Compter dans son propre but

Pourquoi les hommes ne comprennent pas le féminisme

Nous sommes tous issus d’une longue tradition patriarcale. Au sens restreint le patriarcat est un système social dans lequel l’homme accède naturellement au statut de chef de famille, faisant de la femme sa subordonnée. Au sens large, il décrit une structure sociale, qui s’est développé sur plusieurs générations et qui a jeté les bases de notre société contemporaine. Ainsi, la cellule familiale, l’école, les médias et la plupart des institutions sociales véhiculent des idées qui favorisent davantage les hommes et qui les encouragent à développer des comportements dominateurs. Cette forte influence du Patriarcat est observable, notamment dans le milieu des affaires et en politique, des domaines où les femmes se heurtent encore à un plafond de verre ; des domaines où, pour de multiples raisons, il leur est encore impossible d’atteindre les rangs supérieurs d’une hiérarchie. Cette situation est aussi une réalité vécue quotidiennement par les gens de couleurs, les homosexuels, bref par tous les groupes minoritaires.

Depuis le début du XXe siècle, des vagues successives de féministes ont milité pour réduire les inégalités existantes entre les hommes et les femmes. Elles ont connu des victoires et de nombreux gains ont été faits, mais malgré les apparences qui sont parfois trompeuses, leur mission est loin d’être achevée puisque d’importantes inégalités résident.

Au cours de ce combat mené par les femmes vers la libération et vers l’égalité, les hommes ont eu l’impression de perdre certains de leurs privilèges, certains droits qu’ils n’avaient pas acquis, mais qu’ils s’étaient plutôt vu octroyer par le seul fait d’être nés hommes. Les luttes féministes ayant inéluctablement accroché au passage la suprématie de l’homme blanc hétérosexuel, les homme se sont montrés de plus en plus réfractaires aux féministes, les tournant souvent en ridicule, et on a vu naître chez-eux une grande incompréhension face aux revendications des femmes. Or, les féministes ne tiennent pas les hommes responsables de leur subordination, elle porte plutôt le blâme sur le système patriarcal.

Si les femmes tentent d’obtenir l’égalité, elles tentent aussi de développer une définition sociale de la féminité la plus large possible, de manière à célébrer la diversité et à être le plus intégrant possible. Melissa McEwan, la rédactrice en chef du blogue féministe Shakesville exprime très bien cette idée:

« In my view, it isn’t the job of feminism to dictate to women how they should live their lives, but first to create a culture that has room for legitimate and respected alternatives to traditional definitions of womanhood, and second to educate women conforming to traditional definitions that they don’t have to, because the culture no longer requires it nor gives it preference. »1

Une grande part de l’incompréhension du féminisme de la part des hommes réside dans l’idée même de vouloir redéfinir un genre. Dans notre société, on inculque aux hommes, de manière insidieuse, les comportements sexuels qu’ils devraient adopter. Souvent, les hommes n’arrivent pas à voir les pressions sociales qui pèsent sur eux et ont du mal à comprendre le fait que la masculinité, leur masculinité ne soit pas innée, mais bien acquise.

Pour la plupart des hommes, le mot masculinité est monosémique. Par le biais de divers système, notamment l’éducation et la publicité, on fait croire aux hommes que leur virilité est biologiquement déterminée et que, par le fait même, il est impossible pour eux de se construire une identité sexuelle alternative. Un paradoxe réside toutefois, cette virilité, soi disant biologique, doit être quotidiennement démontrée et prouvée; la virilité n’a pas un caractère permanent, elle doit constamment être réaffirmée. C’est à cette perception de la masculinité que fait référence McEwan lorsque qu’elle explique qu’une redéfinition des genres semblent futile, voire menaçante, pour les hommes.

« […] lots of men cannot dissociate their rigid understanding of manhood from the societal influences which are largely mutable; they’ve had no reason to question whether a society that so perfectly suits them has created a definition of manhood that isn’t “real,” and so attempts to change society are inextricably linked to attempts to change men in ways they believe they cannot be changed. »2

Repenser la masculinité pour un homme, c’est l’équivalent de repenser le monde en entier. D’une certaine manière, dans notre société, être né homme, blanc et hétérosexuel, c’est l’équivalent d’avoir gagné à la loterie de la génétique. C’est pourquoi il est possible pour un homme de passer à travers l’existence sans ne jamais avoir à se questionner ou faire quelques efforts que ce soit pour tenter de comprendre la condition féminine, ou celle des homosexuels et des personnes de couleur. Par le fait même, ils ne sont pas porter à remettre en question ou même seulement à raisonner leur propre condition de mâle.

On véhicule aussi beaucoup la fausse idée qu’être féministe et se battre pour l’égalité, c’est vouloir annuler toutes les différences entre les hommes et les femmes. Les hommes peuvent, avec raisons, se sentir menacés si leur compréhension du féminisme les porte à croire que les femmes désirent qu’ils deviennent comme elles ou vice-versa. Comme je l’ai déjà écrit ici, il ne s’agit pas d’abolir les genres, mais d’élargir nos horizons et de permettre un décloisonnement des genres de manière à favoriser l’inclusion d’un plus grand nombre d’individus.

Pour utiliser un cliché de la masculinité, ce que les hommes ne comprennent pas, c’est que s’opposer aux féminismes c’est comme compter dans son propre but au hockey. C’est pour cette raison que les hommes doivent cesser de se sentir menacés par le féminisme; pour arriver à prouver leur virilité une fois pour toute, en regardant le véritable ennemi, le patriarcat, en plein visage et en joignant les rangs pour se battre aux côtés des femmes.

« And, if nothing else, it would provide that long-absent framework that men who are already interested in such an endeavor have been missing, the tools to finally begin extracting what defines manhood according to men from what defines manhood according to a patriarchy. They are very different things indeed. Just ask a gay man—he’s already walking this road. »3


1. EWAN, Melissa, Angry Men, Searching Men—and What They Can Learn From Girls and Queers, Shakesville, Feminism 101, 2006.
2. Id.
3. Id.

Par Alexandre

11 Comments

  • Myriam
    14 avril 2009

    Chère Alex

    Merci pour ce texte fort éclairant. Je n’hésiterai pas une seconde à le référer à une femme ou un homme qui me questionne sur mes positions féministes. Ce texte est à la fois solide et calme, très pertinent et subversif.

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  • wallia
    14 avril 2009

    le problème, c’est que les machos sont souvent les plus intéressants, les plus divertissants, les plus érudits.

    c’est un des dilemmes de ma vie de féministe !

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  • SPiedade
    14 avril 2009

    La population débarque quand on parle de patriacat. A force de vouloir une égalité statistique et non de choix, le discour se perd.

    Même si l’égalité de nombre serait atteint à Québec pour les députés, peut-on réellement parler d’égalité si on sait très bien que toutes les décisions sont prise du bureau du premier ministre?

    L’important c’est le choix. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps et de s’épanouir en faisant le métier qu’elles veulent. Si ça veut dire aller en soins infirmier, pourquoi devrait-on leur demander d’aller dans le domaine de la construction?

    La politique est ouverte à tous les citoyens. Si vous croyez que les partis sont sexiste et qu’il n’y pas assez de femme, bien lancez-vous. C’est en s’impliquant que vous allez faire changer les choses. Si les féministes ne s’implique pas en politique, pourquoi les autres femmes devraient le faire à leur place?

    Quebec Solidaire est un parti féministe et c’est fait ramasser lors de la dernière élection. Est-ce que c’est encore le système patriacal à l’oeuvre? Bien sûr que non. La société est bien plus complexe que ça.

    Le féminisme a encore toute son utilité, mais le féminisme radicale et extrémiste qui cherche l’égalité absolu sous tous les angles de vu nuit à la cause. Permettre à chaque femme de pouvoir s’épanouir et faire ce qu’elle veut de sa vie est plus important que d’avoir une égalité statistique.

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  • Alex
    14 avril 2009

    Myriam: Merci beaucoup Myriam ! Ton commentaire me fait vraiment plaisir. « Solide et calme », c’est exactement ce que j’ai essayé de faire.

    wallia: Je dois avouer que les Badboys ne donnent pas leur place, mais il ne faudrait quand même pas généraliser. Et je ne crie pas non plus: « À mort la virilité ». Je souhaite juste vivre dans un monde d’hommes et de femmes les plus libérés possible de toutes pressions sociales.

    SPiedade: Les femmes peuvent bien faire ce qu’elles veulent, exercer des métiers traditionnels ou non traditionnels, être sur le marché du travail ou rester à la maison. Comme je le disais, il faut « […] développer une définition sociale de la féminité la plus large possible, de manière à célébrer la diversité et à être le plus intégrant possible. »

    Pour ce qui est de l’égalité statistique, ça permet au moins aux femmes d’être égalem « ent représentées. Et, pour « Permettre à chaque femme de pouvoir s’épanouir et faire ce qu’elle veut de sa vie », il faut s’assurer que les femmes soient représentées dans tous les milieux. Et comme on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs, il est important pour les féministes de pointer les incohérences, les inégalités le plus souvent possible.

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  • Edenne
    14 avril 2009

    Merci Alex pour cet article pertinent et articulé!

    Il est important de reconnaître que  »…les féministes ne tiennent pas les hommes responsables de leur subordination, elle porte plutôt le blâme sur le système patriarcal, » puisque des antiféministes, tels qu’Yvon Dallaire, ne cesse de clâmer que les femmes–les féministes–sont responsables de la vulnérabilité grandissante de l’Homme québécois…

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  • Stéphanie
    16 avril 2009

    J’aime beaucoup ton texte! Ce n’est pas facile d’arriver à faire la différence entre ce qui est inné et ce qui est acquis. Être pour l’égalité des sexes n’a effectivement rien à voir avec le fait de nier toute différence entre les sexe. Il faut juste résister à la tentation de dresser une liste de ce qui est « féminin » et « masculin ». Depuis quelques années, on assiste à un retour de balancier et à un renforcement des stéréotypes sexistes. Ou peut-être n’a-t-on jamais cessé d’y adhérer, seulement on le fait au grand jour avec la bénédiction des médias.

    On associe plus que jamais des qualités ou des traits de caractère aux garçons et aux filles, et ceux et celles qui ne correspondent pas au « moule » de leur sexe doivent se sentir très inconfortables, voire même anormal(e)s. Qui s’indigne aujourd’hui d’entendre quelqu’un dire que les filles sont comme si et les garçons sont comme ça? Pas surprenant si cela se transpose ensuite au monde du travail.

    On remet rarement en question un système qui nous avantage, cela ne surprendra donc personne que beaucoup d’hommes tiennent tant à la définition traditionnelle de la virilité mais celle-ci ne comportent pas que des avantages. Les hommes se mettent beaucoup de pression sur le dos. Comme tu le souligne si justement, cette notion de virilité « doit être quotidiennement démontrée et prouvée; la virilité n’a pas un caractère permanent, elle doit constamment être réaffirmée. » Bref, le trône est fragile et il exige d’être défendu sans répit! Quand on dépense autant d’énergie à s’efforcer de projeter perpétuellement une image de macho sans peur, à craindre de passer pour un homosexuel, à nier la souffrance, la maladie ou la peur, la virilité semble soudainement fort inconfortable!

    C’est comme porter un masque. Dans un groupe d’hommes, chacun peut très bien être persuadé d’être le seul à porter ce masque. Chacun peut croire que le masque de l’autre est un visage et chacun peut craindre d’être « démasqué » s’il ne tient pas bien son rôle. Il y a même des hommes, normalement pas macho pour 2 sous avec leur amoureuse, qui changent subitement de comportement avec elle en présence d’amis de sexe masculin (pour leur montrer « Qui c’est qui mène icitte! »)

    Beaucoup d’hommes ne consultent un médecin que lorsqu’ils ont de graves problèmes de santé, ou n’admettent qu’ils souffrent psychologiquement qu’après des années de dépression. Être à l’écoute de son corps, prendre soins de santé, manger sainement, ou prendre un temps de repos sont considérés comme des comportements féminins. Suite logique de cette croyance, admettre la souffrance devient un aveu d’imposture, un aveu d’échec.

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  • Luc
    16 avril 2009

    Je l’ai déjà vécu, Stéphanie, et effectivement ça peut être très lourd. J’ai été élevé par une mère célibataire et je n’avais pas beaucoup de modèles de « vrais » hommes autour de moi. J’ai passer une partie de mon adolescence et de ma jeune vie adulte à me construire une image d’homme avec tout ce que ça comporte. J’ai appris la mécanique, je me suis intéresser aux sports, j’ai appris à ne pas dire ce que je pensais en présence d’autres hommes, etc. Maintenant, j’ai réussi à me libérer de ce carcan. C’est une des raisons pourquoi je ne sors presque plus que dans le village gai, avec ou sans ma blonde et avec des amis gais et lesbiennes, je peux être moi-même sans avoir peur d’être jugé.

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  • Stéphanie
    16 avril 2009

    Merci pour ton témoignage. C’est frustrant quand la société t’envoie comme message que tu n’as pas les « bons » goûts, ceux qui correspondent à ton sexe. Passe-Partout a fait son gros possible pour nous apprendre à jouer selon nos goûts mais elle ne pouvait rivaliser avec les catalogues de jouets et les remarques du genre « Un garçon ça ne pleure pas », « Tu lance comme une fille! » ou « T’es une vraie Tom boy ».

    Je suis agacée par des expressions comme « films de fille » (généralement pour décrire des films que je déteste au plus haut point!) ou par des expressions comme « Ça c’est mon côté féminin » ou « masculin ». On ne devrait pas avoir à classer ses goûts et ses qualités comme si on souffrait de personnalités multiples!

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  • wallia
    17 avril 2009

    Je suis globalment d’accord avec ce qui se dit ici.

    mais il y quoi qu’il en soit cette fichue enveloppe charnelle dont on on peut constamment se défaire.

    moi aussi j’aimerais que toutes les activités et les comportemenst soient assexués mais il est des situations dans la vie de tous les jours qui nous rapellent que certaines limites existent bel et bien.

    par exemple, j’ai beau me dire que je devrais être capable de porter des charges aussi lourdes que mon compagnon, mais je suis bien obligée d’avouer que je fais régulièrement appel à lui quand le cas se présente : je n’ai pas d’autres choix que de considérer cela comme traditionnellement masculin.

    A l’inverse, quand il s’agit d’un travail de précision, force est de constater que ses grosses paluches ne s’y prêtent pas du tout et que je me sente dans  » l’obligation  » de le faire.

    J’ai beau être une féministe convaincue, je reconnais volontiers que je trouve très laid pour un homme de porter une jupe alors qu’à l’inverse je ne suis pas choquée que nous portions des pantalons et que ça n’a pas toujours été le cas. Ce n’est même pas le poids de straditions : je trouve simplement qu’en général le corps des hommes n’est pas mis en valeur par les vêtements féminins.

    Autre exemple : je m’inquiète beaucoup plus de voir l’effet du vieillissement sur mon corps que ne peut s’inquiéter mon compagnon du sien. Et c’est ainsi chez toutes mes connaissances. Nous devrions être capables d’avoir le même détachement que les homems par rapport au vieillissement physique mais il n’empêche que, féministes ou pas et même si nous sommes conscientes du détachement qu’il faudrait prendre, nous le vivons plus rudement que les hommes.

    la vie m’a appris que l’on ne peut pas tout transposer même si les intentions sont louables.

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  • Luc
    17 avril 2009

    Je crois qu’il exprime cette idée assez clairement: « Comme je l’ai déjà écrit ici, il ne s’agit pas d’abolir les genres, mais d’élargir nos horizons et de permettre un décloisonnement des genres de manière à favoriser l’inclusion d’un plus grand nombre d’individus. »

    Je suis un homme, grand et fort mais j’aime les comédies romantiques, je suis capable de parler en profondeur de mes sentiments et j’aime l’odeur du lilas. Il n’est pas question ici de nier que les hommes ont un pénis et les femmes une vulve…

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