Une troisième vague féministe au Québec
Le 8 mars dernier, je suis sortie complètement chamboulée de l’après-midi de réflexion intitulé «Féminisme(s): divisés ou diversifiés?» qui se voulait un moment de réflexion sur la multiplicité des féminismes et de leur place dans le quotidien. Désormais j’en étais sûre, il y avait bien une troisième vague féministe au Québec! Bon ok, je m’y attendais un peu : l’événement était organisé par des collectifs cyberféministes qui, selon les écrits sur la troisième vague, sont de nouveaux moyens de diffusion et d’engagement féministe. Par contre, de voir autant de ses manifestations en un même endroit, m’a agréablement surprise et rassurée.
La troisième vague, c’est quoi au juste? Eh bien, elle est née au début des années 80, associée à la génération Y et très en lien avec la média-culture, dont fait partie le cyberféminisme. En quelques mots, la troisième vague c’est de s’attarder à l’identité féministe, à la culture populaire, aux thématiques qui touchent le corps ainsi qu’à la valorisation d’une sexualité positive (pornographie féministe, travail du sexe). Dans les études féministes, on y voit une réappropriation des analyses «post» (postcoloniales et postmodernes), des études Queer, afro-américaines ainsi que des arts. On y ressent avec plus de vigueur la contrainte à l’hétéronormativité, le contrôle des sexualités et les problématiques du milieu LGBT.
Il faut également comprendre que les contextes (social, technologique, culturel, politique et économique) auxquels les féministes doivent s’adapter sont différents et créent de nouvelles revendications. À l’ère numérique, les technologies de l’information et de la communication sont grandement utilisées comme moyens de critique sociale. Les féministes qu’on associe à la troisième vague font donc une plus grande utilisation du cyberespace qui vient souvent de pair avec une subjectivité qui lui est propre. Se distançant des médias généralistes qui disent parler en leur nom, elles prennent elles-mêmes la parole et leur place lors de leur entrée sur la scène virtuelle, accordant plus d’importance aux individualités qu’aux pratiques nécessitant un «Nous». Loin d’être dépolitisées, les féministes qui la composent affirment leur engagement, non pas uniquement par des moyens de militance traditionnels, mais en repensant le militantisme à un micro-niveau, c’est-à-dire dans la lutte au quotidien. Par exemple, le blogue permet aux jeunes féministes de former des nouvelles solidarités, de partager des vécus ou tout simplement de s’exprimer sur des sujets qui les touchent. L’utilisation du «je» mène à la définition d’une identité propre, selon une perspective particulière, et un désir d’être prise en compte selon sa subjectivité. Plus question d’être amalgamé au mouvement féministe québécois mainstream (de deuxième vague)! Non! Plus question non plus de résumer le féminisme actuel comme un mouvement avec une seule ligne de pensée. Les féminismes québécois actuels sont bien pluriels, diversifiés et inclusifs. Ils regroupent une diversité d’identités qui décident de dialoguer ensemble et qui peuvent choisir de s’unir sous la bannière de la «troisième vague». Mais ne nous méprenons pas, la troisième vague ne se veut pas une non-reconnaissance des acquis des luttes passées, mais bien une continuation ou une rupture avec celles-ci. Sans l’obligation d’adopter les mêmes positions, courants de pensée ou méthodes de revendication, la troisième vague permet à de jeunes féministes de renouer avec le mouvement en s’identifiant avec ses nouveaux enjeux.
Selon moi, l’élément le plus significatif de la troisième vague, et que j’ai eu le privilège de voir se manifester samedi dernier, c’est la grande ouverture à la diversité. Une préoccupation manifeste quant aux différentes sources d’oppressions qui s’imposent aux femmes était de mise. Des notions, telle que l’intersectionnalité, furent soulevées et appliquées, permettant de ne plus voir l’oppression patriarcale comme étant la seule possible, ou en la plaçant en hiérarchie sur les autres.
À cet égard, je me dois de partager mes trois coups de cœur de la soirée :
Mon premier coup de cœur va à la participation d’Anna-Aude Caouette. Wow! Que dire, sinon qu’elle est merveilleuse? Ne représente-t-elle pas, à elle seule, les différentes manières dont les oppressions peuvent s’apposer à une femme? Se présentant comme femme, travailleuse du sexe, autochtone, venant d’un milieu défavorisé (ex-sans-abri), lesbienne et comme féministe, un seul mot m’est venu en tête : courage. Comme elle est forte cette femme, comme elle est brillante et comme on reste pendu à ses lèvres lorsqu’elle parle avec tant de conviction! Widia Larivière, en tant que femme autochtone du mouvement Idle no more, a également démontré une sacrée détermination en abordant la cause des femmes autochtones à la table ronde. Chapeau à toutes ces femmes qu’on écoute trop peu. Les avalanches d’applaudissements parlaient pourtant en leur faveur, comme quoi une plus grande ouverture est possible et nécessaire.
Mon deuxième coup de cœur va à la participation d’Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec, qui fut à mon avis fantastique en plusieurs sens. D’abord, pour avoir souligné le fait que la majorité des invitées étaient des femmes blanches. Triste constat, mais absolument nécessaire. Ensuite, pour avoir mentionné qu’elle s’inquiétait des rapports du féminisme avec l’État, puisqu’après 30 ans de néo-libéralisme les choses n’étaient plus les mêmes. Tsé, lorsque ça vient de la présidente de la FFQ… De plus, elle était visiblement ouverte et stimulée par cette salle remplie de jeunes féministes qui voyaient parfois les choses différemment de la majorité des membres de la fédération. Ça, ça donne de l’espoir quant à une conciliation entre les différentes générations de féministes au Québec. Pour avoir été aux États Généraux de l’action et de l’analyse féministes organisés par la FFQ, je dois avouer ne pas m’être reconnue dans cette horde de «baby-boomers»…
PS : Elle a dit avoir un faible pour l’anarchie. G.É.N.I.A.L.
Finalement, mon dernier coup de cœur appartient aux personnes qui ont pris la parole lors de la période de discussion. Je remercie du fond du cœur la jeune femme pratiquant le travail d’escorte, qui a pris le micro et qui s’est directement adressée à Alexa pour lui lancer son cri du cœur : la FFQ ne se positionne pas en faveur des travailleuses du sexe. Elle ne se positionne pas là-dessus tout court. Avec force, elle exprima ainsi son sentiment d’exclusion de la part des féministes à son égard. Elle nous dit qu’on ne prête pas oreille aux travailleuses du sexe (puisqu’elles seraient trop aliénées pour comprendre leur condition) mais surtout elle nous fit toutes comprendre qu’elle avait le plein pouvoir sur sa vie et qu’elle comptait bien le maintenir. Vous rendez-vous compte du courage qu’a eu cette participante de se lever, de dire ouvertement devant une «gang de féministes » qu’elle était escorte ET féministe? Sur la même lancée, une jeune fille portant le voile prit la parole en disant que sa plus grande oppression n’était pas le patriarcat, mais l’oppression qu’on lui faisait en tant que musulmane. Elle aussi se sentait exclue par le mouvement, par cette non-considération de l’entité de sa réalité, qui ne se résume pas seulement à être une femme. Un homme parla brièvement également au micro, car après tout…c’est ça la diversité! C’est ça la troisième vague!
Brisons le pronom «LE» féminisme, faisons le éclater pour parler de pluralité tout en acceptant de retirer les lunettes de l’idéologie patriarcale. Le mouvement féministe québécois s’est toujours voulu diversifié, et ce n’est pas le temps d’arrêter. De nouveaux débats s’offrent à nous, les féminismes se redessinent sans cesse et c’est ce qui fait la force du mouvement. Sans oublier les structures et les analyses macro, les individualités sont à prendre en compte. Les témoignages lors de la soirée on permit de voir la résistance au quotidien de plusieurs féministes, sans qu’elles aient besoin de sortir des universités érudites en théories féministes. Les expériences des femmes sont les seules qui peuvent parler en leur nom, elles sont uniques et, je l’espère, seront solidaires les unes des autres. Si je suis sortie bouleversée de cette table ronde, c’est parce qu’elle m’a donnée espoir. Espoir quant au fait que les Janettes sont loin d’être LES féministes du Québec. Elles ont fait leur temps, l’avenir appartient à ces jeunes femmes innovantes qui s’expriment sur les réseaux sociaux et sur les blogues, mais qui savent aussi sortir du monde virtuel et se réunir lorsqu’il le faut. J’ai confiance en la troisième vague féministe québécoise.
Par Véronica
Jessica
La troisième vague n’est pas forcément « pro-sexe » et « pro-travail du sexe ». Il serait bon de le faire remarquer et de ne pas reléguer tous les gens qui ne pensent pas comme vous dans la sphère des générations précédentes avec tout le mépris que vous semblez leur porter « elles ont fait leur temps » allez au placard les vieux…
Personnellement, j’ai tout juste 30 ans, j’évolue dans des sphères féministes jeunes (mon âge), qui sont pour la plupart aussi anti-spécistes, écolo, des théoriciennes de l’intersectionnalité et/ou du genre et elles sont aussi abolitionnistes.
C’est bien beau de célébrer la diversité, encore faudrait-il la refléter dans les points de vue et les opinions au lieu de faire comme si la sienne propre était hégémonique, car c’est loin d’être le cas.
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Daphne
Merci de le spécifier!
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MarieClaire
Je me posais justement la question, je voyais que la grande majorité des groupes féministes de la troisième vague étaient « pro-travail du sexe ». J’aimerais bien connaître un groupe qui est à la fois de troisième vague et abolitionniste.
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