8 mars : liste d’incontournables féministes

Le féminisme est toujours une urgence en 2012. Le Canada se crispe sur des questions qui touchent directement et indirectement les femmes. Au fédéral, on a vu en mars 2009 que le parti conservateur a voté le projet de loi Loi d’exécution du budget qui prive aux travailleuses de la fonction publique le droit de présenter des plaintes en matière d’équité salariale; plus récemment, un député conservateur, Stephen Woodworth ouvrait à nouveau le débat sur l’avortement; puis l’abolition du registre des armes à feu qui avait été créé, on le rappelle, suite au massacre de 14 jeunes femmes à la polytechnique en 1989.

Alors que le 8 mars approche, je propose de lire et relire des incontournables de la littérature féministe. J’ai demandé à quelques Twittos féministes de m’aider dans mon choix non exhaustif de cette liste.

Olympes de Gouges, une figure importante dans l’histoire des idées et certainement précurseure, a écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1789. C’était le premier document à évoquer l’égalité juridique et légale des femmes par rapport aux hommes. Elle écrivait également sur la condition des noirs et l’esclavage. Dans sa Déclaration, elle y énumère les droits qui ne s’appliquent qu’aux hommes : le droit de vote, l’accès aux institutions publiques, les libertés professionnelles, les droits de propriété. Elle dénonçait donc que la Révolution était faite pour les hommes. Elle est morte guillotinée en 1793. On peut écouter ce texte ici.

En Angleterre, une autre femme regardait ses consoeurs françaises mettre de l’avant leur féminisme. Mary Wollstonecraft, femme de lettres, écrivait également des pamphlets contre la société patriarcale de son temps. Elle est aussi la mère de Mary Shelley qui écrivit le célèbre roman Frankenstein. Elle écrivit donc en 1792, Défense des droits de la femme, où elle présente l’idée que les femmes ont droit à l’éducation au même titre que les hommes.

J’insiste que l’on nomme ses femmes de lettres qui ont jeté les bases d’un mouvement que certains estiment désuet aujourd’hui. Ce sont des femmes qui n’ont pas eu peur d’imposer leurs idées malgré le mur de protestation qui s’érigeait devant elles. Imposer ses idées est une qualité que l’on devrait inculquer aux jeunes filles. Bien que nous vivons aussi dans un monde où l’on tente d’étouffer les idées et les vider de leur sens, ce sont elles qui mènent le monde et non la mode, le maquillage ou encore un corps sculptural. Voulons-nous d’un monde de femmes bien sages bien maquillées qui restent dans le rang comme à la petite école ? Le discours ambiant antiféministe, je dirais même antifemmes, sert tout simplement à intimider, à dénigrer ce qu’il y a de plus humain, soit le désir d’être libre. Je souhaite les femmes insoumises et rebelles vivant sans diktat, aucun.

Faisons un saut dans l’histoire. Avec Une chambre à soi (1929), Virginia Woolf détaille ce qui limite l’accès des femmes à l’écriture, soit les conditions matérielles. Ce livre est un essai incontournable pour toute femme qui souhaite écrire ou encore devenir artiste. Aujourd’hui nous dirions qu’une femme aurait besoin d’une maison à soi.

Un autre incontournable est certainement Le deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir. Certains diront que ce texte a vieilli quelque peu notamment parce que c’est un essai existentialiste. Peu importe, ce livre est riche. Beauvoir écrit sous l’angle philosophique les causes de l’infériorisation de la femme. C’est un livre à relire ne serait-ce que pour sa critique de cinq écrivains dont Montherlant, D.H. Lawrence, Claudel, Breton et Stendhal.

Il faut faire également une place à une poète dans cette liste. Audre Lorde est une écrivaine et poète noir Américaine qui a milité pour les droits civiques ainsi que dans les mouvements pacifistes et féministes. Dans son écriture, elle se confirme en tant que « poétesse, guerrière, mère, lesbienne, noire ». Ses poèmes sont une charge féministe sans conteste. À lire donc.

Plusieurs dans la twittosphère ont mentionné La Femme eunuque (1970) de Germaine Greer. À l’ère de la femme-objet, Greer nous dit que jamais nous sommes femmes à part entière face à l’homme. Elle observe la condition féminine dans tous les aspects de la société contemporaine : la cellule familiale, l’éducation sexuelle, les salaires, la mode et la publicité. Le constat qu’elle dresse est que cette société lui apparaît entièrement organisée et dominée par l’homme. L’auteure fait également valoir que les hommes détestent les femmes, même si ceux-ci ne le réalisent pas et apprennent aux femmes à se haïr elles-mêmes.

Le 3 décembre 2011 mourrait l’écrivaine et poète féministe Louky Bersianik. Je porte une très grande affection pour cette auteure qui nous a donné L’Euguélionne (1976). J’en parle davantage sur mon blogue personnel ici. Premier grand livre féministe au Québec, L’Euguélionne est un genre hybride mêlant essai et fiction. Le personnage principal retrace toutes les formes d’oppression subies par les femmes à travers les siècles. L’auteure remet même en question le machisme de la langue et de la grammaire.

Maintenant. Certains peut-être me détesteront d’ajouter à cette liste Valérie Solanas. Elle est surtout connue pour avoir essayé de tuer Andy Warhol. Mais ce dernier qui l’a snobé ne se doutait pas que cette féministe pondrait un manifeste : S.C.U.M. manifesto (1971) qui se veut un appel révolutionnaire à un monde sans homme. Radicale certes…Rebelle mais brillante et femme certainement incomprise. « Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin », écrit-elle. On peut lire ce manifeste sur le net.

La politique du mâle de Kate Millet était le livre que je traînais avec moi lorsque j’étais étudiante. L’auteure critique la société occidentale en dénonçant l’idéologie patriarcale et la négation du corps féminin. En 1971, ce livre créa d’énormes remous et traça la voie vers le développement des études féministes.

La pièce de théâtre, Les fées ont soif de Denise Boucher fut un coup d’éclat lumineux en 1976 que l’on a cherché à éteindre en la censurant. À partir de la vierge, la mère et la putain, l’auteure en vient à détruire ses 3 modèles féminins imposés par la culture mâle pour faire naître alors une femme sexuée et sensuelle. C’est la naissance d’une femme nouvelle qui parle femme. Peut-être que le Québec n’est pas encore prêt pour une femme nouvelle…

Le roman dystopique, La servante écarlate de Margarett Atwood, fut publié en 1985. Il nous fait voir un monde sombre où la religion et l’état imposent un régime de castes aux femmes selon si elles sont fertiles ou non. On a toujours besoin de la distance d’un récit de science-fiction pour nous permettre de mieux réfléchir à notre condition de femme.

La  liste continue. Puisque je ne les ai pas tous lus, en voici quelques-uns pêle même qui ont été mentionnés parmi les féministes des réseaux sociaux :

Ainsi-soit-elle, Benoite Groulx

Autobiographie, Angela Davis

Si je mens, Françoise Giroux

Une vie, Simone Veil

Mon enfance et autres tragédies politiques, Hélène Pedneault

Le féminisme québécois raconté à Camille, Micheline Dumont

Les mots pour le dire, Marie Cardinal

L’Événement, Annie Ernaux

A Bastard Out of Carolina, Dorothy Allison

La pensée straight, Monique Wittig,

King Kong théorie, Virginie Despentes

Three Guineas, Virgnia Woolf

Soeurs, saintes et sybilles, Nan Goldin

Danseuses-Mamelouk, Josée Yvon

Blasted, Sarah Kane

Ce sexe qui n’en est pas un, Luce Irigaray

Le Rire de la Méduse, Hélène Cixous

La Jeune née, Hélène Cixous et Catherine Clément

The Beauty Myth, Naomi Wolf

The In/Appropriated Other de Trinh Minh Ha

Trouble dans le genre, Judith Butler

Peau, Dorothy Allison

I know why the caged bird sings, Maya Angelou

Odyssée d’une amazone, Grace atkinson

La construction sociale de l’inégalité des sexes, Paola Tabet

Sexe, Race et pratique du pouvoir, Colette Guillaumin

Sexe, Race, Classe dirigé par Elsa Dorlin

Dirty week-end, Helen Zahavi

Je remercie celui et celles qui se sont prêtéEs au jeu : Raymond Roy ( @Beloamig_), Lise Tremblay-Thibodeau (@Lisetr), Karyne Myrgianie  (@KarineMyrgianie), Marie-Anne Casselot ( @MACasselot ), Eisha Marjara (@EishaMarjara) Martine Delvaux, Évelyne Ledoux-Beaugrand, Isabelle Batman-Boisclair et Mélissa Blais.

par Mélanie Robert

10 Comments

  • Guillaume
    8 mars 2012

    Pensées inspirantes des femmes célèbres, Presses du Chatelet, Paris, 2006

     » On s’étonne trop de ce qu’on voit rarement et pas assez de ce qu’on voit tout les jours.  » Madame de Genlis

     » Que pouvez-vous faire pour promouvoir la paix dans le monde? Rentrez chez vous et aimez votre famille!  » Mere Teresa

    Bonne journée !

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  • MarieCaroline
    8 mars 2012

    Merci pour cette liste évidemment non-exhaustive mais tout de même déjà très intéressante!
    Comme vous le dites très justement, certains textes sont considérés comme désuets mais je pense que, comme pour de nombreux autres sujets, pour mieux comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui il faut d’abord avoir compris ce qu’il se disait hier. L’essentiel étant de ne jamais perdre de vue l’époque de l’écriture.

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  • martin dufresne
    8 mars 2012

    Suggestion d’ajout: Andrea Dworkin, féministe radicale américaine diabolisée par les pornocrates mais qui a laissé des textes brûlants d’actualité. Il y e a quelques-uns de traduits en français dans « L’envers de la nuit » (Remue-ménage, 1984) et « Pouvoir et violence sexiste » (Sisyphe, 2007). Et on peut maintenant télécharger sans frais chacun de souvrages de Dworkin au http://radfem.org/dworkin/

    Pour Valerie Solanas, quelques notes: elle a écrit son manifeste non en 1971 (ça c’ets la version française) mais en 1967, soit avant tout le monde, et si elle a tiré sur Warhol (hon, la méchante…), ce n’est pas parce qu’il la snobait mais parce qu’il exploitait ses comédiennes et refusait de lui remettre la seule copie d’un manuscrit de pièce de théâtre (« Up Your Ass ») qu’elle lui avait soumis et qu’on a retrouvé dans son studio 30 ans plus tard. Voir sa fiche Wikipédia au http://fr.wikipedia.org/wiki/Valerie_Solanas
    Fait peu connu: La comédienne/clowne québécoise Chatouille a déjà monté un spectacle au Quai des Brumes à partir du « Manifeste SCUM », que l’on peut lire au http://1libertaire.free.fr/fem-scum.html avec des commentaires judicieux et la préface originale de Christiane Rochefort, une autre féministe inspirante.

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  • Mélanie Robert
    9 mars 2012

    Merci Martin de ces précisions. Ça me chicotait aussi

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  • Mélanie Robert
    9 mars 2012

    Martin, il est vrai que mon texte est ambigü. Merci d’avoir précisé. En fait, je savais pourquoi Solanas a voulu tuer Warhol. Mais il l’a aussi snobé quand elle a voulu s’intégrer à son groupe. Je vous réfère au film qui a été fait sur elle.

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  • martin dufresne
    9 mars 2012

    Je trouve cette initiative géniale et j’espère que d’autres internautes complèeteront graduellement cette liste en parlant de féministes qui ont eu une « empreinte » personnelle sur elles ou sur eux*. Par exemple, Clémence Desrrochers et Marie Savard sont deux féministes québécoises qui ont eu beaucoup d’influence et sont rarement reconnues à ce titre…
    ______________________
    *J’ai publié il y a un mois dans Le COUAC un texte sur Louky Bersianik. Le voici:

    TITRE: Merci, Madame Durand

    J’ai perdu une amie avec Lucille Durand (Louky Bersianik), décédée il y a deux mois après trente-cinq ans d’écriture innovatrice, érudite, généreuse… et souvent très drôle. L’auteure de L’Euguélionne habitait rue de Lorimier, tout près des locaux du COUAC, et je passais parfois nettoyer sa terrasse, changer une ampoule électrique ou lui porter un mérou ou un livre – une passion qui emplissait son appartement. Des problèmes de rhumatismes la privaient de mobilité, mais nous avons tout de même couru une fois à un récital de poésie où ses nombreuses amies et amis lui ont fait bellement fête.

    Je l’avais rencontrée lors de moments urgents où elle s’était portée volontaire pour donner de la voix. Par exemple en 1984, quand Roland Smith avait tenté d’imposer des cinémas porno XXX au Québec, ce qui avait suscité une belle mobilisation à laquelle elle a prêté sa plume. Puis, lors d’une conférence à l’UdeM en 1990, un an jour pour jour après le gynocide de Polytechnique. Aux côtés de Kahn Thineta-Horn et Andrea Dworkin, elle avait marqué l’importance de l’événement pour le mouvement de libération des Québécoises. Cette femme très douce était intraitable face à la violence et à l’oppression, ce qui explique peut-être sa mise à l’écart par l’institution radio-canadienne.

    EXERGUE
    «…Louky n’est pas une essayiste classique, elle pratique peu l’analyse méthodique et le raisonnement progressif. Ses phrases, le plus souvent, elle les brandit, tantôt comme un poing levé, militante à sa manière, tantôt comme une lampe de mineur, guide à sa manière. De là vient sa force : sa parole frappe droit au cœur…» (Andrée Yanacopoulo)

    Elle avait inventé un style qui la situait hors des chapelles; mais j’ai vu beaucoup de ses compagnes d’écriture à la discrète réception funéraire organisée par son fils. Un babillard rassemblait des lettres d’amour écrites à la défunte, des souvenirs communs, des photos : ses traces dans nos coeurs. On pourra lire cet été dans L’Action Nationale un dossier Bersianik assemblé par Andrée Ferretti, Claire Aubin, Élaine Audet et France Théorêt. le portail Sisyphe affiche déjà des inédits de l’auteure de Varennes et de ses compagnes exploréennes : http://sisyphe.org/spip.php?rubrique156

    Hubert Aquin aura toujours à mes yeux le mérite d’avoir été le «passeur» qui a permis – juste avant sa mort – la publication aux Éditions La Presse de L’Euguélionne, ce météore inouï dans le ciel québécois, que l’on retrouve en filigrane du film «La Belle verte» de Coline Serreau, bluette de science-fiction sur une extraterrestre s’étonnant des Terriens.
    Ce livre poursuit son aventure dans les bacs des recycleurs et au creux de nos bibliothèques… faites-le découvrir à quelqu’un, comme ultime cadeau à/de Madame Durand.

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  • Luce Beaulieu
    7 mars 2013

    Un grand oubli dans cette liste: « The color Purple » et presque tous les livres d’alice Walker…

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  • Chilina Hills
    20 octobre 2015

    Je voudrais vous faire part de la ré-édition du livre « Vivre au lieu d’Exister » de Mireille Albrecht (Editions du Rocher, Oct. 2015), sur la vie de sa mère Berty Albrecht, anti-conformiste, féministe, et héroïne de la Résistance, Compagnon de la Libération. « Arrêtes de t’apitoyer sur ton sort » fut le leitmotiv par lequel Mireille fut élevée – dur mais ça forge le caractère ! C’est à travers ses yeux, dès son plus jeune âge et jusqu’à l’âge de 19 ans lorsque Berty est morte, que Mireille nous narre son quotidien avec sa mère : de la maison de Londres avec nurse et domestiques, de son combat pour le droit des femmes et l’édition dans les années 30′ de son magazine « Le Problème Sexuel », jusqu’aux pérégrinations de sa vie de résistante qu’elle accompagne activement jusqu’à l’arrestation fatale de Berty. C’est un livre émouvant, souvent drôle, et difficile à poser une fois commencé ! Lisez-le ! (au fait, je suis la petite-fille de Berty, et ma mère Mireille étant décédée, j’ai écrit la préface pour la ré-édition, à sa mémoire…

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