Philippines: Partir ou rester
Voici une première appréhension de la condition féminine au Philippines. Selon moi, deux situations caractérisent la double oppression à laquelle les Philippines doivent faire face. Partout, que ce soit en Amérique latine, en Afrique ou en Asie, on remarque les différentes influences de l’Occident et les rapports de pouvoir qui s’y rattachent et ce encore plus particulièrement dans des pays qui ont vécus de longues périodes de colonisation. Dans ces endroits, on ressent des tensions profondes venant des populations locales pour retrouver leurs traditions et refuser la dictature économique et culturelle de l’Occident. Parfois ceci passe par un traditionalisme religieux radical, au dépit de certains groupes (femmes, enfants…). Enfin, c’est ce que j’ai pu ressentir en Afrique de l’Ouest.
Tout ceci pour dire que les pays du sud subissent toujours, même longtemps après le départ des colonisateurs, une forte influence exercée par l’Occident, un désir de rapprochement et d’éloignement simultané. Pour les Philippins, et plus particulièrement pour les Philippines, car plus convoitées, le rapprochement de l’Occident est salvateur. Ceci se fait soit par l’union à un homme blanc ou en travaillant à l’étranger. L’homme blanc est perçu comme un sauveur, comme le missionnaire des temps coloniaux, emmenant avec lui toute civilité et conforts matériaux. À Manille, les bars sont pleins d’hommes américains, allemands, australiens, canadiens, accompagnés de femmes philippines. Je ne lance pas la pierre a ceux qui se rencontrent en voyage et qui passent quelques nuits ensemble, je ne suis pas une grande moralisatrice. Mais il me semble que lorsqu’une même situation se répète devant mes yeux une centaine de fois en une soirée, il y a une tendance qui se dessine, une tendance aux implications plus grandes certainement que celles que l’on peut percevoir. C’est ce que je tente de comprendre. La tendance que j’ai ressentie est la jeune femme philippine qui se vend, son corps, ses attraits, sa compagnie, son sourire… Il y a de la prostitution, il y a aussi de celles qui s’unissent avec des hommes souvent une cinquantaine d’années plus âgées qu’elles. Je ne juge pas non plus les différentes formes de l’amour … mais la tendance générale ne semble pas annoncer les grands amours… à partir de 9h le soir, dans les rues de Manille, ont vend du Viagra… Pour ces femmes, rencontrer un étranger c’est réussir leur vie, c’est avoir quelqu’un qui peut, peut-être, pendant quelques soirs, quelques années, combler les besoins matériaux et le rêve de partir, quitter pour toujours la misère des Philippines. Pour les femmes philippines, la problématique n’est pas seulement celle de la prostitution, mais d’une double domination : patriarcale et impérialiste. Beaucoup ont le sentiment, et la réalité, de ne pas pouvoir réussir d’elles-mêmes.
Quelles sont les possibilités pour la femme philippine? L’éducation n’est accessible que pour les plus aisés. Ceci est clairement indiqué et compris par tous, l’éducation gratuite n’est même pas une possibilité; au verso du billet de 500 pesos deux femmes sont penchées au-dessus d’un livre, l’une qui regarde vers le haut avec un air inquiet … il est inscrit au bas de l’image ‘Study Now, Pay Later’. Ainsi, si la femme philippine ne peut se rendre à l’école et ‘Pay Later’ l’option qui lui reste, comme pour une grande partie de la population philippine, c’est le travail à l’étranger. Plus d’un million de Philippins quittent chaque année leur pays. Les États-Unis, l’Arabie Saoudite les Émirats Arabes Unis et le Canada ont les plus grandes concentrations de Philippins qui y travaillent. Une grande majorité sont des infirmières qui travaillent en Arabie Saoudite, certaines médecins passent pour des infirmières dans l’espoir de trouver leur bonheur outremer. Ensuite, il y a les femmes qui se marient avec des hommes sur Internet pour émigrer, on nomme ces femmes les ‘mail-order brides’ qui souvent terminent dans des situations d’esclavage.
Les femmes de GABRIELA m’ont expliqué les origines historiques de ces traditions. D’abord, chez les populations autochtones, les femmes détenaient des positions sociales importantes, cette tradition connaît une certaine continuité car beaucoup de femmes travaillent et détiennent même des hauts postes. Ensuite, les premiers colonisateurs, les Espagnols, ont emmené et implanté le système féodal de gestion des terres qui existe toujours et, évidemment, le système patriarcal qui l’accompagne. La propriété privée qui appartenait aux Espagnols est détenue aujourd’hui par quelques 80 des plus riches familles philippines. Il y a 400 ans, jusqu’à aujourd’hui, les Philippins ne sont toujours pas propriétaires de leurs propres terres, ce qui rend quasiment impossible l’acquisition de richesses. Puis, il y a eu la colonisation américaine qui ne s’est pas terminée lorsque le pays a été déclaré indépendant, la présence militaire américaine demeure jusqu’à aujourd’hui. Avec elle s’est développé une culture de la prostitution, les femmes des villages près des bases y trouvaient une solution économique. Elles se sont transformées à travers les années en une commodité de l’homme blanc; pour le militaire, mais aussi le businessman, le voyageur … 40% des prostitués dans les rues de Manille sont des étudiantes et 8 femmes sur 10 qui se prostituent sont aussi victimes de violence.
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Ceci est le troisième texte d’une série de quatre. Je suis en stage aux Philippines avec le groupe militant GABRIELA, un organisme qui regroupe plus de 250 groupes de femmes aux Philippines et à l’étranger. Cette association travaille pour la défense des droits des femmes indigènes.
DominiqueB
Très bon article, il me semble en effet que les problèmes de prostitution et d’éducation que vous citez sont intimement liés à la misère structurelle qui frappe la majorité de la population, ce qui s’observe hélas dans beaucoup d’autres régions du globe.
Même si cette prostitution est consentante, ( disons préférable à la misère, ce qui est fort possible ), on peut se demander pourquoi le même phénomène n’apparait pas de façon aussi nette chez nous.
Je suppose hélas que la situation épouvantable des enfants des rues à la merci de la drogue et de la prostitution ( à un âge où nos enfants savent à peine parler ) ne s’est guerre améliorée et ne prends pas le bon chemin. La prostitution ne doit pas arranger la natalité et la pauvreté.
Pourtant les solutions existent, l’éducation gratuite pour tous serait déjà un bon début. Que font les politiques locaux?
Vous parlez de « traditionalisme religieux radical », avez vous des difficultés à convaincre ces femmes d’utiliser des moyens de contraception et de protection contre les MST?
Bon courage à vous.
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J.
D’après ce qui est dit, je n’ai pas l’impression que le repli sur un traditionalisme religieux radical soit particulièrement le cas aux Philippines. Sur ce sujet, l’auteure parle de l’Afrique de l’Ouest; j’ai trouvé le même genre de remarques chez des féministes postcoloniales indiennes: les femmes portent tout le poids de la transmission de la culture/religion traditionnelle (en devant s’y plier à tous les égards), tandis que les hommes, eux, ont le droit de s’habiller à la mode occidentale, d’avoir un métier moderne, etc.
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Raphaelle
Au sujet du ‘traditionalisme religieux radical’, en effet j’ai cité l’Afrique de l’Ouest, musulmane, qui utilise se retour à la religion pour se distancer, voir opposer, l’occident. Les Philippins, eux, sont chrétiens, comme la majorité de l’Occident. Il y a moins d’opposition directe, mais cette religiosité est ‘radicale’, non par la pratique individuelle, mais par l’influence politique de l’Église. Comme il a été spécifié dans l’article précédant, une loi pour les droits reproductifs a été refusé, malgré l’accord de la population à 70%. Les femmes des bidonvilles que j’ai rencontré ont recours a la ligature des trompes comme moyen de planning familial…
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