Ma réponse, par Léa Clermont-Dion
Aujourd’hui, une réponse à la lettre « Léa Clermont-Dion et le féminisme relooké », a été publiée. Voici ma propre réplique aux nombreuses féministes qui ont signé « Une réponse radicale au féminisme pop ».
* * *
Comme vous, je partage la conviction qu’il est important de représenter le mouvement féministe pour ce qu’il est : un mouvement diversifié sur le plan des idées. Je suis bien d’accord : le discours de consensus prôné par les médias de masse est déplorable, parce qu’il ne présente qu’une forme de féminisme bien gentil qui n’ébranle pas les fondements du patriarcat. Je suis consciente d’en avoir été fait, un peu malgré moi, un porte-étendard.
J’aimerais d’ailleurs nuancer quelque peu cette image publique. Mon nom est associé au féminisme depuis 2006, alors que j’ai fait une première sortie. J’avais 14 ans et Michèle Asselin, alors présidente de la Fédération des femmes du Québec, m’avait invitée à participer au rassemblement annuel de cette organisation. Je commençais alors à m’impliquer un peu. Les médias, en manque d’actualités pour le 8 mars, n’ont pas manqué de m’inviter sur leurs plateaux. « Wow, une enfant féministe ! C’est donc ben cute ! » C’est à partir de ce moment-là qu’on m’a affublée d’une étiquette de féministe « bon enfant », justement. D’entrée de jeu, les médias n’ont pas hésité à me qualifier aussi de « militante féministe », étiquette que j’ai tout de suite refusée. Je suis une sympathisante féministe, mais pas une militante, ni une « militante radicale ». Le chapeau ne me va pas, c’est tout. Vous savez comme moi à quel point il est difficile de se défaire d’une image, et celle-là m’a collé à la peau depuis.
Aussi, permettez-moi de revenir sur une prémisse de votre texte : « À plusieurs endroits, dites-vous, Léa Clermont-Dion s’est réclamée du féminisme radical ». Vous parlez peut-être de l’article de L’Express du 1er juin dernier dans lequel on peut lire la phrase suivante : « À 22 ans, cette jolie fille clame haut et fort son « féminisme radical ». » Voyez-vous, la compétence journalistique n’est pas universelle, et je doute de la qualité du travail de l’auteure de ce papier, qui a d’ailleurs trouvé le moyen de commenter mon physique. Lors de notre entretien, je n’ai jamais dit être une féministe radicale ; j’ai plutôt affirmé croire en l’importance du féminisme radical dans notre société. L’utilisation du qualificatif de « féministe-jedi-assumée-radicale, idéatrice du projet, mère porteuse » sur le site lesfeministes.com relevait davantage de l’humour. Évidemment, le féminisme comporte toujours, par définition, une part de radicalisme. Mais, au sens propre, je ne peux pas me revendiquer du féminisme radical – même si cette position n’aurait rien d’infamant.
Je sais qu’il est très difficile de faire entendre sa voix quand le message ne répond pas aux critères du système patriarcal dominant véhiculé par les médias de masse. Pour être honnête, j’avais considérablement réduit mes interventions publiques pour discuter de féminisme depuis le lancement du portail lesfeministes.com en mars 2013, il y a déjà un an. Je me concentre dans ma réflexion sur la question de la diversité corporelle. Des observatrices comme Judith Lussier, Martine Delvaux, Véronique Grenier ou Aurélie Lanctôt sont davantage sollicitées pour parler du féminisme dans les médias traditionnels. Et j’en suis fort aise.
Vous mentionnez aussi un commentaire que j’ai fait sur Le banquier. Que les choses soient claires : je n’ai jamais dit qu’il s’agissait d’une émission défendable. Je considère que plusieurs émissions de télévision spectacle contribuent à une aliénation collective abrutissante. Si je ne l’ai jamais dit publiquement, je le fais ici aujourd’hui : nombreuses sont porteuses de stéréotypes sexuels et me semblent tout à fait avilissantes.
Dans votre lettre, vous ciblez un problème bien réel. Il y a un manque très clair de représentation dans les médias de la diversité du féminisme. Le féminisme matérialiste, queer, postmoderne, postcolonial et le black feminism, par exemple, sont pour ainsi dire invisibles. Au moins, il y a la Chaire des genres à Médium large et l’abécédaire féministe à Plus on est de fous plus on lit, deux émissions radiophoniques diffusées sur la Première chaîne de Radio-Canada. Mais, c’est bien trop peu, je vous l’accorde.
Vous signalez un problème dans mon essai, La revanche des moches :« L’auteure explique que « face à cette société aliénante, tout le monde est moche », mais ce « tout-le-monde » est très limité pour elle. En effet, on ne retrouve aucune personne de couleur, aucune personne avec un surplus de poids (outre une ex-obèse) ou ne correspondant pas auxdits standards de beauté que cette dernière veut combattre. Comment peut-on prétendre venger les moches si on ne les inclut pas ? Qui plus est, les seules personnes interviewées sont des femmes et des hommes bien connu-e-s du public : des vedettes. »
J’aurais deux remarques. Tout d’abord, il n’y a pas que des vedettes qui sont interrogées dans mon livre. Le sociologue David Le Breton, professeur à l’Université de Strasbourg et chercheur au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe, n’est pas une vedette. Pas plus que Lucie Bonenfant, Alain Farah, Orlan, Maryse Deraîche, Pol Pelletier, Francine Pelletier, Simon Boulerice, Ianik Marcil et Mélodie Nelson, du moins si on entend par vedette une idole du grand public qui participe au star-system. Ensuite, pour ce qui concerne mon titre, qui semble tant vous déranger, si vous avez lu l’essai, vous savez qu’il ne faut pas le prendre au premier degré. Non, La revanche des moches n’est pas un livre sur « les moches » ; c’est un livre sur l’image de soi.
Vous réclamez le droit à la colère, et vous mettez de l’avant l’importance de la critique et de la divergence au sein du mouvement… Or, vous semblez désapprouver le fait que je présente un point de vue autre (et non pas opposé). N’est-ce pas là une incongruité logique ? Quoi qu’il en soit, oui, les revendications féministes ne sont pas assez représentées dans les médias. Si vous voulez user de la tribune que constitue ma récente contribution au débat pour étaler la diversité de ces revendications, elle vous est évidemment ouverte. Mais il y en a beaucoup d’autres, tout de même. Fort heureusement, je ne suis pas « la » voix du féminisme au Québec. Dans les derniers mois, on a aussi entendu les Femen, Dalila Awada, Aurélie Lanctôt, Alexa Conradi, Véronique Grenier, Judith Lussier, Sarah Labarre, Catherine Voyer-Léger, Martine Delvaux, Roxane Guérin, Fannie Boisvert Saint-Louis, Widia Larivière, etc. Et c’est tant mieux.
Léa Clermont-Dion
Berthiaume Patrice
Coup d’épée dans l’eau.
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andré Kadi
C’est malheureux comme les gens engagés passent plus de temps à s’en prendre aux gens proches de leurs convictions qu’à s’impliquer vraiment dans leur cause en essayant d’éduquer, de bâtir sur du positif, de réunir toutes les belles énergies, de s’ouvrir à des opinions divergentes qui pourraient aller dans le même sens. J’ai beaucoup débattu avec des amis d’ON qui ont passé leur campagne électorale à cracher sur QS, pour se proclamer les champions uniques de la souveraineté au lieu de concentrer leurs énergies à éveiller de nouvelles consciences moins proches de ces certitudes. J’ai aimé l’ouverture d’une Catherine Dorion en ce sens. Que tant de femmes impliquées dans le féminisme passent tout ce temps à écrire une lettre ouverte pour juger une jeune femme qui, sans être une radicale, est quand même plus proche de ce qu’elles défendent que 95% de la population au Québec, c’est un non-sens. Je suis conscient que le féminisme est pluriel, nécessaire plus que jamais, alors pourquoi une telle lettre ? Quand on pose une action, on le fait avec un but, une intention. Quand on souhaite une tribune, on s’en sert pour bâtir, pas pour détruire. Convaincre, éduquer.
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Élodie
Magistrale réponse. bravo
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Emilie
Pensée réfléchie et sang froid. Tu as toute mon admiration
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Laurent
Très bonne réplique
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Daphne
Merci et bravo pour cette réponse constructive! J’apprécie comment vous expliquer le peu de contrôle que certaines gens qui se retrouvent dans l’arène publique, surtout à un jeune âge, ont quand aux messages/à l’image que les médias projettent d’eux. J’avais également cette impression que votre livre ne parlait que de confidences de vedettes à la ‘star système’, mais ne serait-ce que pour Pol Pelletier, j’ai encore plus envie de le lire (je m’étais déjà promis de le faire). Et comme vous le dites si bien, vous représentez un autre point de vue, pas opposé. Bien sûr, d’autres points de vue, d’autres façons de faire sont également plus que bienvenues (et on est conscient des obstacles qu’il peut y avoir pour les faire valoir).
Et à titre personnel, au delà de la diversité corporelle, j’aimerais aussi qu’on s’attarde à la diversité de genre (d’autre façon de présenter le féminin/masculin). Il me semble que ce que l’on nous présente sans cesse est du domaine que je qualifie d’hyperféminité (maquillage ultra soignée, coiffure élaborée, sourcils épilés de même que tout le reste, etc.). Plusieurs femmes n’ont ni l’énergie ni l’intérêt pour la mode et les dictats de la féminité. Parfois, on a l’impression que si on ne pratique pas tout cela, on est moins valable en tant que femme (bien sûr, cela étant dû principalement au fait que dans notre société patriarcale, les femmes sont d’abord apparence, avant tout autre chose). Je souhaiterais que de telles femmes soient également plus visibles.
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martin dufresne
Merci d’avoir pris le temps de répondre aussi clairement aux reproches un peu expéditifs de l’algarade qui vous a été adressée – même si elle concernait plus une image que vos propos et votre travail réel. En un sens, vous permettez aujourd’hui à tout le monde de faire la part des choses, en affinnant le travail amorcé par les critiques de cette image. Les médias prennent malheureusement beaucoup de libertés avec les gens dont ils décident de faire des symboles pour entretenir leur vision « stéréotypante » des jeunes, des femmes et du féminisme: en réponse à cette politique du spectacle, vous donnez l’heure juste. Je continuerai à vous lire avec plaisir.
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Laurianne M
Merci pour cela
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Elise
» En effet, on ne retrouve aucune personne de couleur, aucune personne avec un surplus de poids (outre une ex-obèse) ou ne correspondant pas auxdits standards de beauté que cette dernière veut combattre. Comment peut-on prétendre venger les moches si on ne les inclut pas ? »
Vous ne répondez pas à cette question qui me semble centrale. Pourquoi ne pas avoir interrogé une plus grande diversité d’acteurs? Et pourquoi des vedettes? Sérieusement, y a-t-il au Québec une loi qui oblige à demander l’avis des vedettes sur toutes les questions de sociétés?
Si vous avez l’ambition de parler de l’impact du culte de la beauté sur les « moches », interrogez-les. Oui, tout le monde est touché par le culte de la beauté, mais pour les moches, le prix est plus élevé(comme tout le monde est touché par le patriarcat, mais pour le femmes le prix est plus élevé. Feriez-vous un livre sur ce sujet sans interroger de femmes?).
Bref, ce qui me choque c’est que ce livre n’est pas à la hauteur du sujet.
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