Le huit mars, je brise un tabou : je dénonce.

Un tabou est (entre autres) un sujet dont il ne faut pas parler au risque d’en subir les conséquences.  Dans certaines cultures, tout le monde sait de quoi il-ne-faut-pas-parler-au-risque-d‘en-subir-les-conséquences.  Depuis la Révolution Tranquille, les Québécois et les Québécoises se sont plutôt targués d’être modernes, balayant du revers de la main tout ce qui pouvait s’apparenter à la tradition.  Aujourd’hui, les femmes divorcent.  Les femmes avortent.  Certaines militent pour avoir le droit de se prostituer, voir même d’en prostituer d’autres.  Au cours des récents débats sur les accommodements raisonnables, nous avions deux valeurs derrière lesquelles nous rassembler : la laïcité et, surtout, l’égalité entre les hommes et les femmes.  Alors quel tabou pouvons-nous bien avoir encore?

Celui derrière lequel votre oncle, votre grand-père ou tout autre homme de votre famille a assuré sa sécurité après vous avoir touchée, peut-être violée.  Oui, encore aujourd’hui, seulement 10 % des agressions sexuelles sont déclarées à la justice.  Oui, encore aujourd’hui, la norme semble être de régler ça «à l’interne», sans bruit.  Un avertissement, un «ça ne se fait pas», et puis voilà.  Et Monsieur reste présent à toutes les fêtes familiales, de Noël à Pâques, en passant par les anniversaires.  C’est comme si on vous disait sans cesse : «ça n’existe pas, ça n’a jamais existé».  Et pourtant.  Les agressions sexuelles existent et causent chez leurs victimes beaucoup plus de dommages qu’on ne pourrait l’imaginer.  Vous savez, vos comportements dysfonctionnels que vous ne savez trop comment expliquer?  Et oui.  Ils s’enracinent probablement à votre agression.  L’agression sexuelle durant l’enfance  avoir plusieurs conséquences :

Elle peut entraîner des CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES telles que :

  • La culpabilité et la honte
  • La peur
  • L’anxiété
  • La colère
  • La confusion
  • La dépression
  • Un sentiment d’impuissance
  • Une perte de confiance et une faible estime de soi
  • Des réminiscences (ou flash-back)
  • La perte de leur innocence et de leur liberté, etc.
  • Elle peut occasionner des TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES tels que :

  • L’impression d’être engourdie, de ne pas vivre ou de ne pas être en prise avec le réel
  • Une douleur générale dans le corps qui ne peut pas être soulagée par des soins médicaux, ni par des médicaments, etc.
  • Elle peut provoquer des RÉACTIONS PHYSIQUES telles que :

  • Des crises d’angoisse (difficulté à respirer, battements de coeur rapides, nausées)
  • Des troubles de sommeil (cauchemars, insomnie)
  • Des troubles alimentaires, etc.
  • Elle peut avoir des INFLUENCES SOCIALES telles que :

  • L’isolement social
  • Des difficultés à faire confiance aux autres
  • Des difficultés dans les relations interpersonnelles
  • Des troubles d’apprentissage, etc.
  • Elle peut mener à des COMPORTEMENTS DESTRUCTEURS tels que :

  • L’automutilation
  • La promiscuité
  • La prostitution
  • La consommation excessive d’alcool ou de drogues (somnifères, tranquillisants, substances toxiques, etc.)
  • Des idées suicidaires ou des tantatives de suicide
  • Sexualité anormale, dysfonctionnelle ou à la continence, etc. (http://www.centrepasserelle.ca)
  • Comme mon inconscient, jusqu’à tout récemment, me cachait cette information, cela m’a fait un choc de prendre conscience de l’ampleur des torts causés.  Cela m’a fait très mal.  C’était comme si on avait collé un sparadrap sur une blessure et qu’on l’avait laissée là, sans air, sans médicament, sans possibilité de guérison et ce, pendant vingt ans.

    La gestion des cas d’agressions sexuelles ne se fait pas partout de la même manière.  Chez les Dayak, lorsqu’un homme est pris en train de perpétrer ou de tenter une agression, il devient la risée du village.  Il perd ainsi son aura de terreur et le fardeau de la honte n’est pas portée par les victimes (Helliwell, 2009).  On m’a dit que chez certaines communautés amérindiennes, les agresseurs sexuels étaient traditionnellement rejetés du clan et laissés à eux-mêmes : ils étaient souvent retrouvés morts.  Dans notre culture québécoise «sans tabou», le recours au système de justice est le seul moyen de reconnaître officiellement le tort qui a été causé, et par le fait même, d’enlever le sentiment de culpabilité des personnes qui ont été atteintes par l’agression.  Car qu’on se le dise : l’agression sexuelle est le seul crime en Occident pour lequel les victimes se sentent plus coupables que les agresseurs.

    Depuis que j’ai commencé à en parler, j’ai appris plusieurs choses.  D’abord, je dirais qu’au moins la moitié des personnes avec qui j’ai discuté de ce sujet m’ont avouée avoir été elles aussi victimes d’une agression, toutes avant l‘âge de dix-huit ans.  Cela est représentatif des statistiques : les 2/3 des victimes sont âgées de moins de dix-huit ans, huit victimes sur dix connaissent leur agresseur, sept agressions sur dix ont été faites dans une résidence privée.   La statistique disant qu’une femme sur quatre sera agressée sexuellement au cours de sa vie m’apparaît de plus en plus véridique.  D’ailleurs, saviez-vous que la très grande majorité des femmes évoluant dans les industries du sexe auraient été agressées sexuellement durant leur enfance?

    Je remarque aussi que ce n’est qu’une fois l’abcès éclaté que l’on peut commencer à guérir.  De manière individuelle, mais aussi familiale.  Car ces non-dits et ces tabous grugent les liens de solidarité beaucoup plus que l’on ne pourrait le croire à première vue.  Pensez-y : peut-on réellement entrer en relation lorsque l’on a été habilitée à occulter une partie entière de notre identité?  Peut-on réellement se faire confiance quand, dans l‘espace public, on ne cesse de dire que l‘agression sexuelle est une horreur et que d‘un autre, nous avons en tête l’image de notre agresseur qui va d’une fête à l’autre comme si rien ne s’était jamais passé?  Le déni est souvent le seul moyen de survie.  Je vous assure qu’à long terme, cette position est intenable.  Surtout quand on aspire à devenir une jeune femme bien dans sa peau, épanouie et intègre, entière.

    Cette année, à l’aube de mes vingt-trois ans, j’ai décidé de me faire un cadeau : fracasser le mur du mensonge et dénoncer.  Ce cadeau va bénéficier à mes cousins et mes cousines, qui ont vécu les mêmes expériences que moi.  Il va aussi bénéficier à mes oncles et à mes tantes, qui pourront pour la première fois en parler ouvertement et, par le fait même, déverser leur lot de culpabilité sur les épaules du principal responsable.

    Je le fais aussi par principe.

    Pour pouvoir vous en parler en cette journée internationale des femmes et vous inviter, vous aussi, à dénoncer.  Même si ça fait mal.  Après, on se sent tellement mieux.  C’est promis.

    Par le fait même, je vous souhaite aussi, et surtout, d’être entourée comme je l’ai été jusqu’à maintenant.  Et de connaître des hommes qui seront vous démontrer que, contrairement à ce que certains courants féministes prétendent, il n’y a pas un agresseur qui sommeille en chacun d’entre eux.  Parfois, ils ne demandent qu’à mieux comprendre pour pouvoir aider.

    Bon huit mars, les femmes!

    SOURCE
    Helliwell, Christine.  2000.  « »It’s Only a Penis »: Rape, Feminism, and Difference» In Signs, vol 25 no 3, pp. 789-816.

    QUELQUES RESSOURCES

    La Concertation des Luttes contre l’Exploitation Sexuelle (CLES)

    Regroupement québécois des CALACS (Centres d’Aide et de Lutte contre les Agressions à Caractère Sexuel)

    Viol Secours

    Questions légales

    Par Déborah

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