« JE N’AI PAS VÉCU DES AGRESSIONS SEXISTES » #agressionnondénoncée
« Je n’ai pas vécu des agressions sexistes », a dit une femme lors d’une superbe conférence de la (toujours) éclairante anthropologue Isabelle Auclair, qui travaille depuis longtemps sur le continuum des violences de genre faites aux femmes. Ce commentaire, loin d’être anodin, venait d’être prononcé par une femme à peu près de mon âge, et il m’a mis tellement mal à l’aise que je me suis révoltée dans ma chaise.
Ça peut-tu être vrai? Elle n’a jamais vécu une situation d’agression sexiste dans sa vie? Ou on les a juste tellement intériorisées qu’on ne les voit même plus? Est-ce que je suis donc un peu paranoïaque? J’avais juste envie de proposer à toutes les femmes présentes dans la salle de se prononcer, de les inviter à lever les mains pour savoir si elles avaient vécu au moins une agression sexiste dans leur vie, ou plutôt d’inviter à toutes celles qui ne l’avaient pas vécu, ça aurait été plus facile, je pense.
Ces réflexions m’ont accompagnée durant les derniers jours et, inspirée par un article récemment publié sur le magazine féministe espagnol Pikara, je me suis mise à faire un exercice de récapitulation mental assez important pour que j’aie envie de le mettre sur papier: j’énumère quelques situations dans ma vie où je me suis sentie agressée juste du fait d’être une femme.
Vers l’âge de 11 ans, mes chums des filles et moi, on passait nos étés dans la piscine du quartier à se baigner, à jouer, à placoter et à profiter du moment. Un jour, on a remarqué un trou dans le mur et un mouvement bizarre. Quand on s’est approchées, on a découvert un vieux monsieur qui se branlait en nous regardant. Malgré nos cris et nos rires nerveux (il y a même une de mes amies qui a introduit un bâton par le trou), le monsieur a continué de se masturber.
Ce même été, dans cette même piscine, il y avait quelques garçons plus âgés qui m’ont touché les fesses à répétition quand je jouais au ballon dans l’eau.
À 12 ans, j’ai pris un taxi pour aller joindre mes parents quelque part. Le chauffeur du taxi, évidemment beaucoup plus âgé que moi, n’a pas arrêté une seule fois pendant la durée du parcours (qui m’a paru éternel) de me dire à quel point j’étais une belle fille et à quel point il aimerait arrêter le taxi et s’asseoir à côté de moi pour me dire des choses et pour toucher mes jambes sous ma jupe. Heureusement, il ne l’a pas fait. Mais une fois arrivée à destination, je suis descendue du taxi et mes jambes tremblaient encore. J’ai eu si peur que j’en ai fait des cauchemars pendant des mois. Mes parents regrettent encore aujourd’hui ne pas avoir pris le numéro de taxi pour porter une plainte. C’est à peu près à cet âge-là que j’ai pris conscience que mon corps de jeune fille, encore sans formes féminines, pouvait avoir un effet de désir sexuel chez les hommes, et j’ai eu peur.
À 12 ans encore, un été (toujours en été), j’ai eu des rapports sexuels avec une de mes amies pendant les vacances dans sa mansarde. Un jour, on s’est fait ridiculiser en public par son frère aîné, qui nous espionnait. Évidemment, ces (plaisantes) pratiques ont cessé illico et mon amie et moi nous sommes inexorablement éloignées.
Vers l’âge de 14 ans, j’ai remarqué qu’un homme se frottait sur moi dans un autobus public et qu’il avait quelque chose de très dur dans son pantalon. J’ai été terrorisée et suis descendue de l’autobus quelques arrêts avant ma destination. En plus, je me sentais vraiment coupable parce que je portais une mini-jupe (encore une jupe).
Pendant mon adolescence et le début de mon âge adulte, je ne pourrais pas compter les innombrables fois que des hommes de tout âge se permettaient de me dire des choses dans la rue, évaluant mon corps et à ma façon de m’habiller sans ma permission.
À 20 ans, j’ai eu des rapports sexuels avec un homme dans une discothèque dans une espèce de bureau, car il était l’un des propriétaires. Lors de notre rencontre, j’ai décidé d’arrêter et je lui ai dit que je ne voulais pas continuer. Il m’a alors dit qu’il était déjà trop tard et il a continué d’une façon plus violente. Quand il a eu fini et que je suis sortie de la discothèque, j’avais tellement honte et je me sentais tellement coupable et sale que je n’ai rien dit à mes amies.
À 22 ans, je me suis rendu compte que voyager par Europe avec mon sac à dos et pas beaucoup de sous avec une amie fille n’était pas si sécuritaire que ça. Il fallait faire vraiment attention pour prendre des trains et surtout pour choisir un endroit pour coucher. Une nuit, à Glasgow, on a tenté l’expérience de dormir avec nos sacs de couchage sur un banc, près de la gare de train, et tous les ivrognes de la ville sont venus nous rendre visite.
Quand j’avais 24 ans, j’ai travaillé dans un bureau d’avocats. J’étais obligée d’aller préparer du café pour mes patrons, car j’étais la seule femme. Pourtant, aucun de mes collègues masculins ne l’a jamais fait.
Après mes études à l’université, j’ai toujours vécu dans la précarité, avec des travaux sporadiques ici et là, rien de stable. Jusqu’à ce je que trouve mon dernier travail plus ou moins stable dans une entreprise multinationale en Espagne (mon pays d’origine). Les femmes gagnaient en moyenne moins d’argent pour le même travail que les collègues hommes et les augmentations de salaire étaient tout à fait arbitraires et destinées majoritairement à nos collègues masculins.
À 30 ans, quand je suis allée à Paris pour visiter la délégation du gouvernement du Québec, car notre dossier d’immigration était déjà très avancé, mon conjoint et moi on a couché dans notre caravane en camping, près du parc des bois de Coulogne. Le matin de notre rendez-vous à la délégation, on a pris un autobus près du camping. Quelques messieurs ont klaxonné fort quand ils passaient à côté de moi. Je ne comprenais vraiment rien. Ce n’est que plus tard que j’ai appris que dans ce parc il y a de la prostitution, et évidemment, le corps des prostituées c’est des corps publics à qui on peut klaxonner à volonté.
À 31 ans, lors d’une entrevue d’embauche pour un CLSC à Montréal, je me suis fait dire par l’intervieweur que j’étais très mignonne et très sympathique, mais que je n’avais pas l’expérience pour ce poste. J’ai quitté cet endroit humiliée, avec la sensation que je n’avais pas été évaluée pour mes compétences.
À cette époque-là, mon conjoint et moi avons acheté un condo. Lors de nos visites dans l’entreprise de construction, les vendeurs s’adressaient à mon chum pour les sujets de financement et par contre ils s’adressaient principalement à moi pour les sujets de décoration.
À 33 ans, j’ai vécu une autre sorte de violence. On a décidé de me pratiquer une césarienne sans quasiment me consulter parce que mes heures de travail (provoqué) ne portaient pas fruit et je ne dilatais pas assez vite à leurs yeux. Personne dans la salle d’opération ne m’a regardé dans les yeux. J’étais plutôt un morceau de viande, j’imagine. Une infirmière, aussi, à l’étage, a manipulé mon sein avec violence pour m’apprendre à allaiter mon bébé comme il faut. On a demandé à l’infirmière de ne plus jamais rentrer dans notre chambre. J’ai vécu plus ou moins les mêmes situations au même endroit, une année plus tard. Mais cette fois-ci j’étais moins dérangée pour l’affaire de l’allaitement, car j’étais déjà une « experte ».
Quelques mois plus tard, j’ai repris des études universitaires. J’ai eu la chance de vivre les moments d’effervescence de la grève étudiante (qui par la suite est devenue une contestation beaucoup plus large) où une partie du Québec se révoltait contre l’injustice d’une augmentation de frais de scolarité, qui en plus était sexiste, pendant que l’autre partie ridiculisait et infantilisait les revendications de ses jeunes en les traitant d' »enfants pourris ». À un moment donné j’ai quitté une manifestation écœurée de constater que c’était presque toujours les hommes qui prenaient la parole avant de commencer la marche, ignorant complètement à quel point cette augmentation inutile touchait les femmes étudiantes plus particulièrement, en nous invisibilisant encore une fois.
Pendant mes années d’études de maitrise, j’ai visité la piscine du PEPS sur le campus de l’Université Laval à Québec presque tous les jours. Cela me permettait de décrocher pendant une heure et parfois de débloquer certaines réflexions qui m’accompagnaient au cours de ces années. Normalement je ne prends pas le couloir rapide, mais un vendredi après-midi, je me suis permis d’utiliser un de ces couloirs où il y avait juste un jeune homme. J’ai reçu pendant 40 minutes plus de coups forts que dans toute ma vie. J’ai essayé, en vain, d’arrêter le jeune homme pour lui dire qu’on pouvait partager le même espace sans besoin d’être agressif. J’ai quitté les lieux complètement frustrée. Par contre, je l’ai rencontré la semaine suivante en faisant des push-ups en dehors de la piscine. J’ai réussi à demander des excuses, et malgré le fait que le mal était déjà fait, je me suis sentie satisfaite d’avoir revendiqué « mon espace ».
L’été dernier, à 38 ans, je me suis fait filmer sur un cellulaire par un homme lorsque je joggais aux abords de la rivière St-Charles à Québec. Stupéfiée, je me suis arrêtée et j’ai interpelé le jeune homme. Ma rage augmentait par moments. J’étais tellement hors de moi que l’homme s’est enfui en courant. Une jeune femme qui a regardé la scène m’a dit qu’elle s’était fait filmer par le même homme quelques jours auparavant.
Il y a quelques mois, lorsque je stationnais mon véhicule – plutôt grand – dans une place de stationnement – plutôt restreinte – dans une rue centrale de Québec, un homme s’est arrêté de l’autre côté de la rue pour observer cette opération, très bien réussite en passant. Quand je suis descendue du véhicule avec mes enfants, le monsieur, sans aucune honte, s’est mis à applaudir. Il m’a ensuite dit qu’il n’avait jamais vu une femme stationner de même, et même pas quelques hommes. Je lui ai répondu que je ne prenais pas ça comme un compliment. Je me demande s’il aurait eu le même comportement si c’était un homme qui stationnait dans une place trop serrée pour un gros véhicule.
Presque à chaque fois que je consulte les réseaux sociaux, ou des forums, et que je vois des commentaires sexistes et décide d’intervenir, je me fais traiter de tous les noms et on m’envoie souvent à la cuisine, le lieu qui me correspond du fait d’être une femme.
Et ça c’est juste quelques anecdotes dont je me souviens parmi des milliers. La plupart d’entre-elles je ne les ai pas décodé comme des violences quand je les ai vécues; parce que je ne me suis jamais sentie comme une victime jusqu’au moment où le poids des faits était trop évident. Peut-être parce que mes parents ne m’ont jamais fait sentir moins capable de rien parce que j’étais une fille, quand j’ai expérimenté la discrimination et les violences, j’ai été déconcertée. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce qu’est le patriarcat. Donc toi, sœur, tu dis que tu n’as jamais vécu des violences de genre, je m’excuse, mais j’ai mes réserves.
Et maintenant, dites-moi qu’on n’a pas besoin du féminisme pour un monde plus égalitaire, plus juste et libre d’agressions sexistes. Je vous mets au défi!
Je souhaite que vous éduquiez vos filles dans l’autoaffirmation. Ne parlons pas mal des « féminazies » pour que nos filles n’aient pas une « belle » collection d’anecdotes de ce genre à raconter à mon âge, 39 ans.
Signé: Lorena S. (une féminazie).
Peter Bu
Puis-je ajouter un très beau, et très dur texte que j’ai traduit du slovaque:
« Jeune vierge, je n’ai jamais été sacrifiée aux dieux.
Je n’ai jamais été torturée, jugée et brûlée comme sorcière.
Je n’ai jamais été ensevelie vivante avec mon mari.
Nouveau-née, je n’ai jamais été noyée dans la rivière Yang-c´-tiang.
A neuf ans, je n’ai jamais été circoncise par des vieilles femmes.
Je n’ai jamais été arrosée avec de l’acide, ni avec de l’essence et personne ne l’a allumée.
Personne ne m’a jamais obligée de porter un enfant issu d’un viol et de l’accoucher.
Je n’ai jamais saignée à mort suite à l’intervention d’une faiseuse d’anges.
On ne m’a jamais lapidée parce que j’ai fait l’amour avant le mariage. On ne m’a jamais obligée de vendre mon corps.
On ne m’a jamais coupé les doigts à cause d’ongles laqués.
On ne m’a jamais forcée à marcher couverte de la tête aux pieds.
Aucun homme ne m’a jamais battu au point d’être obligée de me nourrir avec une paille.
On ne m’a jamais interdit de travailler, de m’instruire, de parler en public, de participer aux élections et d’être élue.
Par chance aucune de ces horribles menaces ne s’est jamais réalisée.
Ne s’est jamais réalisée mais aurait pu.
Pour la seule et unique raison :
Je suis une femme. »
Ce texte sert de motto au site de Oľga Pietruchová, lauréate 2014 du Prix international Femme de courage décerné par le Département d’État américain, dirige au Ministère du travail, des affaires sociales et de la famille de la République slovaque le Département de l’égalité des genres et des chances.
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Elsa
Comme Luc Ferrandez au Déjeuner des hommes contre la violence faites aux femmes, https://webtv.coop/group/video/Dejeuner-des-hommes-pour-l039elimination-des-violences-envers-les-femmes/5e8805770db80c397fd686d21f0a4bb0/fef642b981208688ea78f30170c9ee16
qui dit qu’il n’a jamais vu de violence faite aux femmes dans son entourage, ah ah, très drôle, c’est sûr qu’en politique, il n’y a pas d’hommes qui monopolisent la parole et te regarde comme une femme quand tu ouvre la bouche, ah ah.
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1voluptuous
1fifty-six
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