Le Mirage : Portrait d’une crise au masculin
Ce texte est paru originalement sur Politique et Railleries.
***Cette analyse révèle des éléments de l’intrigue***
Les critiques du film sont nombreuses, mais quelque peu redondantes. On encense sa remise en question de la surconsommation dans une société néolibérale tout en questionnant le bonheur d’un homme d’une quarantaine d’années. Mais Le Mirage, c’est plus que ça. Le Mirage, c’est la mise en scène de la crise de la masculinité sous tous ses aspects.
La crise de la masculinité, c’est l’homme qui questionne sa place d’homme. C’est une réaction aux avancées induites par le mouvement des femmes au sein des différentes sphères : le couple, la cellule familiale, le milieu du travail ainsi que dans la société en général. La crise de la masculinité, c’est la souffrance des hommes, c’est leur difficulté à séduire les femmes et à faire face au manque de modèle masculin[1]
Ainsi, Patrick est un père de famille blasé par la monotonie qui a pris le dessus autant dans sa relation avec ses enfants qu’avec sa conjointe. En effet, les interactions positives avec ses enfants sont peu nombreuses. De plus, son couple bat de l’aile. La passion ne semble plus au rendez-vous, les relations sexuelles sont rares et peu enthousiastes et son désir pour d’autres femmes est plus présent. Aussi, sa conjointe ne travaille plus puisqu’elle vit un épuisement professionnel. Elle dépense énormément, son corps change et elle semble se complaire dans cette petite vie rangée et peu aventureuse.
Ça, c’est la version de Patrick. Celle du père et de l’homme pourvoyeur qui vit des difficultés financières. Et tout cela, il le vit comme un rejet, comme un désaveu à sa masculinité. Ainsi, il va tenter de la rattraper avant qu’elle ne lui file entre les doigts. Parce que, pourtant, n’est-il pas encore beau, fringant et plein de libido ? Ainsi, fantasmant depuis quelque temps sur Roxanne, la meilleure amie de sa conjointe, il tentera de la séduire. Il séduira aussi une de ses employées qui semble avoir environ la moitié de son âge.
Patrick blâme Isabelle, sa conjointe, de miner sa qualité de vie. Son envie de belles choses, d’une grande maison, de bébelles qui ne servent à rien, etc. De plus, son désir d’être belle coûte cher (coiffure, chirurgie, psychologue). Finalement, son burn-out est lourd à porter pour lui. Il lui reproche sa condition afin de justifier ses comportements déviants.
Parlons-en de ses comportements déviants. Tout d’abord, la relation de séduction qui s’est installée entre la jeune employée et Patrick aurait pu être saine (malgré les relations de pouvoir exercé par son âge et son statut de patron). Par contre, ce n’est pas le cas. La scène de la chambre d’hôtel était une scène de viol à proprement parler. Il ne faut pas se méprendre et croire que c’est la violence de la pénétration qui fait le viol, mais comprendre que c’est – aussi – bien l’absence de consentement ou même l’absence de recherche de consentement avant ladite pénétration. Ensuite, Patrick tente de séduire Roxanne et jusque-là, tout va bien. Or, lors d’une escapade en campagne, il tente de l’embrasser. Elle refuse. Il insiste. Elle lui demande d’arrêter. Trois fois. Il insiste. Elle le menace. Il quitte. Il la harcèle. «Excuse-moi». Il se victimise. Cette scène était plus évidente, plus claire. Mais si elle avait eu peur et qu’elle ne lui avait pas demandé trois fois d’arrêter, aurait-il été plus loin dans l’agression sexuelle qu’il venait tout de même de commettre?
La plupart des critiques occultent les interactions de Patrick avec sa jeune employée et Roxanne. Alors qu’il peut sembler normal qu’un homme (et une femme, soit dit en passant) veuille tenter de séduire de nouvelles personnes lorsque, dans le couple, la séduction se fait absente, il n’en est pas tout autant qu’un homme[2] agisse avec insistance, force et violence afin d’obtenir du plaisir sexuel.
Ce n’est pas la présentation d’une ou deux scènes d’agression sexuelle qui est problématique dans le film. C’est son traitement. En fait, c’est son absence de traitement. C’est son absence de critique, de remise en question. C’est la rédemption de Patrick à la fin du film. Enfin retiré de la société, à l’abri du jugement et des conséquences, il est en paix. Il est libéré de tous ses problèmes, puisque les ayant relayés à ses proches. Ça, c’est la version d’un homme en crise.
Et la version d’Isabelle? Celle de Roxanne et de la jeune employée? Celle des enfants? Ces versions-là, on ne les connaît pas. Parce que le film propose une posture masculiniste, celle de l’homme dans son malaise et basta pour le reste.
Aurélie Paquet
Étudiante et travailleuse
[1] Francis Dupuis-Déri, «Le discours de la « crise de la masculinité » comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe», Cahier du genre, Les antiféministes, vol. 52 no 1 (2012), p. 119 à 143
[2] Selon la Direction de la condition féministe de l’Ontario : «Dans 99 % des affaires d’agression sexuelle commises contre les femmes, l’auteur présumé est un homme», http://www.women.gov.on.ca/owd/docs/sexual_violence_fr.pdf [En ligne], Consulté le 8 août 2015.
La Petite Peste
Si le mouvement « néomasculinisme », et autres pensées de groupe saveur MRA, propose de désensibiliser, décriminaliser, déresponsabiliser le viol, je me demande à quel moment cela fait du sens dans la tête des gens. Remplacer le mot « viol » par tout autre crime, et vous verrez jusqu’à quel point ce genre de système de pensées est déshumanisant, et tout simplement horrible. Personne, ni même la liberté d’expression, n’a besoin d’endosser ces comportements criminels en société.
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Gwen
Chère Aurélie, explique-moi quelque chose. En quoi, regretter un acte, une parole ou autre, aussi négative soit-elle, et essayer de s’excuser est une victimisation?
Est-ce que je ne dois plus jamais m’excuser auprès des personnes à qui j’ai fait du tort sinon je me poserais en victime? Je trouve que c’est un drôle de raccourci…
Je suis d’accord que la vision des femmes n’est pas du tout traitée dans le film. Mais c’est l’histoire et le scénario qui est a été écrit sous cette forme. Le but d’un film « social » est de prendre un point de vue et de le creuser, comme dans la plupart des sciences humaines d’ailleurs… Le problème que tu soulèves ne serait pas plutôt que l’on manque de film à point de vue féminin? Personnellement, je ne m’attends pas à ce qu’un film écrit et réalisé par des hommes nous montre la facette féminine de l’intrigue (quand bien même, j’aurais peur du résultat 😉 ).
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chester denis
Je réagis à « souffrance des hommes ». Patrick Jean a souligné que l’expression était un leimotiv… des femmes, durant ses conférences. J’en ai fait un article sur mon blog.
Ici, on fait une définition de cette souffrance d’après l’article de F. Dupuy-Déri. Mais le film prend la souffrance au premier degré, justifiant un peu de tout, et surtout la priorité unilatérale à la libido masculine, toujours victime. Le dominant n’est jamais content quand la/le dominée/dominé ne joue pas le jeu de l’exploitation heureuse. Et il veut toujours plus.
Et il veut toujours le retour de l’ancien modèle, celui de la servitude silencieuse des femmes. Il ne fait rien pour construire un ‘nouveau modèle’ masculin (expression discutable, car c’est tout le système de la division en genres et en expériences divergentes et hiérarchisées qui demande une « révision du logiciel »).
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Elsa
Intéressant, j’assistais l’autre jour à une rencontre avec une personne qui avait tout quitté pour aller vivre dans les bois : »un jour j’ai laissé la grosse maison,la bagnole, ma femme et mes enfants », comme si ces derniers étaient juste des entraves. Et combien de femmes ont envie de tout quitter aussi?
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