Le test de Bechdel ou Hollywood déteste les Femmes

J’ai visionné des centaines de Blockbusters, j’y constate toujours le même vide indescriptible. Le test de Bechdel m’a aidé à y voir plus clair en proposant des critères simples qui permettent d’identifier la source de mon malaise : une forme de sexisme aussi sournoise que destructrice.

Introduit en 1985 par Alison Bechdel dans sa bande dessinée Dikes To Watch Out For, ce test bien simple jette une lumière inquiétante sur l’industrie du film. Sa version originale comporte trois critères :

1-    Le film comporte-t-il au moins deux personnages féminins?
2-    …qui ont toutes deux une conversation ensemble?
3-    …à propos d’autre chose que des garçons?

Par la suite, les adeptes de cet outil ingénieux ont également contraint les personnages féminins à posséder un prénom. On s’assure ainsi que ces dernières constituent des personnages à part entière, et non une simple extension de personnages masculins connues comme : «mère de Billy», «maîtresse de John», etc. La Bechdel Law vérifie uniquement la présence de personnages femmes dans un film, sans même exiger que le propos de l’œuvre soit de nature féministe. Malgré cela, on estime que 80% des titres projetés dans nos salles chaque année ne répondront pas aux contraintes. En cherchant une explication, on dévoile les rouages d’une entreprise inquiétante qui capitaliserait sur l’oppression et l’objectivation des femmes.

Le film comporte-t-il au moins deux personnages féminins avec des noms?

C’est la base du test de Bechdel, et le point de départ idéal à toute réflexion sur la dynamique des genres dans notre société. La raison pour laquelle de nombreux films ne relèvent pas le défi est simple: il semble qu’au cinéma, les femmes sont prêtes à être spectatrices de l’histoire des hommes, mais jamais le contraire. Les réalisateurs l’ont compris, et ont vite exploité cette incongruité à l’extrême, jusqu’à produire des œuvres comme «Prince of Persia» (2010), où on ne met en scène qu’une seule femme, qui mourra idiotement pour donner de la profondeur au protagoniste mâle.

Qui ont toutes deux une conversation ensemble?

C’est ici qu’on perd «Mission impossible : protocole fantôme» et le dernier «Harry Potter», deux films qui possèdent au moins deux personnages féminins forts auxquels on ne confère pas assez d’importance individuelle pour partager un dialogue sans la présence du héros masculin.

À propos d’autre chose que des garçons?

Voici l’arrêt de mort des innombrables «chick flicks», ces films qu’on croit adressés aux femmes, mais qui gravitent exclusivement — et obsessionnellement — autour des personnages hommes. Exit aussi «Destination ultime 5», dont les actrices ne semblent présentes qu’à titre de bonbon visuel pour les garçons de l’audience, sans avoir la chance de déployer une histoire personnelle ou une profondeur de caractère.

Ce critère est probablement le plus important, puisqu’il contraint le scénariste à donner un rôle actif aux femmes du film. Ainsi, elles ont l’opportunité de participer à l’intrigue au lieu d’uniquement la soutenir. Deux personnages femmes avec des noms qui ne feraient que parler du protagoniste mâle ne seraient qu’une extension de lui, sans existence propre ou individuelle.

Les failles de Bechdel

Le test de Bechdel est imparfait, nous n’avons qu’à constater sa tendance à accepter les films pornographiques lesbiens et à rejeter des productions parfois originales et subversives porteuses d’idées féministes. Par exemple, Milk (2008), un film témoignant de la poignante histoire d’un activiste homosexuel, échoue lamentablement malgré sa dimension progressiste. Le test de Bechdel est destiné à adresser une critique à Hollywood comme institution, et ne suffit pas à deviner les intentions ou prouver la valeur d’un réalisateur.

Les variantes de Bechdel

Le Bechdel inversé : Deux personnages masculins, avec des noms, qui parlent ensemble d’autre chose que des femmes. Cette alternative ne donne pas de résultats assez significatifs pour prouver qu’Hollywood comme institution discrimine les personnages masculins. Bien que cette variante puisse être amusante, elle est a toute fin pratique inutile.

Le Bechdel des couleurs : Deux personnages de couleur, avec des noms, qui parlent ensemble d’autre chose que d’un blanc. Une quantité impressionnante de films à propos de la libération des Afros-Américains ne relèvent pas le test, puisqu’ils sont davantage axés sur les personnages blancs. On pourrait donner l’exemple du film «La Couleur des sentiments» (2011), que l’acteur George Takei avait renommé avec humour «Les noirs remercient les blancs de résoudre le racisme».

Le Bechdel allongé : Deux femmes, avec des noms, qui parlent ensemble d’autre chose qu’un homme pendant au moins une minute. Ce critère temporel permet d’éliminer quantité de films ayant précédemment réussi le test sans toutefois posséder de personnages femmes contribuant à l’intrigue.

À la lumière du test de Bechdel et de ses variantes, il est important d’informer et de sensibiliser nos proches du caractère sexiste et discriminatoire d’Hollywood. C’est uniquement par une protestation du public que les réalisateurs réaliseront l’ampleur du problème.


Sources

Impressionante liste de films exposés au test

Bechdel test sur wikipedia

The Bechdel Test: What It Is, And Why It Matters (image)

Tvtropes: The bechdel test

Par Jean-Samuel Nadeau

18 Comments

  • Jean-Samuel Nadeau
    26 février 2012

    (la correspondante d’un jour est un correspondant ;p)

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  • Imace
    26 février 2012

    Je ne connaissais pas le test mais il corrobore l’une de mes sensations récurrentes. J’ai énormément de difficultés à trouver des livres et des films qui ne me hérissent pas, et c’est triste parce que je suis une grande lectrice et que j’aime bien aller au cinéma. Je suis devenue allergique à la surreprésentation masculine et aux stéréotypes.

    Et instinctivement, j’avais défini presque les mêmes critères que le test de Bechdel :
    – des seconds rôles féminins (il y a toujours une « héroïne » dont la fin suggère qu’elle aura à plus ou moins long terme des relations sexuelles avec le protagoniste masculin, les personnages secondaires sont pour moi plus significatifs) ;
    – des personnages féminins définis par une caractéristique intrinsèque (ex : leur profession) plutôt que par un lien de parenté ou un lien amoureux avec un personnage masculin ;
    – des interactions entre les personnages féminins.

    Ben il reste très peu de films à regarder…

    Pour les livres, j’essaie de choisir une auteure + une héroïne. En général, du moins dans mon créneau (polars, thrillers, livres d’humour, inclassables), ça garantit à 80 % un livre qui ne va pas m’énerver.

    Merci pour cet article !

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  • Jean-Samuel
    26 février 2012

    Merci de ton commentaire!
    Tes critères me paraissent extrêmement intéressants! Toutefois, il faudrait faire attention avec le deuxième critère: un personnage défini pas un seul détail caractéristique peut difficilement être pluridimensionnel. Il faudrait se tourner vers les classiques du cinéma en noir et blanc avant de retrouver des personnages femmes qui pouvaient être aussi bien « séductrice », « mère de famille », « guerrière » et beaucoup d’autre à la fois!

    Pour ton troisième critère, je suis certain qu’on pourrait lui apporter beaucoup en précisant « interactions entre les personnages féminins à propos d’autres chose qu’un personnage homme », pour éviter le piège du personnage femme qui soutient l’intrigue au lieu d’y contribuer.

    Il faudrait faire une banque de livre respectant le test!!! Par contre, quel critère pourrions-nous trouver pour équivaloir au « une minute minimum » du Bechel test?

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  • Vivi
    27 février 2012

    Et si les Walt Disney passait le test de Bechdel ? 😀

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  • Jean-Samuel Nadeau
    27 février 2012

    Je fais un scan rapide sur le site officiel du Bechdel Test…

    Blanche-neige: passe le test, mais avec des résultats discutables.

    Alice au pays des merveilles: Passe le test haut la main (ça m’étonne pas, j’ai toujours adoré ce film!)

    La belle aux bois dormants: Passe le test, mais pas la version d’une minute.

    Belle et la bête: Passe! (et ben, étonnant!)

    Mulan: Passe, mais avec des résultats discutables.

    Dumbo: Deux femmes, mais elles parlent juste d’un mâle.

    Aladdin: Deux femmes qui ne se parleront jamais.

    La petite sirène: Deux femmes qui parlent seulement ensemble à propos d’un homme.

    Bambi: Deux femmes, mais qui ne se parleront jamais.

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  • Vivi
    27 février 2012

    Merci pour cette réponse Jean-Samuel ! 🙂
    Je me suis récemment intéressée aux messages subliminaux dans les Walt Disney, d’où ma question.
    De mémoire, je pense que Cendrillon ne doit pas passer le test, d’autant que tout tourne autour du Prince en fait, et que le message de la chanson de Cendrillon est : « le rêve d’une vie, c’est l’amour  » ^^
    Par contre, je suis très surprise pour la Belle et la Bête… je ne sais même pas avec quelle autre femme elle peut bien discuter sans parler de la Bête (0_0) ?!
    Et à bien y réfléchir, je ne suis pas sûre que Peter Pan s’en sorte non plus ^^
    Ah, que ce test est rigolo !!

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  • Jean-Samuel Nadeau
    27 février 2012

    Cendrillon passe! On n’a qu’à penser aux deux vilaines belles sœurs.
    La Belle et la Bête, j’imagine qu’on considère les objets animés du château comme des personnages pouvant posséder un genre.
    Avec Peter Pan, il y a un dialogue entre la tante et Wendy au début.

    Les messages subliminaux peuvent être amusants, mais à mon avis, ce qui est plus nocif et présent, ce sont les messages sexistes de premiers degrés qu’on ne voit plus par habitude.

    Et une fois de plus, passer le Bechdel test n’est pas un gage de féminisme. La preuve: « l’attaque des vampires lesbiennes » passe haut la main, tout en étant un spécimen de sexisme!
    Le test de Bechdel ne sert qu’à trouver une récurrence dans les films, l’absence de personnages femmes importants, et de dresser une critique à l’endroit de l’institution hollywoodienne.

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  • Vivi
    28 février 2012

    Effectivement, le test de Bechdel n’est pas parfait mais il est tout de même fort instructif.
    Comme tu le dis, les messages sexistes (voire racistes pour certains) pullulent dans les dessins animés Disney et sont bien souvent le reflet d’une époque. La naissance du féminisme est flagrante dans « Bernard et Bianca » par exemple, et la femme réduite à son rôle de mère est criante dans « Dumbo »…
    Mais je ne m’étends pas plus, je pourrai en tartiner des pages ! ^^

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  • Jean-Samuel Nadeau
    28 février 2012

    Je pense écrire quelques textes ici en rapport avec les clichés auxquels sont restreints les personnages femmes dans les productions. C’est fou comme on peut se dire « et ben, j’avais jamais remarqué, mais c’est vrai », une fois informés!

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  • Vivi
    28 février 2012

    Bien d’accord. ^^
    J’ai d’ailleurs une catégorie dédiée aux Disney sur mon blog : http://construis-ton-bonheur.over-blog.com/categorie-12134914.html

    Il faudrait moi aussi que je reprenne l’analyse cinématographique. Ma prochaine victime : Twilight ! (oui je sais tout le monde l’a déjà fait ^^)

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  • MJack
    14 mars 2012

    C’est surtout que vous n’avez qu’une vision étriquée du cinéma :
    – Doomsday
    – Les films « Alien »
    – Day of the Woman
    – La série des UnderWorld
    – Aurevoir à Jamais
    – Haute Tension
    – La série des Resident Evil
    – Carrie
    – Dawn of the Dead
    – Ghost of Mars
    – Kill Bill

    etc…y en a tellement.

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    • Jean-Samuel Nadeau
      14 mars 2012

      Une vision étriquée du cinéma?
      Très bien, je vais prouver que la critique envers Hollywood comme institution est valide en utilisant certains films de la liste que vous m’avez proposé.

      – Alien: le troisième volet n’a qu’un seule personnage femme en vie.
      – UnderWorld: Le volet « Underworld: Rise of the Lycans » possède des personnages femmes qui sont moins importants que dans les volets précédents, et aucune d’entre elles ne se parlent directement.
      – Dawn of the Dead: des personnages femmes, mais une seule d’entre elles possède un nom (Fran), le reste sont des zombies, des zombies à en devenir, des mignonnes sur des motos ou des personnages muets.

      Bien sûr, de nombreux films passent le test, mais c’est une minorité par rapport au nombre de films produits par Hollywood chaque année, il y a donc raison de s’inquiéter. De se concentrer uniquement sur les films féminist-friendly, ce serait de se fermer les yeux sur une tendance réelle du cinéma moderne.

      Je vous conseille de visiter le site officiel du test de Bechdel, afin ne constater par vous même ce que j’avance dans l’article.

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  • MJack
    15 mars 2012

    Nan mais déjà, rien que ce « test » prouve que c’est une vision étriquée du cinéma. Une vision du ciné via le prisme du féminisme (c’est comme essayer de faire rentrer un carré dans un triangle)

    1- Le film comporte-t-il au moins deux personnages féminins?
    2- …qui ont toutes deux une conversation ensemble?
    3- …à propos d’autre chose que des garçons?

    Cela implique que forcément le film doit contenir 2 personnages féminins, que ces 2 personnages doivent forcément interagir entre elles.
    Ce qui est totalement absurde, le ciné ne suit pas ces codes, il a ses propres codes. Par ex, si tu fais un film de sous-marin, il n y aura que des hommes, donc d’après le test c’est un film sexiste…complétement stupide.

    Il faut arrêter d’essayer d’analyser différents sujets juste via le prisme du féminisme. Pour le ciné, il faut d’abord y appliquer une grille de lecture cinéphile.

    La preuve, pour toi Alien 3 est donc sexiste, ce qui est ridicule, vu que le scénario se passe dans une prison d’hommes. C’est comme si je disais que Alien 3 est un film plein de misandrie car quasiment tout les hommes sont des criminels dans ce film…ce qui est bête, le film se passant dans une prison.

    Alors oui, dans les années 40/50/60, la femme était toujours la potiche de service dans la grande majorité des films, ce qui n’est plus le cas maintenant.

    Pour finir, je parlais de Dawn of the Dead (2004) et non Zombie de Romero.

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    • Jean-Samuel Nadeau
      15 mars 2012

      C’est assez ennuyant de discuter avec quelqu’un qui a visiblement lu mon article en diagonale. Je te conseille de tout lire du début à la fin (sans sauter de lignes!) et de faire attention à la partie « faille du test de Bechdel ».

      Je vais me citer moi-même:

      «La Bechdel Law vérifie uniquement la présence de personnages femmes dans un film, sans même exiger que le propos de l’œuvre soit de nature féministe.»

      «on estime que 80% des titres projetés dans nos salles chaque année ne répondront pas aux contraintes.» (oui oui, ça veut dire que 20% des films respectent le test, mais là encore c’est une minorité, alors PLEASE, arrête de me sortir des titres au hasard, ça ne suffira pas à invalider mon propos).

      «Le test de Bechdel est destiné à adresser une critique à Hollywood comme institution, et ne suffit pas à deviner les intentions ou prouver la valeur d’un réalisateur.»

      Donc, que «Alien 3» échoue le test, on s’en fou. Mais que 80% des films hollywoodiens soient incapable d’inclure ne serais-ce que deux personnages féminins qui contribuent à l’intrigue du film, c’est un problème. Pourtant, si on faisait le test de Bechdel en se concentrant sur les personnages hommes, presque tous les films passent le test. Pourquoi les hommes devraient-ils toujours avoir plus de place au cinéma que les femmes? (pas besoin de répondre, j’ai déjà répondu dans mon article si tu te décides à le lire).

      Maintenant, suite à cette tentative désespérée de ma part de te faire comprendre ce concept tellement simple, je vais souhaiter très très fort que tu te contente de lire mon article et que tu évites de me faire perdre mon temps.

      Amicalement,

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  • Sleipne
    4 mars 2013

    Il faut chercher ailleurs qu’à Hollywood, genre Volver doit forcément réussir le test de Bechdel puisqu’il n’y a de mémoire qu’un seul personnage masculin (qui est tué dans les dix premières minutes du film).

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    • Jean-Samuel Nadeau
      6 mars 2013

      Le test de Bechdel est destiné à faire un commentaire sur l’industrie du film comme institution, et non pas à détecter si un film isolé est féministe ou non. C’est inutile de chercher à trouver l’exception qui fera mentir la règle puisque:
      1) Ce n’est pas parce qu’un film réussit le test qu’il est féministe.
      2) Ce n’est pas parce qu’un film passe le test que le reste de la très grande majorité des films produits ne passant pas le test cessent d’exister pour autant.

      Donc pour que l’argument Volver soit recevable, ce serait à vous de me prouver que ce seul film change le portrait global de l’institution du film par sa seule existence.

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  • Claire Aubin
    25 juillet 2015

    un échange édifiant dans les commentaires! Quelle patience ce Jean-Samuel.
    Devant des mjack, Parfois je me réfugie dans la phrase désabusée de Cioran: » mieux vaut mourir incompris.e que de passer sa vie à s’expliquer »
    Je sais, ce n’est pas ça qui fera avancer la cause…

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