Lancement: Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois… à l’université
Texte lu par Martine Delvaux, Valérie Lebrun et Laurence Pelletier au lancement du livre Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois… à l’université, le 23 avril 2015.
On tenait à lancer ce livre et on espérait qu’il y aurait du monde comme pour rejouer un peu la journée du 14 novembre dernier. Parce qu’on ne l’a pas oubliée, cette journée, et on ne l’oubliera pas. On n’a pas oublié les centaines de personnes assises partout où elles pouvaient s’asseoir dans la salle bondée, sous l’œil indulgent des placiers et gardiens de sécurité (oui, ils étaient sympas, ceux-là). On n’a pas oublié le silence attentif et attentionné, ni les commentaires engagés et généreux émis tout au long de la journée. On n’a pas oublié votre présence comme un front résistant contre les surdités et les petites perversités, les détournements mesquins des intentions et des mots, contre le refus d’entendre ce qu’on essayait vraiment de dire, nous, vous et cette immense rumeur, les voix de femmes qui s’étaient levées pendant l’automne.
Après, il y a eu l’après-coup. Le lendemain, on était encore sur un nuage, mais rapidement, le backlash est arrivé. Et on y est encore. C’est-à-dire qu’il faut continuer à résister. Car ce sont les mêmes qui, ce printemps, ont choisi le côté de l’autorité que ceux qui, l’automne dernier, refusaient d’entendre qu’il y avait peut-être un réel problème et qu’il fallait lever le voile sur les rapports entre professeurs et étudiantes, et sur le sexisme dans les couloirs de l’université. Qu’il fallait sortir du silence pour justement sortir de l’après-coup, des j’aurais dû, des j’ai raté ma chance, c’est allé trop vite, je n’ai pas su quoi dire, comment réagir. Que la force du groupe permette de sortir un peu de la honte et de la paralysie. Parce que même quand on ne dit rien, il faut savoir qu’on n’est pas seules.
Ce livre fait partie de l’après-coup, il est l’occasion de monter le volume et d’empêcher que le silence ne retombe. Maintenant et pour la suite des choses. Qu’on n’oublie pas, qu’on ne lâche rien, qu’on ne recule pas, et surtout, qu’on cesse de se taire.
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Dans l’après-coup du 14 novembre et des événements de l’automne, on nous a rappelé nos responsabilités et nos devoirs en tant que personne de droit dans la société de droit qui est la nôtre. C’était un argument – un reproche – de choix, contre cette crise qu’on venait de faire péter. Comme si la loi était sans faille, juste et équitable ; comme si les règles qu’elle organise et ordonne allaient et pouvaient servir chaque individu de manière neutre et objective. Or, il n’y a pas d’objectivité non située. Et force est de constater que nous ne sommes pas des filles de droit.
On l’a dit et redit avant, pendant et après le colloque: « Rien n’est simple dans ces histoires » de sexe, d’amour et de pouvoir à l’université. Pourtant, malgré les doutes, les hésitations… une chose pour nous a toujours été claire : créer un espace de parole pour et par les filles.
Cette nécessité, nous l’avons constaté, nous le constatons encore aujourd’hui, s’impose alors qu’on nous promet des lieux de dialogues et de soutien qui tardent et peinent à se mettre en place. D’où l’importance de construire nos propres dispositifs, de jouer les infidèles du discours convenu et des cadres officiels, de déjouer ce système qui nous fait défaut. Ainsi, ce livre se présente-t-il comme un espace de réflexion autre, et exclusif pour les filles ; comme la chambre d’échos où les voix des unes se font le relais des autres, pour que d’une fille à l’autre se passent et se filent les mots d’une histoire qui serait la leur.
Même si nous avons eu à justifier la non-mixité du colloque, quelque part sur une page Facebook, il n’était pas question d’en faire un plat. Il fallait que ce choix, comme celui de parler enfin des filles à l’université, mette en lumière la nécessité, l’évidence, l’incontournable du problème des relations de pouvoir, du sexisme et du harcèlement qui affectent d’une manière ou d’une autre nos amies, nos collègues et celles qui, devenues professeures, choisissent aujourd’hui d’être des alliées. Mettre de l’avant la nécessité d’écouter ce que les filles ont à dire ; et surtout refuser d’oublier de penser ces choses délicates et compliquées. Ne pas céder au cynisme de bon aloi ou encore à la paresse de se remettre en question, et entendre Marie-Hélène Constant nous rappeler « le nécessaire féminisme, la nécessaire alliance, la communauté de l’engagement », et ce que dit Martine-Emmanuelle Lapointe sur le courage de continuer à résister, pour repenser, de l’intérieur, nos communautés, « scraper son casting, refuser son rôle, aller à l’encontre des scénarios écrits d’avance ». Ou comme le disent Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette: « inventer un nouveau modèle relationnel prof-étudiant-e », réécrire le script, « travailler à mettre en place une complicité intellectuelle qui profite à tout le monde ».
D’où l’importance du geste de Catherine Leclerc qui a le courage de parler au nom même de ce qu’elle appelle sa complicité. Ou celui d’Eftihia Mihelakis qui montre l’université comme le lieu d’un rite de passage dont on ne sort pas identique mais à quel prix? Au prix de quel dialogue impossible? Interrompre le manège, mettre fin à leur petit jeu. Rire bien fort quand on nous dira encore que pour être une femme à l’université, il faut rester docile. Hurler encore plus fort quand on nous dira qu’il y a des avantages à être jeunes et jolies à l’université. Le prétexte de l’attirance, de la séduction, doublé de l’argument de l’âge majeur d’un regard, d’un sourire, d’un flirt, d’une relation satisfait ceux qui cherchent à banaliser la nécessité de nos mots et gestes féministes. La responsabilisation des unes sert bien la déresponsabilisation des autres. Mettre tout sur le dos des filles, pour qu’ils puissent s’en laver les mains…
Mais un risque demeure, quand on aborde ces questions là. Celui, comme l’écrit Kateri Lemmens, « de tout confondre, de tout uniformiser » et dès lors, oublier que la parole de la littérature est aussi parole de l’ivresse et de la démesure ». Nous avons donc voulu prendre aussi ce risque-là. Accéder à notre parole, à nos propres mots, et toujours le faire dans une langue qui aurait le goût de nos propres démesures. Pour ne pas baisser les armes. Pour continuer à être vigilantes, méfiantes devant les fictions qui écrivent et pensent même réécrire les rapports de domination, alors qu’on finit le plus souvent par reléguer les femmes savantes à la catégorie « des objets de désir, des objets à conquérir », comme le fait remarquer Anne-Martine Parent.
Et que font les femmes avec ces objets qu’on leur dit d’étudier? Elles sont forcées de s’identifier avec tout ce monde masculin, alors que l’inverse n’est pas vrai. Pour ne plus avoir à supporter l’effacement des filles, des femmes, du milieu universitaire et pour y situer leurs savoirs à elles, il nous revient de porter les mots et les voix de nos amies, de nos collègues, à la chaîne, en canon. Sexe, amour et pouvoir… Il n’a fallu que ces trois mots pour que Genevyève Delorme trouve son chemin entre les voix de Christine de Pizan, d’Olympe de Gouges, de Virginia Woolf et de Virginie Despentes. Trois mots pour dire, avec sa voix à elle, que non, bien sûr, « nous ne sommes pas seules. » Trois mots pour que Valérie Lefebvre-Faucher prenne le parti des filles qui ont un problème avec l’autorité.
L’autorité est une affaire de lieux, de portes et de couloirs. C’est une affaire de bureaux : ces « zone[s] minée[s] » comme l’explique Catherine Lavarenne, ces espaces « où se mêlent le travail et l’intimité. Lieu[x] ambigu[s] où il est possible de ne pas bien savoir sur quel pied danser… ». C’est une affaire de capital, économique et culturel. Camille Toffoli parle ainsi du sentiment d’imposture que contribue parfois à construire en nous, le milieu universitaire, comme s’il nous incitait à « imiter les gestes, les paroles, qui nous donneront le droit, la légitimité d’être là ». Être là. Dans ce milieu-là. Comme si la simple présence des filles et des femmes, leur présence objective, (leur présence objet), suffisait à faire de l’université un espace d’équité. Notre place dans les lieux de savoir, les lieux de pouvoir n’est jamais acquise.
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C’est pourquoi il faut continuer de créer, d’inventer des espaces. Ouvrir, forcer les portes de ce qu’on nous présente comme des sanctuaires. Voir grand. Construire cette cathédrale dont parle avec justesse Gabrielle Giasson-Dulude. Occuper les lieux, s’infiltrer partout, « chercher les ponts, les entrées ». Pour « trouver, » comme le dit Sandrine Galand, « la distance adéquate ». Une distance qui « permet la rencontre. Et grâce à laquelle, il y aura suffisamment de place entre nous pour la sollicitude, le respect, l’écoute ».
Car à qui appartient l’université? C’est à nous qu’appartient l’université! À nous les étudiantes, les chargées de cours, les professeures, les employées de soutien.
Qui a le pouvoir de changer l’université? C’est nous qui avons ce pouvoir! Nous, toutes celles qui marchons dans ses couloirs depuis tant d’années. Nous qui sommes assises à un pupitre ou à une table, dans une salle de classe, un comité ou un conseil d’administration. Nous qui sommes debout devant des étudiantes, des collègues ou une assemblée.
Et nous, nous sommes les filles.
Carrefoune
Intervention très intéressante de cette neurobiologiste.
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