L’amour est (-il vraiment) dans le pré ?

Je me suis pliée à l’exercice étonnant d’écouter la première de l’émission L’Amour est dans le pré à V Télé. Oui, oui, V Télé, vous avez bien lu. Débutant le 26 janvier dernier et animée par la chanteuse Marie-Ève Janvier, le concept de l’émission est tout simple: il s’agit de matcher 5 (jeunes) agriculteurs avec une prétendante choisie parmi plusieurs autres. Puis espérer que le grand Amour soit au rendez-vous (organisé).

Notons que le pouvoir décisionnel d’exclusion et de choix des prétendantes est totalement dans les mains des agriculteurs. Je serais curieuse de voir une saison de l’émission où les rôles seraient inversés, même si cela resterait dans une prémisse hétérosexuelle. Ce n’est rien d’autre qu’une énième émission de rencontres  exploitant des situations «romantiques», des «moments magiques», mais comme toute télé-réalité, elle fait ses choux gras sur les quiproquos et les humiliations entre les participant.e.s.

Vous vous doutez bien que je ne suis pas le public cible de l’émission. Je m’y intéresse simplement parce qu’il aborde (superficiellement) la question du «célibat forcé» des agriculteurs/trices, ce qui me permet ensuite d’aborder la place des femmes en agriculture.

Demandant un engagement complet, l’agriculture ne peut pas être un travail à temps partiel. Physiquement demandant, contraignant dans les horaires (c’est du 7/7, 365 jours par année), l’agriculture reste une forteresse masculine lorsqu’on regarde la disparité dans la propriété des fermes agricoles au Québec : un total de 3560 fermes étaient exploitées par des femmes en 2007 sur 30 754 fermes québécoises. (Pronovost : 2007) Les femmes sont très présentes dans l’agriculture québécoise, mais leur place n’équivaut pas celle des hommes. De plus, un manque de reconnaissance des compétences des femmes est observé, ainsi qu’un machisme profondément ancré dans la profession agricole. (Dagenais : 1989)

Le chevauchement des activités commerciales avec les tâches domestiques ont maintenu les travailleuses agricoles dans un flou juridique trop longtemps et les ont empêchées d’accéder à l’héritage, à la propriété et à la possibilité d’entreprendre/gérer une entreprise agricole, comme le démontre le cas d’Irene Murdoch.  (Murdoch v. Murdoch , ; [1975] 1 S.C.R. 423 (Octobre,1973). Albertaine ayant travaillé 25 ans de sa vie sur la ferme de son mari, Murdoch se retrouve sans aucun moyen de subsistance lors de leur divorce, bien qu’elle ait mis énormément de temps et de travail sur la terre. Irene Murdoch a finalement eu gain de cause et a pu recevoir la juste part de l’exploitation agricole qui lui revenait.

La division sexuelle du travail est une grille d’analyse fondamentale pour comprendre les expériences genrées par rapport à l’agriculture. Il appert que « ces femmes, […] cumulent des rôles d’agricultrice, de parent, de travailleuse non agricole et de bénévole. » (Roppel, Desmarais, Martz : 2006)  Il y aurait difficulté à délimiter ce que serait une tâche commerciale d’une tâche domestique effectuée par une femme en milieu rural commercial. (Dagenais : 1989).

Cela dit, plusieurs mesures pourraient faciliter la vie des agricultrices d’aujourd’hui pour qu’elles atteignent une égalité des chances dans leurs profession : des horaires de garderies flexibles, une revalorisation de l’agriculture paysanne, une pluralité des groupes syndicaux, des associations telles que la Fédération des Agricultrices du Québec ou encore les Cercles des Fermières.  (Pronovost : 2007) Par contre, il ne semble pas y avoir beaucoup d’échos sur ces questions à la Fédération des Femmes du Québec et c’est bien dommage. Et le Réseau des femmes en environnement ne semble pas non plus axé sur les questions d’agriculture au féminin. Re-dommage.

Ainsi, lors de mon écoute de l’Amour est dans le pré, version québécoise, j’ai été éminemment suspicieuse. Lorsqu’un des agriculteurs demande à une de ses prétendantes si elle «serait prête à quitter son emploi pour venir travailler sur la ferme», on peut se poser des questions sur les rapports sociaux de genre en agriculture. La question est banale et normale pour les partenaires en agriculture, mais y a-t-il égalité entre les tâches domestiques et commerciales des partenaires?  Mais tout de même, le but de l’émission est de trouver «l’Amour», pas une partenaire d’entreprise…

Qu’en pensez-vous ?


Bibliographie

Dagenais H., Recherches féministes de la fin des années 1980: des voix/voies multiples et convergentes , Volume 2, numéro 2, 1989, p. 1-13

Mémoire Pronovost Vers une agriculture durable, basée sur l’écologie, la justice sociale et la souveraineté alimentaire, Déposé à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois par Québec Solidaire, Septembre 2007.

Roppel, C., Desmarais, A.A., Martz D., La politique agricole canadienne sous le regard des agricultrices, Condition féminine Canada ,Ottawa, 2006

10 Comments

  • Berenice
    1 février 2012

    Moi, je vis en France, et je n’ai plus la télé, cependant, cette émission passait à une époque où je l’avais encore. Je l’ai donc vu quelques fois, c’est en plusieurs épisodes. Comme toutes les émissions de télé réalité, c’est assez cruel.
    Et je me souviens qu’il y avait un type qui avait carrément fait venir les candidates pour les faire travailler, il cherchait des ouvrières agricoles gratuites, c’était absolument flagrant. Alors, il s’agissait peut-être de maladresse relationnelle de sa part hein, mais tout de même bien orientée de manière utilitaire.
    Il y en avait aussi un qui avait expliqué que la qualité première d’une femme c’était de savoir bien faire la cuisine et d’être dure à la tache…
    Bref, je voudrais pas rajouter de l’eau à votre moulin, mais l’amour n’est pas forcément le but premier dans la formation de couples, quelques fois il s’agit de considérations plus matérielles. Et le fait est que c’est souvent(toujours?) au désavantage des femmes que la transaction s’effectue.

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  • Vivi
    1 février 2012

    Merci pour ton article Marie-Anne !
    Ayant vu l’émission version française, je peux confirmer que cette recherche de cuisinière, comptable et/ou partenaire professionnelle est palpable. Mais lorsque les rôles s’inversent, le résultat est étonnant aussi !
    Il y a eu une saison où une agricultrice cherchait le grand Amour mais s’est retrouvée fort déçue lorsque les hommes qu’elle avait choisis et qui venaient au speed-dating donnaient la lourde sensation de passer un entretien d’embauche…
    « Je cherche l’Amour, pas un apprenti » se désolait-elle.

    Et si on partait du postulat que si l’Amour n’est pas dans le pré… il n’est peut-être pas non plus dans les gènes masculins ? Le désir d’aimer quelqu’un ne serait-il pas un concept majoritairement féminin ?

    Milles excuses, je sens bien que je suis (un peu) sexiste sur cette dernière réflexion… 😛

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  • Guillaume
    4 février 2012

    Désolé de mon commentaire d’hier, parfois ces dépriment l’agriculture, mais sur une note plus positive, je vous invite a lire ou relire la lettre d’opinion de Madame Plamondon, Présidente des agricultrice du Qc, parru dans le quotidien cette semaine: La terre de chez nous. En gros elle reclame les meme aventages au sein du gouvernement que l’upa.La fin du monopole syndical quoi!
    Le statuquo est insoutenable, jespere que vous pourrez changer les choses, merci de votre implication.
    Merci

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  • Berenice
    5 février 2012

    « ce n’est pas seulement pour l’amour que les agriculteurs sont volontaires! »
    Je pense (en tout cas pour l’émission française que j’avais regardé) que le casting avait choisi les « gentils sexys » et les « méchants repoussants ». Avec des agriculteurs romantiques qui cherchaient une compagne, et des agriculteurs particulièrement caricaturaux avec les compétences relationnelles et émotionnelles d’une huitre histoire de faire dans le foutage de gueule…
    Je crois qu’ils ne s’embarrassent pas de principes humanistes, ils veulent faire de l’audience. De toute façon, prendre des femmes ou des hommes qui se sentent seules, les mettre dans une situation de compétition où ils vont être jugés puis éliminés tout ça publiquement (télévision) me semble déjà amoral.
    Les émissions de télé réalité sont en France, toujours très retorses, suintent le mépris des gens (on s’arrange avec les montages pour que les gens soient ridiculiser, on les traquent pour les filmer au moment où ils pleurent, craquent, sont humiliés etc). On choisit presque toujours des candidat(e)s décérébrés et incultes, et je me demande si il n’y a pas là une certaine volonté de représenter le « peuple » comme sale, bête, et méchant…

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  • Vivi
    5 février 2012

    @ Guillaume
    Même à plus de 5000 km de distance je compatis à ton désarroi et espère vraiment que la situation au Québec va s’améliorer, ainsi qu’en France où les agriculteurs n’ont pas la vie facile.

    @ Bérénice
    Confessions Intimes, Master Chef, L’amour est aveugle, Secret Story, La Nouvelle Star, X factor, Les anges de la Téléréalité, Dilemne, Belle toute nue, Nouveau Look pour une nouvelle vie, C’est quoi l’amour, L’Ile de la Tentation, Kho Lantah, Pascal le grand frère, on a échangé nos mamans… combien d’émissions sont aujourd’hui principalement basées sur l’enregistrement et la diffusion de la misère affective et/ou sociale des gens ?
    Même les émissions que certains qualifie d’informations comme « 100% Mag » sont truffées de reportages dont le seul intérêt est de fouiner dans la vie des gens.
    Je suis donc bien d’accord avec toi, toutes ces émissions sont montées de telle sorte que le spectateur se rassure sur son canapé : « ouf ! ma vie est moins pire que la leur »… triste monde, mes amis, triste monde…

    PS : Heureusement que nous avons la TNT, ça permet d’avoir quelques chaînes supplémentaires sans ces odieux racolages… et de garder le sourire :o)

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  • Berenice
    7 février 2012

    Moi j’ai arrêté la télé française, mais je regarde certaines séries américaines sur internet, comme The good wife (malgré le titre, c’est la seule série que j’étiquetterai féministe dans le sens où elle n’est juste pas remplie de stéréotypes sur les femmes)…
    Je la conseille à tout le monde, elle est vraiment sympa. Il y a même un personnage féministe (qui est très sympa et que j’aime beaucoup).

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  • Berenice
    7 février 2012

    Ok, je vais aller voir ça, merci ^^

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  • Paterson
    9 mars 2012

    En tant que jeune homme; je pense que l’amour est simplement l’instant entre deux êtres qui s’aiment pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils doivent êtres. En société l’usage des valeurs matériels sont trop souvent mise en avant. les idées reçus aussi sont très puissante; car très jeune cela commence, jusqu’à la vie sédentaire avec les lobbys médiatique etc Je constate que la vie d’homme et femme confondu ce bouscule et ce perde en société; car l’éducation est directement dictée par un mode de fonctionnement qui est celle du sédentarisme.

    après plusieurs année à vivre seul; sans réelle perception effective d’une femme indépendante; intègre et combative. Je suis contrait de me dire que la femme de ma vie serra pas en société; mais autre part.

    Car mes valeurs; sont ceux que je projetterais à travers celle de ma compagne; si non mon combat mes perceptions n’aurais pas de sens.

    Des valeurs humaines ne sont pas possible dans un pays « bernée » par la dictature; la monarchie totalitaire et impartial; par l’argent; par les lobbys industrielle etc ce n’est pas possible; je songe sérieusement à en finir car je sait plus quoi faire; car sans la femme la vie n’a aucun sens; du moins aucunes émotions.

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