Coup d’œil féministe sur le Festival TransAmérique (FTA)
A eu lieu du 25 mai au 8 juin, le festival TransAmériques (FTA) à Montréal, festival international de danse et de théâtre, dont la programmation propose pas moins de vingt-sept spectacles venus d’un peu partout (de l’Europe principalement), mais aussi du Québec et du reste du Canada. Chaque année, c’est le lieu où, avec collègues, amies, amatrices de théâtre, chercheuses en théâtre, nous nous y côtoyons pour découvrir ce qui se fait d’innovateur (ou pas…) dans les arts vivants actuels. Ce désir est vif mais accompagné aussi de cette nécessité d’y assister, pour, comme disait Lori Saint-Martin « y chercher les femmes[1] ». Plus encore, pour y déceler la fine ligne de sens qui me relie à ce qu’on me présente, ce que je reçois. Après plus de dix jours et quelque treize spectacles, je me trouve face à un constat : en tant que spectatrice féministe, il est plutôt difficile de se sentir interpelée par ce que nous offre le festival.
La scène parle, les images sont parfois puissantes et les grands thèmes universels ne manquent pas (l’amour, la mort, la vie, le vivre ensemble, l’impact des technologies sur nos vies). Cette propension à étirer le temps, à ralentir la cadence, s’est observée dans nombre de spectacles, comme une envie d’arrêter le rythme effréné de nos vies contemporaines occidentales, de freiner le rythme capitaliste de nos sociétés privilégiées. Le souffle que prend chaque spectacle, la présence des interprètes, pleine, entière, leur sensibilité, cette mise à nue, littéralement, dans plusieurs œuvres, comme une façon de s’ouvrir, de se montrer vulnérable face à l’œuvre et face au monde dessinent ainsi le portrait (très) général de cette onzième édition du festival.
Mais outre ces images, ces rituels de symbolisation, où la métaphore revêt plusieurs couches de sens, outre l’exercice esthétique, quels sont les impacts réellement politiques, chez la spectatrice ? Dans quels espaces se trouve le politique ? Plus encore, (puisque c’est ce qui nous intéresse ici), que disent les femmes ? Comment sont-elle dépeintes, comment parlent-elles ? Qu’est-ce qui change par leur présence, leurs pensées, leurs mouvements ? En y réfléchissant plus assidûment, j’ai réalisé que c’est encore par leur minorisation que les femmes présentes dans les spectacles vus au FTA me sont apparues. C’est, encore une fois, leur faible présence qui les fait briller.
De ces images (politiques) qui se sont imprimées en moi
Il faut tout de même souligner quelques moments marqués par la présence de femmes qui, à mon sens, décloisonne nos schèmes de pensées et rend compte d’une pluralité certaine sur les scènes dans le cadre du FTA.
Le spectacle 100% Montréal, orchestré par le collectif berlinois Rimini Protokoll, a porté sur scène une formule déjà éprouvée dans plusieurs villes à travers le monde. 100 personnes sur scène représentant 100% de la population. Cartographie sensible de notre diversité, expériences physiques de nos statistiques mathématiques. Tout le monde se raconte à travers questions et anecdotes, chaque personne est liée à une autre. Des questions prévisibles, peut-être classiques, nous permettent d’en apprendre un peu sur chaque 1% de cette population. La première statistique, celle à propos du genre des personnes – qui est homme, qui est femme reste un moment important. Alors que chaque côté de la scène est bien délimité, 52 femmes d’un côté et 48 hommes de l’autre, Léa Bouthillette, une femme trans, brise cette binarité en s’amenant au centre de la scène et en demandant à ce que celleux qui ne sont ni homme ni femme la rejoignent. Une dizaine de personnes l’y ont retrouvée. Cette question a mis la table pour la suite et je n’ai cessé de suivre l’histoire de Léa Bouthillette à travers les autres questions que posait le spectacle. C’était elle la résistance, la mienne du moins. C’était son histoire à elle qui me parlait réellement, au fil des questions lancées et des statistiques incarnées. Par sa seule présence, j’ai senti ma ville moins homogène. Et pourtant, lorsque à la question « croyez-vous que vous serez toujours vivant dans dix ans? » je l’ai vue répondre « non », cela m’a ramené à la violence subie par les femmes trans, à l’intimidation et à leur taux effarant de suicide. Cela m’a ramenée à mes privilèges.
(La) Horde, collectif français de danse se revendiquant de ce qu’ils et elles appellent la danse post-internet, présentait leur dernier spectacle To Da Bone réunissant onze danseurs de jumpstyle d’un peu partout dans le monde. Ici, pas ou peu de silence; des mouvements saccadés, quelque chose entre la polka, le french cancan, les danses traditionnelles irlandaises et le hip-hop, une musique techno me rappelant les raves du début des années 2000. On nous raconte la rue, la communauté formée sur internet et transposée sur la scène du théâtre rouge du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Il y a dix hommes. Il y a une seule femme. Elle s’appelle Camille Dubé Bouchard et elle vient du Québec. Et elle est renversante. Cette seule présence féminine frappe l’œil par la joie qui la transcende, d’être là, de frapper de ses pieds le sol, de bondir, d’émettre des cris, d’être tout entière dans le jumpstyle. On sent la joie de s’être taillé une place dans une communauté qu’on soupçonne être assez uniforme…
Enfin, la chorégraphe Daina Ashbee a dirigé l’interprète Paige Culley dans Pour, sa dernière création. Entre les images de phoques sur la banquise, les douleurs menstruelles, le rapport à l’environnement, les cris et les chants d’inspiration autochtones (Ashbee est descendante des peuples cris et métis), Ashbee parle de luttes. Celles du corps qui cherche à quitter quelque chose, ou à s’approprier soi-même. Sur une scène épurée au maximum, Paige Culley, nue, se tord, frappe ses bras, ses jambes, puis s’immobilise. Elle reste là, pendant parfois de longues minutes, à se mouvoir avec une extrême lenteur. Daina Ashbee a le mérite, par le langage de la danse contemporaine, de faire cohabiter sensibilité et politique.
Ces trois coups de cœur, je les ai tous vécus, ou presque, lors de spectacles de danse contemporaine, où c’est le corps, d’abord, qui parle. Ces découvertes m’ont permis d’aller à la rencontre d’un art qui m’était plutôt étranger, de danseuses incroyables et j’en suis ravie. Malgré ces moments fort stimulants, je reste pourtant sur ma faim en ce qui concerne les spectacles de théâtre, entre autres, par la faible présence des femmes et de leurs réalités sur les scènes du FTA. Il me faudra « chercher [encore] les femmes », ailleurs, dans les programmations régulières, jusqu’à la douzième édition du festival, l’an prochain…
[1] Isabelle Boisclair, Lucie Joubert, Lori Saint-Martin, 2015, Mines de rien, Éditions du Remue-ménage, p.49.