Céline, le jaune et le queer?
À moins de vivre sous une roche, vous avez sans doute vu la publicité pour la nouvelle collection de vêtements pour enfants de Céline Dion en collaboration avec Nununu. Plusieurs choses m’ont mis.e mal à l’aise dans ce projet, et un statut Facebook me semblait trop court pour tout exprimer. Voici donc mes réticences en trois points :
1. Féminisme ou luttes LGBTQ?
J’ai vu beaucoup de confusion entre le message d’égalité général lancé par Céline, qui ressemblait plus à celui de la lutte féministe en général, et les luttes queer et non-binaires. La différence est mince en pratique, je vous l’accorde, mais elle est significative dans la réflexion. Pas mal de féministes souhaitent qu’on arrête de classer les enfants en rose vs bleu et en princesses vs camions. Ça s’appelle la lutte aux stéréotypes de genre.
Par contre, ce ne sont pas toutes ces féministes qui soutiennent les luttes queer. En fait, plusieurs même invalident les personnes trans ou non-binaires en refusant de reconnaître leur existence.
Si on peut croire que ce projet surfe sur « la vague » de la visibilité des enjeux trans et non-binaires actuels (j’ai mes doutes, mais bon), c’est carrément honteux de faire une telle récupération des luttes, de glamouriser le tout et de le revendre à un prix inaccessible aux personnes concernées. Après tout, on sait que les personnes trans et non-binaires qui sont out en milieu de travail ont beaucoup plus de difficulté que les autres à trouver et à conserver un emploi étant donné la discrimination à leur endroit. On repassera pour le cache-couche à 71 $ qui fera trois semaines.
2. Le neutre est encore et toujours masculin
La collection elle-même est également décevante. Les motifs sont beaux, mais si on arrête de mettre les bébés qui ont une vulve dans des pyjamas roses et les bébés qui ont un pénis dans les pyjamas bleus, est-ce pour mettre tout le monde juste en jaune? Est-ce qu’en voulant sortir les enfants des carcans traditionnels, on n’est pas en train de les faire entrer dans un autre : celui des étoiles jaunes et des lignes géométriques noires?
Vous remarquerez que cette vision du neutre/non-genré fait bien attention d’être « portable » par les garçons. En effet, les motifs n’ont rien de la douceur des fleurs et sont angulaires, la couleur jaune est vive, bien loin du rose ou d’une potentielle féminité. Quand des initiatives comme ça disent vouloir libérer les enfants des stéréotypes de genre, elles veulent en fait donner des vêtements moins féminins aux petites filles et encore surtout pas féminins aux petits garçons. La masculinité toxique gagne encore.
3. La vraie Révolution féministe queer
La vraie révolution, qu’on choisisse ou non d’assigner un genre à la naissance à notre enfant, ne viendra pas en créant le carcan du jaune et des motifs abstraits. D’ailleurs, élever un enfant de manière neutre/non-genrée, ce n’est pas non plus lui assigner le genre non-binaire, c’est lae laisser explorer ses goûts et son confort et faire ses choix en lui présentant le maximum de diversité possible.
Qu’on croie qu’il existe seulement deux genres ou qu’on croie à la pluralité des genres (mais la pluralité, please!), la vraie égalité viendra quand le rose, le jaune et le bleu voudront dire la même chose. Quand les camions ne seront plus des symboles avec davantage de pouvoir que les princesses et quand les princesses ne seront plus futiles. Quand tout le monde pourra porter du glitter de sa couleur préférée, sans que celle-ci soit influencée par le genre assigné à la naissance. Quand on ne parlera plus en termes de vêtements pour garçons et vêtements pour filles, mais simplement en mensurations, et que des t-shirts pour chest larges porteront l’imprimé de la Reine des neiges sur fond rose.
En attendant, plutôt que d’encourager une autre forme de white-cis-rich feminism en achetant des vêtements hyper cher produits en Israël, je vous encourage à découvrir les confectionneuses québécoises. Ce sont des femmes qui ont généralement lancé leur propre entreprise, qui cousent vos vêtements elles-mêmes, souvent avec du tissu qui porte leurs dessins et imprimé ici, et en plus, la mode est à l’évolutif, qui fera, on peut l’espérer, au moins toute une vraie année à votre enfant! Vous paierez 30 à 35 $ pour un pantalon 6-36 mois en général, en comparaison avec un legging à 68$. Encourageons donc les femmes entrepreneures qui n’exploitent pas les autres. En plus, plusieurs ne présentent pas leurs créations avec les termes « pour filles » ou « pour garçons », et sinon pour les « motifs non-genrés », il vous suffit de choisir une variété, vos coups de cœur, ou de faire choisir à l’enfant… le tout sans vous fier aux appellations « pour filles » ou « pour garçon ». Pas besoin du 1 % pour révolutionner le monde à notre place! 😉
Danny Garant
Je vis sous une roche, un tas de roche.
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