seulement une génération qui se soulève, mais une société qui se réveille. Une jeunesse en colère, appuyée par des milliers de femmes et d’hommes dans les rues, dans toutes les régions du Québec, revendiquant justice et liberté. Or, le Collectif Clio en a relevé maints exemples, l’histoire s’écrit encore et toujours au masculin. De la Conquête à la Révolution tranquille, on nous présente les grands hommes qui ont façonné le Québec, passant sous silence l’apport incontestable et indispensable des femmes à la société et au changement social. Il n’en demeure pas moins que de Jeanne Mance à Jeanne Reynolds, les femmes construisent le Québec. Les féministes ont toujours été à l’avant-scène du changement : il en va de leurs droits et de leur émancipation.
En juin 2012, fait sans précédent, les trois principales associations étudiantes avaient des femmes porte-parole à leur tête: Martine Desjardins à la FEUQ, Jeanne Reynolds et Camille Robert à la CLASSE et Éliane Laberge à la FECQ. Ces leaders étudiantes tenaient le fort au cœur d’une période survoltée, pourtant à quelques jours des élections, alors que le gouvernement menait une ultime tentative pour casser le mouvement étudiant, l’opinion des anciens porte-parole masculins n’a jamais été aussi sollicitée. En sommes-nous encore et toujours au culte du héros, à glorification de légendes masculines? Les chroniques et les livres parus depuis la grève nous rassurent peu à cet égard.
C’est pourquoi il nous a paru impératif d’inscrire les paroles et les actions des étudiantes et des femmes qui ont donné vie à cette grève et à cette mobilisation sociale, pour que leur contribution soit partie prenante de l’histoire. Ce livre est né du désir de donner une voix aux femmes et aux féministes, de montrer l’apport incontestable et indispensable des femmes au changement social et de donner du crédit à celles qui ont rendu cette contestation possible. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de témoigner de l’apport des femmes au printemps érable et d’enrichir notre mémoire collective.
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Cet ouvrage, Les femmes changent la lutte, recueille donc des témoignages, des poèmes, des analyses théoriques et critiques, des récits d’expérience et des discussions sur la grève et la mobilisation du printemps québécois. Toutes ces formes se côtoient reflétant cette mosaïque d’action et de multiplicité : celle d’être femme et féministe. Les contributions ont ainsi été réunies dans les trois sections suivantes.
Au cœur de la lutte : le mouvement étudiant de l’intérieur. Nous ne pouvions débuter cet ouvrage qu’en donnant d’abord et avant tout la parole à celles qui ont initié ce printemps de carrés rouges : les étudiantes, de tous horizons. Tout au long de la grève, on n’a eu de cesse de nous parler des « étudiants », cette masse supposément homogène selon les médias et le gouvernement. Mais qu’en est-il des étudiantes? Quelle place ont-elles prise dans la grève? Quelle place leur a-t-on laissée? Pourquoi n’a-t-on pas davantage parlé d’elles? Qu’elles aient accompli un travail de coulisse ou qu’elles aient été à l’avant-scène du mouvement, ces étudiantes posent toutes un regard critique sur nos façons de militer, posent des questions et amènent des pistes de réflexion fort pertinentes sur nos façons de soutenir les femmes qui sont au cœur de la lutte. Comment intégrer non seulement des principes féministes dans les organisations étudiantes, mais surtout comment mettre en œuvre ces orientations? Comment avoir à la fois une posture critique envers les femmes qui sont en situation de représentation politique et qui assurent un rôle public, tout en les alimentant de nos réflexions et en les soutenant? C’est ce dont témoignent les textes de cette section.
Répression et subversion. La grève est née d’une injustice. D’une opposition ferme et vigoureuse d’une partie significative de la population à une vision marchande de l’éducation. C’est aussi la révélation d’une fracture que vit ou ressent une partie de la population face à notre avenir collectif, qui s’avère de plus en plus dénué de sens. La grève a laissé des plaies béantes, dans notre chair et dans nos rêves. Elle marque pour plusieurs un bris de confiance irréversible envers ceux et celles qui nous gouvernent et envers le corps policier. L’année 2012 a atteint des sommets par l’ampleur et l’intensité de la répression et de la brutalité policière. Face à autant de répression, la subversion est un moyen de survie, un moyen de préserver l’espoir. Des femmes se sont tenues debout au cœur de la répression. Des femmes qui refusent de se taire et qui le refuseront toujours!
Lutte populaire : torrent de solidarités. La vaste mobilisation sociale de 2012 nous a permis de croire qu’un autre monde est possible, qu’il est en marche. Du mouvement Occupy, aux printemps arabe et érable, partout dans le monde des groupes populaires se soulèvent contre le déni de liberté, de démocratie et de justice. Une génération entière a fait l’apprentissage de la contestation et a ravivé la flamme et les rêves des générations précédentes. Rarement il y a eu autant de discussions politiques dans nos maisons et dans nos rues. Cette grève a réactualisé le militantisme, sous toutes ses formes. Des milliers d’étudiantes se sont mobilisées, mais aussi des travailleuses, des femmes en situation de pauvreté, des mères, des grands-mères, des familles entières. Nous avons pris la rue. Nous nous sommes mises en mouvement. Plus jamais nous ne nous arrêterons.
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Au cours de ce printemps unique, Nous avons vécu l’indignation, la colère, mais aussi la solidarité. Nous avons pris part au changement, comme nous le faisons toujours. Par le biais de cet ouvrage, nous prenons le temps de réfléchir sur les luttes menées en 2012 pour comprendre les dynamiques sociales, les forces répressives et conservatrices en marche. Question d’être mieux outillées pour les prochaines batailles
En réalisant cet ouvrage, nous avons eu la chance inouïe de faire de belles rencontres, de découvrir des femmes de tête et de cœur. Des femmes d’exception qui se battent pour leurs convictions et pour l’avènement d’une société plus juste et égalitaire. Des femmes à l’avant-plan et des femmes de l’ombre. Des militantes de tous horizons, de toutes allégeances féministes, mais revendiquant toutes l’abolition des rapports de pouvoir et l’égalité pour toutes. Des militantes de longue date, qui ont perdu le compte de toutes les manifestations auxquelles elles ont participé, aux « nouvelles » féministes qui ont découvert leur fibre militante et un mouvement transformateur à travers la grève.
Il nous apparaissait impératif de conserver ces paroles fortes et ces contributions de femmes engagées, pour garder vivant cet élan qui nous a transportées. Nous étions dehors, nous étions visibles. Célébrons nos victoires, nos solidarités, la diversité des formes de résistances, les créativités et les alliances fortes. Continuons de faire résonner nos voix.
Conclusion
Au printemps 2012, le mouvement étudiant a fait un cadeau inestimable au Québec. Il a insufflé la vie à un mouvement beaucoup plus large. Il a permis le réveil d’une population qui semblait endormie et enlisée dans sa routine quotidienne. Le mouvement étudiant a suscité une vague de solidarité comme on en a rarement vu dans le passé. Il a également permis l’émergence d’une nouvelle génération de féministes. Certaines se disaient déjà féministes et n’ont fait que réaffirmer leur adhésion à ce mouvement. D’autres, confrontées à l’expérience de la discrimination et de l’oppression, ont compris la nécessité de ce féminisme si souvent décrié.
Lorsqu’on se replonge dans ce printemps, on est en proie à des émotions contradictoires. D’un côté, la fierté d’avoir participé à un mouvement si grand et si pluriel. De l’autre, l’immense déception d’avoir vu de larges pans de la population tomber dans une analyse individualiste du conflit. D’un côté, l’émerveillement face à la rafraîchissante créativité démontrée par les militantes et les militants. De l’autre, un haut-le-cœur persistant face à la violence infligée quotidiennement aux étudiantes et étudiants. Bien que ce printemps ait été déclaré rouge, dans nos souvenirs il oscille généralement entre les multiples couleurs de la solidarité et la noirceur de la répression. Encore aujourd’hui, il est impossible de ne pas se demander comment une large partie de la société a pu adhérer au discours servi par le gouvernement néolibéral et ultracapitaliste alors au pouvoir. Comment a-t-elle pu accepter que sa jeunesse soit ainsi rudoyée et bâillonnée? Au-delà de toutes ces déceptions et de cette rage, ce qui reste plus que tout est l’espoir… L’espoir que tout ce mouvement n’était qu’un début et que cet immense torrent de solidarités déferlera à nouveau à la première occasion. Espoir que ces militantes et militants impliqués dans le mouvement étudiant deviendront des citoyennes et citoyens engagés dans leur communauté.
Comment les femmes ont-elles changé cette lutte? Comme à chaque rendez-vous de l’histoire… De manière aussi plurielle qu’elles peuvent l’être. Elles ont teinté le printemps érable de leurs couleurs, en étant à la fois impliquées au cœur du mouvement et à la fois invisibilisées par celui-ci. Cette position particulière les a amenées à remettre en question les structures traditionnelles et les façons de faire qui ne les incluent pas véritablement. Telles les suffragettes du début du XXe siècle, les étudiantes ont réclamé le droit d’être entendues et prises en considération dans les différents processus décisionnels. Elles ont affirmé la pertinence de leurs préoccupations et revendiqué que leurs voix aient la même valeur que celle de leurs confrères masculins. En repensant la lutte et en piétinant les stéréotypes, elles ont encore une fois fait la preuve que « nous sommes interminables ». Le mouvement féministe est plus actuel que jamais. Une nouvelle génération de féministes convaincues et militantes est en marche, et elles ne sont pas près d’arrêter de marcher!
Militantes féministes, mères et travailleuses à la Table de concertation de Laval en condition féminine, Marie-Eve Surprenant et Mylène Bigaouette ont entrepris cet ouvrage pour canaliser leur indignation. Conseillère municipale et sociologue de formation, Marie-Eve Surprenant a publié Jeunes couples en quête d’égalité (Sisyphe, 2009). Mylène Bigaouette a été pendant plusieurs années conseillère en matière d’égalité entre les sexes au Burkina Faso.
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Extraits de Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois. Surprenant, Marie-Eve et Bigaouette, Mylène. les éditions du remue-ménage, 2013, 330 pages.