De l’engagement féministe pour québécois.e
Féministe et francophone. Au début, cela ne m’avait paru guère original. J’ai changé d’avis. Féministe et québécoise dans un océan anglophone. Voilà. Qu’est-ce que la question francophone a d’affaire avec mes convictions personnelles ? me suis-je demandé. Double F, comme disait Marianne. So, what ?
Serait-ce un double isolement ? Isolement que les féministes doivent ressentir une fois dans leur vie. Isolement des québécois.e.s dans l’océan anglophone du ROC et des States. J’ai réfléchi à l’isolement «féministe», ou encore de cet isolement que l’on ressent parfois vis-à-vis la société en général, un découragement qui touche même les meilleur.e.s militant.e.s par rapport à la condition du monde actuel qui semble loin de nos idéaux et aspirations. L’isolement féministe de se sentir incompris.e ou méprisé.e dans un contexte global et local qui considère le féminisme dépassé. Est-ce que toutes les féministes doivent se résigner de cette mauvaise presse qu’on nous fait depuis belle lurette ? Une vague de pessimisme m’a envahie à lecture d’un article de Micheline Dumont, historienne québécoise émérite et écrivaine du livre Le féminisme québécois raconté à Camille. Cette petite phrase de l’historienne m’a choquée : En 2009, il semble bien qu’on demande encore aux féministes de se taire. Un ressac antiféministe ordonne le silence, mais lorsqu’on parle, est-on entendue à notre plein potentiel ? A-t-on assez d’espace pour être entendue ?
Ce qui m’amène à la conclusion que cet isolement des féministes se double de la question linguistique à même les milieux féministes. La particularité de notre nation québécoise est-elle un obstacle dans les milieux militants ? Cela empêche-t-il la diffusion de nos idées ? Obstacle est un grand mot, mais force est de constater que ce sont les francophones qui font l’effort de lire, parler et écrire l’anglais plus que l’inverse. Pourquoi il y a un certain fossé entre les féministes du Québec et les féministes du Canada en général ? Il y a pourtant de chouettes initiatives anglo-franco (Kickaction, Toujours RebELLES). Je ne nie pas les efforts de plusieurs féministes pour réseauter les milieux franco avec les milieux anglos, mais je ne sais pas d’où provient le fossé si ce n’est de la barrière linguistique. Je pense sincèrement que la scène féministe est bien vivante et dynamique, malgré tout.
Qu’en pensez-vous ?
Tanya
La différence entre les féministes francos et anglos.. d’où ça vient?
C’est une question que je me suis longtemps posée, alors que j’ai commencé à travailler avec des féministes anglos. Je voyais bien qu’il y avait des différences notables dans nos analyses et pratiques, mais pourquoi ces différences? Et surtout, pourquoi les deux mouvements linguistiques évoluent-ils chacun de leur côté?
Selon mon expérience et les réflexions que j’ai eues, il y a finalement plusieurs réponses à cela. D’abord, je crois qu’il s’agit d’un contexte plus global d’histoire des mouvements sociaux. Le féminisme, comme plusieurs autres mouvements sociaux, s’est longtemps construit au Québec en lien avec les mouvements de souveraineté. Même aujourd’hui que cette association est moins forte, on ne peut pas nier que les conceptions de l’identité et de la nation ne sont pas pareilles pour des francophones québécoises et celles qui s’identifient davantage au Canada anglais. Alors que les études postcoloniales sont tellement en vogue pour les féministes anglo-saxonnes, les Québécoises ont nécessairement du mal à se retrouver dans un discours qui interpelle peu les spécificités québécoises.
Tu soulèves un autre point important Marie-Anne, c’est-à-dire l’effort d’aller vers l’autre langue. Puisque l’anglais est partout, ce sont souvent les francos qui font l’effort d’aller lire ce qui se fait de l’autre côté. Et effectivement, la production académique anglophone est tellement importante que s’en est parfois étourdissant. Le temps que les textes soient traduits en français, ils sont déjà dépassés. Les débats avancent si vite que le milieu francophone peut souvent être perçu comme accusant un certain retard…alors qu’il s’agirait plutôt, selon moi, de dire que les idées évoluent différemment.
Face à ces constats, à ces différences, qu’est-ce qu’on fait? Je participe à plusieurs initiatives féministes qui tendent vers la mise en commun et partage des deux communautés et je dirais que la première clé pour que ça fonctionne est surtout de reconnaître nos différences, reconnaître que les conceptions identitaires, le rapport à la langue n’est pas le même, reconnaître que nos références ne sont pas les mêmes. Il est aussi super important de prendre le temps d’expliquer les concepts, les pratiques, et ne pas penser que les francos sont en retard si elles ne connaissent pas les notions de queer, agency, empowerment ou two-spirited !
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