Transmettre le nom de l’épouse à son enfant : un symbole et une chance

A la suite d’un article du Monde (1) sur la très faible proportion de couples qui choisissent de transmettre à leur(s) enfant(s) le nom de l’épouse plutôt que celui de l’époux, j’ai pu lire de nombreux commentaires plus ou moins réac’ et plus ou moins stupides remettant en cause l’existence hypothétique d’inégalités femme-homme ou faisant un merveilleux amalgame « hommes castrés par les féministes = futurs islamistes » ( ??).

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Ces commentaires m’ont, vous vous en doutez bien, passablement énervée par leur dangereuse bêtise, et j’ai éprouvé alors le besoin d’essayer d’expliquer en quoi la transmission d’un nom de famille n’est pas une tradition si anodine. Voici donc ma réponse à tous ces commentaires édités suite à l’article du Monde.


 

Non, choisir de transmettre le nom de l’épouse plutôt que celui de l’époux n’est pas une énième tentative des Méchantes Féministes de voir le sexisme partout et de vouloir dominer les Pauvres Hommes. Transmettre le nom de l’époux plutôt que celui de l’épouse est une tradition, oui. Chacun décide aujourd’hui ce qu’il veut faire de cette tradition. Mais on ne dira pas que cette tradition est exempte de tout sens et qu’elle n’est pas sexiste envers les femmes, et que donc que vouloir son contraire c’est être sexiste envers les hommes.

 

La femme, cette éternelle mineure

Jusqu’au siècle dernier, la femme était considérée en France, comme encore aujourd’hui dans de nombreux pays, comme une éternelle mineure.

N’ayant aucune reconnaissance sociale, elle passe de la tutelle de son père dont elle porte le nom à celle de son mari dont elle prend alors le nom. La transmission des biens se fait d’hommes en hommes en ne fait que transiter par les femmes, qui ne peuvent détenir leur propre fortune. Ainsi, la naissance d’un garçon est indispensable à la survie de la fortune et de la lignée familiales: d’où la notion d’héritier. La fille ne compte pas en tant qu’héritière, car en se mariant elle intègre la famille de l’époux : elle prend son nom, déménage avec sa belle-famille… Bref, si la naissance d’un garçon est une bénédiction, la naissance d’une fille est une malédiction ! Car avec elles se perdent la fortune et la renommée de la lignée.

C’est encore le fonctionnement sociétal de nombreux pays : Inde, Afghanistan, Arabie Saoudite, Pakistan, Chine, etc. (2) Dans ces pays, les femmes ne sont mêmes pas incluses dans les arbres généalogiques : elles n’existent pas, ni socialement, ni familialement.  La naissance d’une fille est un fardeau : non seulement il faudra la doter de la fortune familiale à son mariage mais en plus elle quitte le foyer originel pour aller s’occuper du foyer de son mari. Ainsi, les parents n’ont pas d’enfants pour s’occuper d’eux durant leurs vieux jours (les maisons de retraite n’existant pas dans la majorité de ces pays) : les filles s’occupent de leurs beaux-parents au domicile du conjoint. Enfin, pour ne rien arranger, les filles ne peuvent pas perpétuer les rites funéraires, car elles sont exclues par leur religion d’une tâche jugée trop pure pour des êtres aussi impurs (islam, hindouisme). Les parents savent donc que s’ils ne donnent naissance qu’à des filles, ils ne seront ni pris en charge lorsque la vieillesse les rendra dépendants, ni honorés par les rites religieux après leur mort.

A cause de cela, de nombreux pays africains et asiatiques pratiquent un féminicide de masse : avortement des fœtus féminins et meurtres des bébés filles à la naissance sont les seules solutions qu’ont trouvées les familles les plus pauvres pour se débarrasser de ces êtres indésirables qui les noieront encore plus dans la misère. La conséquence d’un tel féminicide est la diminution alarmante de la population féminine : or, dans la plupart de ces pays très traditionnalistes et conservateurs, le mariage est une condition sine qua non de reconnaissance sociale et d’accès aux relations sexuelles pour les hommes comme pour les femmes. Les dernières générations d’hommes, plus nombreux que les femmes à 115%, ont donc imaginé des systèmes originaux pour pallier au manque d’épouses : les importer d’autres pays telles de vulgaires marchandises, où elles sont enlevées et mariées de force, parfois à plusieurs hommes d’une même fratrie…

Petit historique de la très récente acquisition des droits pour les femmes

Mais revenons en France. Ce n’est qu’en 1944 que les femmes sont reconnues par l’Etat Français comme étant des citoyennes en obtenant enfin le droit de vote. Mais cette citoyenneté reste très théorique, puisque les femmes restent entièrement dépendantes des hommes : elles n’ont le droit ni de travailler, ni d‘ouvrir un compte bancaire sans l’accord de leur mari ; elles sont la responsabilité du chef de famille, au même titre que leurs enfants, sur lesquelles elles n’ont aucun pouvoir légal. Bref, elles ne peuvent ni quitter leur mari puisque sans lui elles sont sans ressource, ni empêcher celui-ci de lui arracher ses enfants si l’envie lui prend.

En 1965, elles obtiennent enfin le droit d’ouvrir un compte bancaire et de travailler sans l’accord du mari (3). Les divorces explosent les années qui suivent: les femmes s’émancipent, elles peuvent quitter leur mari maintenant qu’elles ont accès au monde du travail et qu’elles ne dépendent plus entièrement de lui financièrement parlant. Et cela même si les femmes sont majoritairement en situation précaire… C’est dire à quel point elles devaient être nombreuses à ne rester avec leur mari uniquement par manque de choix ! Voici un petit témoignage d’une femme ayant connu la dépendance financière vis-à-vis de son mari :

« [Mon mari] me disait que j’étais une mauvaise gestionnaire, une mauvaise épouse. Il me faisait du chantage, me sortait billet par billet. […] Alors, pour finir le mois, je faisais ce que font les prostituées, j’étais gentille comme tout… Je lui faisais plein de petites gâteries ! L’argent était un puissant moyen de rétorsion. C’est la raison pour laquelle, selon moi, le mariage est le plus grand putanat international. Avant, du moins. […] J’avais des amies dont les maris exigeaient des comptes mensuels et, attention, c’était à la botte de poireaux près ! […] C’était [mon mari] qui touchait les allocations familiales. J’étais complètement infantilisée. »

Thérèse, 88 ans (4).

 

Mais il faudra encore attendre 1970 pour qu’une loi abolisse la notion de chef de famille inscrite jusque là dans le Code Civil qui donnait au père tous les droits sur son épouse et sa progéniture : désormais, les deux époux ont les mêmes droits et les mêmes responsabilités. En cas de divorce, les droits de garde de l’épouse sont donc identiques à ceux de l’époux : et d’ailleurs, ce n’est pas sans déplaire à ces messieurs, qui sont aujourd’hui 80 % à laisser la garde exclusive des enfants à l’épouse soit par consentement mutuel, soit en ne se présentant pas au tribunal attribuant la garde (5). Les masculinistes et autres associations de SOS Papas sans défense peuvent donc aller renfiler leur caleçon à l’endroit et arrêter de dire des grosses bêtises sur les Méchantes Femmes qui voleraient les enfants aux Pauvres Papas grâce au « régime matriarcale » de la Justice Française (ha ha ha, elle me fait toujours bien rire celle-là ! 2% de viols condamnés en moyenne, mais la justice est aux mains de vilaines castratrices toutes puissantes, LOL).

En 2005 enfin, une loi autorise toutes les possibilités de transmission de nom aux enfants: le nom paternel, le nom maternel ou les deux noms accolés. Or, 10 ans après, « seuls 6,5 % des parents choisissent de donner uniquement le patronyme de la mère à leur enfant, alors que cette possibilité est offerte par la loi depuis 2005. Sachant que, dans 9 cas sur 10, ce choix vient de ce que le père n’a pas reconnu sa progéniture à la naissance, cela fait tomber à 0,65 % la proportion de parents ayant fait ce choix sans contrainte. » (1).

Un droit précieux et symbolique

Alors pour expliquer ce faible taux de familles qui osent sauter le pas d’une lignée matriarcale, on pourra invoquer toutes les raisons que l’on voudra : respect des traditions, habitude non remise en question, méconnaissance de la loi, conservatisme, volonté de compenser par un nom l’absence de grossesse chez l’homme, etc. Et ces raisons ne concerneront que les principaux intéressés, et personne d’autre.

Mais que l’on ne dise pas que militer pour ce droit à transmettre son nom de femme à un enfant, c’est militer contre les hommes et contre les égalités homme-femme, et que c’est encore un coup de ces Méchantes Féministes qui voient le sexisme de partout même là où il n’y en a pas.

Car avoir le droit de donner son nom à son enfant, quand on est une femme, c’est un droit infiniment précieux, éminemment récent et planétairement rare: le droit d’être reconnue comme un parent tout aussi primordial, le droit d’être considérée comme une citoyenne jusque dans la cellule familiale, le droit de renverser des millénaires de coutumes patriarcales et patrilinéaires.

 

 

Références :

  1. « Au nom de la mère : ces parents qui choisissent le matronyme », Julia Pascual, Le Monde, septembre 2015, http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/09/28/au-nom-de-la-mere-ces-parents-qui-choisissent-le-matronyme_4775134_3224.html
  2.   «  Quand les femmes auront disparu. L’élimination des filles en Inde et en Asie », Bénédicte MANIER, Genre en action, http://www.genreenaction.net/Quand-les-femmes-auront-disparu-L-elimination-des.html
  3. « Chronologie des droits des femmes », Michèle Vianès, http://www.regardsdefemmes.fr/Documents/10mots/Extrait_10mots_chronologie_Droits_Femmes.pdf
  4. « Quelques comptes à régler », Audrey Lebel, Causette n°58, juillet-août 2015.
  5. « Garde des enfants : des papas lésés ? », Xavier Molénat, 2013, Observatoire des inégalités, http://www.inegalites.fr/spip.php?article1863

1 Comment

  • chester denis
    23 octobre 2016

    Il me parait que la paternité est un « coup de force » que quelqu’un qui s’approprie le rejeton d’une femme. Il est présumé le père par les liens du mariage, mais surtout il lui porte sa marque par son nom patrimonial. C’est une opération virtuelle, et elle n’est pas du tout indispensable.
    Mais on a peine à imaginer le contraire. j’ai publié deux posts sur le sujet, montrant notamment que concevoir une royauté patrilinéaire mais nommé par le nom des femmes était dfficile, et qu’une royauté matrilinéaire serait tout autre chose !

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

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