La gestion féministe

Connaissez-vous une bonne recette de ketchup? Parce que je m’apprête à me faire lancer des tomates!

Dans le cadre de mon travail dans un organisme communautaire, je suis invitée la semaine prochaine à une réflexion sur les défis que pose la gestion féministe. Il est parfois difficile de concilier l’approche féministe que nous prônons auprès de nos usagères (femmes qui fuient une relation violente) et la gestion de nos équipes au quotidien, qui demande parfois son lot de « maternage » et de supervision. Il m’est arrivé plus d’une fois, lorsque je demande à une collègue qu’elle me rende des comptes, de me faire répondre « tu tentes de me contrôler, tu n’es pas féministe! » Excuses de mauvaise employée, me direz-vous. N’empêche que c’est confrontant.

Pour moi, un des défis majeurs (et une des raisons pour laquelle je vais me faire ramasser) est le conflit de génération dans mon milieu. Les gestionnaires plus expérimentées ont connu une époque d’effervescence sociale qui n’a rien à voir avec le marasme d’aujourd’hui. Elles travaillaient pour les femmes sans compter leurs heures toute la semaine, et emmenaient les enfants à la manif la fin de semaine! Difficile pour les plus jeunes d’éviter de passer pour désengagées, dépolitisées, « mauvaises » féministes, quoi. Les plus âgées ont du mal à passer le flambeau, à la fois parce qu’elles n’ont souvent pas les moyens de la retraite (les salaires bas et le manque d’avantages sociaux n’aident pas à préparer les vieux jours)  mais aussi parce qu’elles n’ont pas confiance, qu’elles ont peur de lâcher prise. Ça laisse peu de place pour la relève!  

Alors la gestion féministe est-elle possible? Est-elle souhaitable?

11 Comments

  • Rosella Melanson
    8 février 2011

    Bonne chance et je gage que ça se passera bien, parce que tu en parles avec perspicacité. Je conseille cependant, de faire attention au commentaire que les plus âgées ont du mal à passer le flambeau. Pourquoi une femme doit-elle passer le flambeau ? Les féministes ne mangent pas les aînées. Je suggère que c’est là un cliché à questionner, à banir (tout comme l’expression « la relève » comme si les prochaines vont faire la même chose, comme si une génération est homogène, comme si je n’avais pas plus en commun avec la femme de 25 ans nouvellement indignée et celle de 80 ans qui se radicalise avec l’âge comme il arrive souvent – qu’avec les femmes de mon âge. La gestion féministe est possible & souhaitable et ne permet pas la dévalorisation.

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  • Martin Dufresne
    8 février 2011

    Certains problèmes persistent dans le temps et il peut être utile de tirer profit de ce qu’en ont dit d’autres féministes qui se sont colletées avec… Celui-ci, par exemple, a été écrit au tout début de la deuxième vague pour tenter de comprendre et dénouer certains problèmes de non-dit au sein des « collectives » féministes: « La tyrannie de l’absence de structure » (Jo Freeman, 1970) – http://tinyurl.com/66hjk9r

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  • Martin Dufresne
    8 février 2011

    Étant de la génération qui a tendance à s’incruster dans des rôles de parole, je ne suis pas prêt à « bannir » toute expression du sentiment qu’il y en a qui ont de la difficulté à passer le flambeau.

    Je participe au COUAC et je patine fort dans les coins pour que l’on dépasse le réflexe de « demander un papier à Untel qui connaît bien le dossier » et qu’on ouvre plutôt le journal à de nouvelles plumes qui n’ont besoin que d’un encouragement pour se mouiller.

    Quand j’assiste à un panel sur un sujet chaud, ça me gêne de voir la parole souvent confiée à des gens de mon âge plutôt qu’àa des jeunes ou des non-universitaires susceptibles d’amener des perspectives nouvelles, contestatrices, dérangeantes.

    Je ne parle pas des attentes et des frictions en milieu de travail, comme Isabelle, où la problmatique est plus complexe. Mais, au niveau du discours et des places au soleil, il est clair que certain-es ronronnent – pour ne pas dire roupillent – dans les mêmes ornières depuis un peu trop longtemps.
    Voir notre article CADAVRES ET FESTIVAL en page frontispice du numéro de février sur ce problème dans la gauche établie (http://www.lecouac.org)

    Bravo Isabelle d’accrocher le grelot…

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  • rosella Melanson
    8 février 2011

    Mais a quelle age est-ce qu’on les fait taire et les fait passer le flambeau ? Quel principe feministe nous permet de se defaire de ces « elders » ?

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  • Martin Dufresne
    8 février 2011

    Il me semble que le principe féministe en jeu est celui d’intégrer des plus jeunes aux rôles de leadership pour maintenir une intergénérationnalité (ça s’dit-y?), de faire place aux voix moins érudites mais parfois plus expérimentées, de céder graduellement les positions salariées ou de représentation, de travailler à démanteler une méfiance de part et d’autre – qui, à en croire Luce Irigaray, reflète souvent le conflit mères-filles entretenu par le patriarcat.

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  • Clara
    9 février 2011

    Ton pb est un pb de positionnement. Quand les mots sont piégés faut savoir en employer d’autres : on peut toujours revendiquer une filiation féministe (certes je me reconnais dans cette bonne vieille famille féministe) mais les combats sont aujourd’hui anti-sexistes (où hommes et femmes sont au coude à coude, où les femmes aussi peuvent être violentes).Peut-être que c’est cela que tu veux faire passer ? T’assumes ta génération sans faire passer à la trappe les plus vieilles comme moi.Tu sors du binaire conflit de génération. Une elder.

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  • Marie-Anne
    12 février 2011

    Tu soulèves un bon point, Isabelle ! Pour ce qui est de la gestion féministe, c’est vrai qu’il faut du doigté, d’autant plus dans les milieux féministes. Mais il est important de distinguer supervision VS contrôle, efficacité VS pression, leadership VS autoritarisme…Je ne connais pas le milieu de travail et/ou milieu communautaire féministe, mais dans un groupe bénévole étudiant, il faut faire pas mal de ces distinctions-là pour ne pas se piler sur les pieds et se fâcher.

    C’est un sujet passionnant auquel je réfléchis depuis que je me suis engagée dans mon centre de femmes à l’école…Parce que la domination existe entre femmes ET AUSSI entre féministes, il faut être vigilant.e.s lorsqu’on s’organise pour ne pas perpétuer des tactiques nuisibles.

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  • Martin Dufresne
    13 février 2011

    Sur le tract appelant à une manif à Paris en solidarité avec les Italiennes aujourd’hui:

    « L’Italie a eu le plus grand mouvement féministe d’Europe, explique Francesca Comencini, mais il n’y a pas eu de transmission aux générations suivantes. » « Les féministes historiques n’ont pas assuré la maintenance des droits conquis. Tout le monde est retourné chez soi, croyant la partie terminée, regrette Nicoletta Dentico, responsable de l’association Filomena. Nous payons le prix fort de cette absence de mobilisation. »

    « En Italie, la politique sociale repose sur les femmes, explique Mme Dentico. Quand il faut sacrifier quelqu’un pour s’occuper des enfants ou d’un parent âgé, c’est vers elles qu’on se tourne. Nous avons obtenu la parité, mais tout le reste manque. Il faut faire émerger les femmes normales, qui travaillent, réussissent sans se vendre. » « Maman ou putain, ce n’est pas un choix, mais un double piège », s’indigne Michela Marzano. (…)
    Source: http://re-belles.over-blog.com/article-l-italie-au-feminisme-67018870.html

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  • julie s.
    14 février 2011

    Isabelle,
    étant moi-même l’une de ces « jeunes » féministes, travailleuse en maison de surcroît, je peux te dire qu’en ce qui me concerne, les « elders » ont une place sacré au sein de nos organismes. Et pour cause! Je suis toujours frileuse aux démarches qui vont dans le sens d’un non respect de l’ancienneté (mot terrible) des collègues.

    Ceci étant dit, il est vrai qu’il peut être difficile pour nous (dites jeunes) de prendre une place qui nous convienne. Je suis toujours un peu irrité de constater que de l »avis de certaines pionnières, la jeune génération est désengagée. Je ne me considère pas désengagée, au contraire, je voudrais (secrètement) souvent en faire bien plus pour les femmes. J’envie l’époque à laquelle on accueillait des femmes et enfants dans nos salon quand les chambres étaient pleines! (les filles de S.O.S. doivent êtres nostalgiques aussi dans mon coin!) Je suis jalouse d’une époque ou une manif déplaçait plus de 20 femmes! J’envie la liberté d’action de mes collègues fondatrices de maisons. J’admire leur certitudes aussi.

    Bien sûr l’intervention féministe s’est affiné avec le temps, bien sûr la génération qui est passé avant moi à réfléchi et baliser pour assurer une aide uniforme et complète…
    Mais je n’y étais pas quand la réflexion s’est faites! Pour moi c’est ça le « conflit des générations ». Une génération de filles qui ont eu pour parents des penseurs beaucoup plus libres (la plupart) que leur propres parents. Une formation différente aussi. Alors notre idée des priorités peut être un peu différente, nos façons de faire aussi.

    Notre oppression, bien que fondamentalement la même, s’est exprimée et s’exprime encore de façon bien plus subtile et insidieuse. Je sais que moi, par exemple, je n’ai pas toujours les réflexes d’intervention (et d’interactions) que mes savantes/expérimentées collègues ont.

    J’ai envi de refaire de le monde, moi aussi, comme elles l’ont fait.

    Le problème, il semble, c’est que ce monde est justement celui que mes collègues se sont tuées à bâtir, alors quand je veux mettre la hache dedans… Quand je remet en question nos façons de faire ou d’être, j’ai l’impression que c’est à leur travail acharné que je m’attaque. Inutile de dire que je le fais bien peu!
    Et puis, j’aimerais ça emmener ma fille travailler avec moi quand on a pas de garderie, ou quand il y a en maison un enfant de son âge qui s’emmerde. Je veux bien aller aider les femmes à récupérer leurs affaires chez elles, avec mon char et toute mon arrogance! Mais ça n’est plus permis, l’éthique, les assurances, tu sais…

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