Étudiante et féministe : réflexions croisées
Immergée dans le délire étudiant, je ne peux m’empêcher d’être ce que je suis : une féministe qui s’implique dans son milieu. Touchée par les différents débats entourant la Marche mondiale des femmes et la légitimité de la Fédération des femmes du Québec, je me suis sentie interpellée et je ressens le besoin d’exprimer mon point de vue d’étudiante et de féministe.
1) Trans-mission(s) et l’à-venir
Les jeunes femmes d’aujourd’hui sont partagées en de nombreuses causes, pas seulement féministes. L’environnement nous préoccupe, les droits humains, l’éducation, la politique et la liste s’allonge au fil de nos subjectivités. Suivant le rythme de notre époque, les jeunes femmes sont multidimensionnelles ; les possibilités sont multiples, nous pouvons nous réaliser selon plusieurs modalités d’existence. Surtout, embrassons ces diverses missions puisque nous avons le choix. Questions en vrac pour nous toutes :
Est-ce que cette multiplicité des champs d’actions offerts nous fait délaisser l’action féministe ? L’urgence ressentie à changer la condition des femmes s’est-elle diluée à travers les différentes branches du mouvement féministe ? (Non pas que je trouve la diversité des féminismes nuisibles, entendons-nous bien.) Où se repérer à travers tous les féminismes ? Il existe des tensions internes, des différences de principes, de valeurs, dans l’action autant que dans la pratique de tous ces féminismes. Où s’unir dans tant de différence ?
Quelle transmission s’est effectuée entre les générations précédentes de féministes et nous ? Serons-nous à la hauteur du fabuleux legs qu’elles nous auront laissées ? Les réseaux de centre de femmes, pivots de la solidarité entre femmes et féministes, auront-elle une relève pour les maintenir en vie ? Devront-ils évoluer, changer ? Saurons-nous garder vivants les acquis de nos mères et grand-mères ? Notre action féministe sera-t-elle concertée ? Fragmentée ? Se résumera-t-elle à des manifestations sporadiques de solidarité ? Notre présence sur le web sera-t-elle accompagnée d’une indispensable action concrète dans nos milieux ?
Je me turlupine donc sur l’avenir du mouvement féministe au Québec. Et pourtant, malgré toutes ces questions incessantes, j’agis, en plus d’écrire. À l’école.
2) Considérations estudiantines
Je m’implique quotidiennement au sein d’un groupe de femmes dans une université. De là m’est venue l’idée de partager mon expérience que je trouve enrichissante, mais aussi ardue, voire lassante, dans le contexte particulier qui est le mien, le nôtre. Le bassin universitaire montréalais est un terreau fertile en relève féministe. (En disant cela je suis consciente des privilèges de la classe sociale et de race visés dans cette affirmation.) Toutefois, le féminisme reste entaché d’une vile réputation autant pour les étudiant.e.s que pour toute la population.
Plusieurs obstacles surviennent pour une implication/action féministe étudiante efficace :
a) le manque de temps ;
b) le manque de structure ;
c) le manque de contact inter-groupes féministes étudiants (notamment anglos-francos ici à Montréal) ;
d) le manque d’intérêt et de solidarité de la part des groupes étudiants autres.
Les causes de ces obstacles sont à la fois sociétales et privées:
a) l’individualisme et l’apolitisation de notre génération ;
b) le relativisme de la notion d’engagement et d’activisme ;
c) les exigences matérielles de la vie courante ;
d) la mauvaise presse et le manque de reconnaissance unilatérales faites aux féminismes et féministes.
Toutes les personnes ayant de près ou de loin fréquenté les milieux militants sauront ceci : les personnes impliquées dans des groupes X ou Y sont souvent impliquées dans plusieurs groupes à la fois. Ces personnes motivées prennent souvent beaucoup ou trop de responsabilités. Il s’ensuit qu’une des conséquences endémique de l’implication volontaire est le surmenage. Ce surmenage est dangereux ; si dangereux qu’il faut constamment le guetter au détour d’une assemblée générale ou d’une discussion enflammée. Le surmenage peut être la porte d’entrée par excellence pour le découragement, voire la dépression, et une position nihiliste de désengagement ou de retrait.
Il est difficile de s’organiser dans le milieu étudiant en tant que féministe, car à ce niveau il y autant de sensibilisation à faire qu’ailleurs. La solidarité entre les groupes étudiants n’est pas acquise ; plusieurs personnes se demandent même de la pertinence d’un groupe féministe sur le campus. Les mêmes dynamiques de domination sont à l’œuvre dans les classes et dans les groupes étudiants (mêmes s’ils sont de gauche, progressistes, écolos, et tutti quanti) que partout ailleurs dans la société. Le phénomène/mythe de l’égalité-déjà-là, je le ressens à fond à l’université. Et je me demande qu’est-ce que ça va devenir d’ici quelques années.
Je refuse d’être pessimiste ; mais je ne peux m’empêcher de constater que c’est difficile, même pour des jeunes féministes, d’être féministes dans leur milieu.
J’exprime une réalité que bien d’autres ont vécu avant moi. Je sais que je ne suis pas au bout de mes peines si je continue à m’impliquer dans les milieux féministes, considérant le sous-financement chronique des groupes féministes ou des groupes de femmes, tant communautaires ou engagés. Je sais aussi que la réponses des gouvernements est souvent prudente (voire nulle) par rapport aux revendications politiques des femmes. (On a qu’à regarder les échos de la Marche mondiale des femmes au niveau provincial, pire, au fédéral!) Partout ailleurs, on s’entête à vouloir ridiculiser et diviser les milieux féministes.
Toutefois, il y a des jeunes femmes qui s’organisent : Kickaction, Magazine Authentik, Campus féministe de l’UdeM, Collectif RebELLES Montréal et ailleurs, Centre des femmes de l’UQAM, les Gynocrates attaquent à CISM, l’ELLES des femmes à Radio Centre-Ville, Collectif La Riposte, Les Sorcières, Les Furies, Magazine Shameless, The F!Bomb, Centre for Gender advocacy, et encore plusieurs autres que j’oublie.
Ce sont des groupes et organismes qui militent activement de différentes façons et pourtant on ne les connaît pas. Alors informons-nous et arrêtons de dire que les jeunes femmes ne s’identifient pas aux féminismes ; peut-être que notre présence est moins éclatante et médiatisée qu’avant, mais so what ? On est là, on existe et on continue d’agir !
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Noisette Sociale
Excellent texte, madame la présidente 😉
Je vois qu’on fait du pouce sur la même réflexion ces temps-ci et je suis contente que tu aies pu mettre les mots de façon aussi claire sur la mienne.
Être féministe en 2010, je trouve que c’est un défi incroyable, entre autres parce que tu as mentionné le facteur « individualisme » qui est nettement trop présent dans le paysage actuel. La démobilisation et la vampirisation de nos discours sont certainement un autre problème.
Les jeunes femmes de notre génération ont tellement peur d’être étiquetées comme « frustrées » (et ça, c’est mon analyse personnelle) qu’on dirait qu’elles n’osent plus prendre position ou dénoncer tout simplement une pub sexiste, par exemple, de peur de se faire traiter comme une sorcière.
J’aime que tu aies pointé aussi le fait que les gens ont tendance parfois à s’impliquer dans trop de groupes à la fois et dans ce temps-là, une association peut perdre au change. C’est pour ça que j’ai décidé de m’impliquer dans une seule organisation cette année et ça sera au Centre des femmes de l’UQÀM. C’est sûr que je reste sensible à d’autres causes parce que le féminisme est relié à tellement de choses! Mais si on veut être efficace, il faut savoir concentrer ses énergies.
C’est un peu brouillon tout ça mais je voulais surtout te dire bravo pour ta réflexion. J’espère avoir l’occasion de te lire plus souvent dans le futur. 🙂
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Julie Muret
Bonjour
On sent poindre le découragement dans votre post !
C’est vrai, le féminisme est fondamentalement subversif, il bouleverse les repères de la société patriarcale. En ce sens, il dérange et pour l’affaiblir, il a souvent été ridiculisé. Il est difficile de s’affirmer féministe, on est sans arrêt attaquée, sommée de se justifier. Parfois, le féminisme est noyé dans d’autres causes, il passe en second plan et c’est dommage, car c’est déjà une théorie suffisamment subversive pour s’y consacrer à elle seule. Mais en même temps, c’est une cause noble, juste, exaltante, humaniste, au nom de l’égalité femmes-hommes. Alors restons soudées, ensemble, solidaires. Parfois des jeunes féministes, le sont dans leur coin, se sentent isolées et et sont ravies de rejoindre des groupes qui partagent leurs idéaux. En tous cas, c’est ce que nous essayons de faire de l’autre côté de l’atlantique en France et bientôt en Belgique avec Osez le féminisme, nous essayons de fédérer les énergies et les bonnes volontés pour faire avancer les droits des femmes, et ça marche ! Ainsi, nous faisons mentir tous ceux qui affirment que notre génération est individualiste, désengagée, désolidarisée… En fait, c’est aussi un stéréotype de notre génération de 25-35 ans
Alors courage !
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Edenne
Marie-Anne, je te remercie de ton listing des causes faisant obstacle à l’implication d’étudiant.es au sein de groupes se présentant comme féministes.
En revanche, j’aimerais souligner que ce n’est pas nécessairement le label « féministe » qui fait en sorte qu’une implication contribue à l’avancement de la condition féminine. Au contraire, pourquoi limiter notre implication aux groupes touchant directement et seulement les femmes? S’impliquer dans au sein de groupes politiques, de cliniques défendant les droits de la personne, ou auprès des journaux c’est également mettre à profit ses idées féministes. En ce sens, il existe de nombreux(ses) féministes œuvrant au sein de ces groupes et organisations (certain.es ne s’affichent pas en tant que tel, mais leurs actes laissent soulignent leurs idées féministes).
Finalement, si l’on affirme qu’il est difficile d’être féministes au Québec en 2010, je me demande ce qu’ont à dire les millions de femmes vivant à l’extérieur du Québec au sein d’un cadre patriarcal et de normes sociales rigides…
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Marie-Anne
Edenne, mon article est un témoignage sur mon expérience. Je n’implique rien d’autre que ce que je ressens du milieu. Et comme je précise d’entrée de jeu, nous avons le choix maintenant de s’impliquer dans de multiples causes. Et puis, j’ai écris ce billet en réaction avec les débats qu’il ont eu lieu par rapport à la FFQ et la MMF, car souvent on répétait l’inaction ou la non-identification des jeunes femmes au féminisme à laquelle je voulais répondre que non, il y a des jeunes femmes qui s’organisent en tant que féministes. Bien que je sois d’accord avec toi qu’il y a des femmes qui ne s’identifient pas au féminisme et qui le sont de par leurs actes, je ne trouve pas que c’est « acquis » et « facile » d’être féministe lorsqu’un système tente toujours de déstabiliser ce mouvement. Peut être qu’un groupe « touchant directement et seulement les femmes » n’est pas assez large pour toi, mais il l’est pour moi et c’est très bien ainsi.
C’est certain que nous ne sommes pas en Iran ou en Turquie, chère Edenne, et que de parler de « difficulté » peut te sembler prétentieux ou présomptueux, mais de guerre lasse je te dirai que je ne trouve pas ça facile d’essayer d’organiser efficacement – avec d’autres – un groupe féministe à l’université. La comparaison peut-elle vraiment être faite ? Est-ce honnête intellectuellement de comparer mon témoignage sur mon implication ÉTUDIANTE dans un milieu PRIVILÉGIÉ avec ce que « les millions de femmes vivant à l’extérieur du Québec au sein d’un cadre patriarcal et de normes sociales rigides » vivent ? Non, bien entendu. Hors de question. Je parlais d’un contexte précis que j’ai précisé d’emblée.
En tout cas.
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J.
Je me dis féministe, mais (à date) ne me suis impliquée dans aucun groupe proprement « féministe », ni dans quelque autre groupe en tant que féministe. J’aime participer à des actions et événements ponctuels, et l’étiquette « féministe » ne me dérange pas du tout. Après tout, on me prend déjà pour une « femme », quoi de pire peut-il m’arriver?
J’assume en revanche ouvertement une certaine réticence à m’impliquer dans quoi que ce soit à long terme, ou à porter une étiquette trop serrée ou concrète. Sans doute suis-je profondément individualiste (et je ne m’en excuse pas). J’ai peur de me retrouver, par le fait de m’être formellement engagée auprès d’un groupe, à mener des batailles en lesquelles je ne croirai pas à 100%… (C’est déjà le cas.) Et je n’ai pas spécialement envie que l’on « m’éduque », que l’on m’apprenne à être « plus » ou « mieux féministe ». Je m’aime comme je suis. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis féministe.
Autre chose: Je crois à l’action politique de masse, mais, voyez-vous, davantage pour les militantEs que pour « les autres ». Cela fait du bien de se sentir entouréE. Tandis que pour les autres, au contraire, ce n’est que d’autant plus menaçant; il est trop facile de catégoriser et de déshumaniser un groupe (« Ah, oui, les féministes… » Sortez-moi de ce sac que je ne saurais voir!!). Alors je lutte seule en attendant une autre Révélation; j’essaie d’expliquer le féminisme à ma soeur, à ma mère, à mon chum. J’en parle sur mon blog (qui est à propos d’autre chose), sur des forums, etc. J’investis des lieux non politisés, sans cacher que le féminisme est politique, mais au moins je peux dire: et pourtant je suis comme vous, sans allégeance et surtout sans autorisation (les militantEs sont toujours tellement *autoriséEs*, on en pleure)…
Enfin, ce n’est pas qu’une stratégie politique, c’est essentiellement la réalité: car avant d’être féministe, je ne suis qu’un être humain. (C’est d’ailleurs pour cela que je suis féministe.)
Ceci dit, je suis toujours ouverte pour parler. Cela fait peu de temps que je suis à la recherche d’un groupe avec lequel/au sein duquel *parler* de féminisme.
NB: Je ne voudrais pas non plus qu’on interprète ce que j’ai dit comme une réticence à combattre l’oppression de front. Je pensais surtout, dans le sujet, à la sensibilisation de femmes non-politisées.
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Joëllita
Oui, il me semble aussi qu’il y a plusieurs façons de se politiser en marge des mouvements (pour celles et ceux à qui la vie de groupe ne convient pas). Pour moi, concrètement, ça passe par l’enseignement (j’enseigne à l’université) : mettre des oeuvres de femmes au curriculum, souligner la misogynie là où elle est, poser des questions d’interprétation dans une perspective féministe même hors des cours d’études des femmes. Le féminisme est un regard, et je le traîne avec moi au cinéma comme à la classe — je ne peux pas faire sans.
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