Deuxième jour au Toronto International Porn Festival
Après être entrée en immersion dans la scène du porno queer et féministe le premier jour, je suis prête en cette deuxième journée à me laisser dériver dans les méandres cinématographiques que l’on me propose.
Cette journée sera donc sous le signe du film. Films courts, films longs, documentaires. Je m’ouvre à tous les styles, et je vous en fais part.
Mais avant tout, précisons un peu le cadre dans lequel ces films sont projetés. Le festival, au-delà de sa mission sociale, a aussi pour but de mettre en avant les équipes de production et de permettre au public d’avoir son mot à dire dans les résultats finaux. Après tout, c’est un award show. Ainsi, après chaque séance de projection, tous les spectateurs, armés d’un petit ballot de papier et d’un crayon, votent pour leur film favori. À l’issue de tous les votes, un gagnant sera désigné dans chacune des catégories présentées.
Best international short films
Dans cette section, c’est neuf films qui ont été présentés. Comme vous vous en doutez peut-être, il peut être délicat d’être attentif tout le temps lorsqu’on consomme autant d’images pornographiques en si peu de temps. Je vais donc vous parler de deux films en particulier qui ont attiré mon attention. Si la programmation entière vous intéresse, voici le lien pour la consulter.
Jacquie Ray est une réalisatrice américaine, qui n’a pas peur de choquer. Dans son film The best quickie you’ll ever have, elle déjoue tous les codes de la féminité et de la masculinité en capturant les ébats sauvages et passionnés de deux personnes dont le genre est indéterminé. Dans un décor aux murs verts presque fluo, babioles de toutes sortes aux murs, couverture en macramé, les deux amant.e.s se prennent, se tournent, se retournent dans une danse rapide et essoufflée. Dans ce court-métrage, les questions de la non-binarité et des rapports de pouvoir sont mis en lumière. Le style est saccadé et enfantin à la fois. Saturé d’images, de poils et de saveurs californiennes, on apprend et on accepte l’autre un peu plus honnêtement.
Coup de cœur pour The Toilet Line (Allemagne), réalisé par Goodyn Green. Imaginez une ambiance de club, sueur, musique forte, mains baladeuses (avec consentement) et regards à la dérobée. La mise en contexte remplit l’écran d’une tension sexuelle telle qu’on attend presque que les deux femmes se dévorent l’une et l’autre dans la petite cabine des toilettes du club. Ces femmes sont suaves et effrontément féminines sans correspondre à une féminité normative. Leurs têtes sont rasées sur le côté, leurs seins libres mais soulignés par une chaîne de métal ou un harnais en cuir. Les rôles s’échangent, se reprennent, les doigts se noient dans des océans de désir, les bouches chantent le plaisir et la force parfois prend le dessus sur une passion qui ne peut s’exprimer que de cette manière. On a envie d’y être. Non, j’avais envie d’y être.
My Body, My Rules : poésie et différence
J’apprends que ce long-métrage d’Emilie Jouvet (France), Dyke, queer, fem, feminist, est projeté au cinéma Royal, à deux pas de la Wonder Gallery. La salle est magnifique, et je m’installe comme une reine au milieu, face à un grand écran.
Tout de go, je peux dire qu’assister à une telle projection dans un tel cadre est vraiment une expérience à vivre. Voir des corps aussi ouverts, vulnérables, forts, crus, des expressions humaines dans une dimension rare, exposée, qui vient taper à la porte de nos propres perceptions de nous-mêmes, de nos corps et de nos sexualités.
My body My Rules est à mes yeux important pour les femmes. Emilie Jouvet y dépeint avec beaucoup de tact et d’aplomb un groupe de huit femmes dont les différences se marquent tantôt dans la couleur de leur peau, dans leurs aptitudes physiques, tantôt dans leur sexualité personnelle ou interpersonnelle, mais les rapprochent dans l’humanité intrinsèque de chacun de ses facteurs.
Cette fable sensuelle mélange les séquences documentaires en laissant la parole aux protagonistes. La première est une jeune femme d’origine asiatique dont les mains sont paralysées et le corps handicapé par une maladie des os. Afin de se réapproprier son corps, elle entame, allongée sur une scène, une danse langoureuse où chacun de ses mouvements la libère. Cette scène est d’une poésie presque indescriptible. Cette femme nous montre, sans mots, avec sa force intérieure et sa grâce que la sensualité est là, présente, chez chacun d’entre nous.
Jouvet explore des territoires peu développés dans la tendance nord-américaine : la perception de son propre corps en tant que femme noire, la perception du corps qui vieillit, la perception du corps soumis, le don de soi, le corps maternel, le sexe qui donne naissance, la rencontre d’un autre corps de femme, la reprise en main de sa peau, de ses mouvements, de son énergie profonde.
Le film voit son apogée dans la scène finale rassemblant toutes les femmes. À l’issue d’un rituel accompagné de plantes aromatiques et de méditation, elles se rassemblent dans une transe sensuelle où les mains et les peaux se saluent, le plaisir et l’amour distribué avec un naturel désarmant.
Ce film est aussi un message à ceux qui ne voient pas la force dans la féminité et dans les sexualités associées aux femmes. Et pour ça, merci.
Documentaires : accent sur les rapports de pouvoir
À travers les quatre documentaires au programme, le festival propose à son public un regard sur la manière dont on peut se vêtir de différents rôles dans nos rapports sexuels ou sensuels avec autrui.
1 ) Devourable (Ms. Naughty, Australia) présente deux femmes engagées dans une relation polyamoureuse, explorant la sexualité en prenant les codes de genre à bras le corps, s’amusant avec le sexe ensemble, dans l’amour.
2) Tie me Up! À Shibari Documentary (Erika Lust, Espagne) est un bijou de pédagogie et de luxuriance. Filmé en pleine nature, une femme « Rigger » emmène un homme « Tied up » à la rencontre de ses limites et vers le lâcher-prise. À voir.
3) Ritual + Worship (Morgana Muses, Allemagne/Australie). Ce film dépeint la possibilité et la réalité de dépasser le trauma par la position de dominant, l’aspect cathartique de ce genre de relation pour le dominant et le dominé, mais aussi rend hommage à tout le respect nécessaire pour rendre ces expériences épanouissantes.
4) We are the (Fucking) world (Olympe de G., Allemagne) : Esthétique léchée, gamme de couleurs de peaux exhaustives et surtout : consentement. Dans cette orgie estivale et queer, Olympe de G. met l’accent sur l’étape préliminaire au sexe : chacun décrit ses limites et ses goûts, de manière à ce que tout se passe bien et que tout le monde prenne du plaisir. Notons cela dit que ce film est au cœur d’un débat à cause de problèmes éthiques dans la production. Pour cette raison, le film a été projeté mais pas en compétition.
Dip Films : John Brodie met son grain de sel
Dans la section Political/Identity politics s’est glissé le film Dressup réalisé par le jeune Torontois John Brodie.
Originellement photographe, il a gardé de cette pratique un goût pour l’instant présent. Ce film met en lumière un moment de transformation unique. Celui d’un homme qui découvre, dans un espace intime, une part non explorée de lui-même : sa féminité.
J’ai eu l’occasion de rencontrer Brodie, fondateur de DIP films. S’identifiant comme queer, il insiste sur cette approche aussi dans son travail artistique. Pour lui, représenter la sexualité comprend une responsabilité dans laquelle il est essentiel de réfléchir à nos normes, à nos codes, à la manière dont chacun se place d’une part sur le spectre du genre, mais aussi dans l’exploration de nos corps et de nos sexualités.
Dans le monde du porn féministe, les hommes derrière la caméra ne sont pas nombreux et pourtant, ce jeune prodige développe des concepts colorés d’un féminisme dont les limites sont repoussées loin, elles sont réfléchies, tordues dans tous les sens. Malcolm Lovejoy, le personnage principal de Dressup présent lors de la projection, a fait part de son enthousiasme pour le film et son réalisateur.
Ce performeur explore la dimension féminine de son expérience humaine, il explique que ce film, « one of the most controversial » dans lequel il ait joué, est important dans la mesure où pour une fois, l’image d’un homme explorant cette part de lui tout en affirmant sa masculinité, est filmé sans jugement, avec un naturel désarmant.
Cela dit, Brodie a une position intéressante quant à sa pratique. Lors de notre rencontre, il décrit son approche comme féministe certes mais ouverte à l’interprétation dans le sens où ses films ne s’adressent à personne en particulier. Une de ses ambitions : redéfinir et ouvrir les possibilités quant à « who gets to be sexy ». Pour lui, il y a autant de porn féministes que de féminismes, impossible donc de fermer cette catégorie en essayant de lui appliquer des règles en même temps qu’on essaie de les déconstruire ou de les déjouer.
Se décrivant lui-même comme versatile en termes d’idées, il est fort probable que son label Dip films devienne une référence de diversité de thèmes dans les années à venir. Keep in touch!
Des films, du soleil et des plaisirs culinaires!
La moitié du festival est déjà passé, et je suis amoureuse de Toronto. Entre deux projections, j’ai eu le temps de dévorer des pâtisseries, burritos, pizza, crêpes, et bien d’autres choses. Mes yeux sont occupés à scanner la ville baignée de soleil. Les fleurs sortent de terre, les arbres respirent et les gens sont heureux.
P.-S. J’ai aussi regardé un film en réalité virtuelle, Second Date (Jennifer Lyon Bell, Pays-Bas, E-U). L’expérience est étonnante, ça donne un peu le tournis. Dans le style Vanilla sexe interracial c’est réussi, la tension monte et l’orgasme est haut.
À demain!
Alizée Pichot