Y a-t-il trop de Pascal Henrard dans Urbania?
Ce midi, je pense à Hélène Pedneault. Très fort. Je pense à elle, parce qu’un infâme personnage, un «collègue», a eu la brillante idée d’étaler dans un billet son ignorance et sa vision réactionnaire crasse, en ce glorieux 13 février 2014, non sans me rappeler la misogynie à peine voilée d’un Georges-Hébert Germain[i] de l’époque.
Mon cher Pascal Henrard,
Il semble qu’«après des siècles, que dis-je, des millénaires de patriarcat», les choses se soient précipitées en Occident. Nous, femmes, avons obtenu le droit de vote, le droit d’avoir des jobs comme les hommes; quelques-unes d’entre nous se sont même «retrouvées à la tête des entreprises» et on en a même vu une «devenir Première ministre». Tu dis qu’on a gagné, «presque, le même salaire». Et on peut même maintenant faire du saut à ski aux Jeux Olympiques! Gros party!
La misogynie et la grosse ignorance phallocentrique, elles, n’ont pas l’air près de disparaître, si je me fie à ton billet paru à Urbania ce matin : «Y a-t-il trop de féministes dans Urbania?», clairement en réponse à mon billet sur la chosification du corps de la femme, paru la veille, ainsi qu’à toutes les blogueuses le moindrement féministes qui sévissent sur cette plateforme, dont moi. Tu te plains, Pascal, avec le mansplaining tout caractéristique des réactionnaires de ton genre, que les féministes sont trop vindicatives, pas assez gentilles. Tu signes et persistes en les attribuant (en m’attribuant?) l’étiquette de «féministes enragées et d’anti-zizi engagées».
Pour reprendre les propos d’Hélène Pedneault, Pascal, «il n’y a pas 36 manière de dire « c’est assez-basta-j’en-ai-¬marre » selon le pays: il faut gueuler un bon coup». C’est ce que les femmes font depuis des décennies. En fait, Pascal, si je comprends bien, il faudrait qu’on cesse de gueuler. On gueule trop. Tu parles de «tribunes déchaînées contre les mâles et les maux dont ils seraient la cause à chaque fois qu’on voit une pitoune dans une pub de char ou qu’un photographe publie la photo d’une nymphe sans burka». Enfin, tu souhaites tant lire «dans Urbania, ou ailleurs, sur les hommes que vous admirez, sur les hommes qui vous émeuvent, sur les hommes qui vous séduisent, sur les hommes qui vous touchent, sur les hommes qui ont changé votre vie, sur les hommes qui vous interpellent, sur les hommes qui vous inspirent, sur les hommes que vous aimez».
Je n’arrêterai pas de gueuler, Pascal, juste pour le bon plaisir du privilège dans lequel tu baignes juste parce que t’as un pénis. Juste parce que vous êtes déstabilisés, toi et tes privilèges, par la force de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui se réveillent. Tu parles d’égalité déjà acquise. Je te réponds comme Hélène a répondu à Georges-Hébert : «Bullshit. Force de torchage. Le pouvoir enfermé entre les quatre murs d’une cuisine». L’égalité de droits, elle est là. Obtenue, mais non acquise. Je continue de gueuler parce cette égalité de droits est menacée. Je continue de gueuler parce que l’égalité de faits, elle est loin d’être à nos portes, notamment à cause des gosseux d’opinion, des professionnels du «moi-j’pense-que» dans ton genre.
Je trouve vraiment risible qu’un homme comme toi, masculiniste, misogyne comme c’est pas possible, vienne me dire comment être féministe. Imagine, Pascal, s’il fallait continuer les luttes féministes en prenant garde de ne pas déranger les petits misogynes de ton genre, s’il fallait vous flatter dans le sens du poil en vous demandant si ça vous ne dérangerait pas trop de nous faire abolir les terribles inégalités salariales, ou la culture du viol qui sévit encore trop, ou encore les relations de pouvoir auxquelles vous tenez tant, hein, s’il-vous plaît, hommes que nous admirons, qui nous émeuvent, qui nous séduisent, qui nous touchent, qui ont changé nos vies, qui nous interpellent, qui nous inspirent, que l’on aime. Imagine juste ça, un instant. S’il n’y avait plus de femmes et d’hommes féministes pour gueuler, les droits que nous avons acquis et auxquels nous devons nous raccrocher coûte que coûte, on les perdrait, et mon petit doigt me dit que ça ne te ferait pas un pli.
En fait, si je comprends bien, en plus de dénoncer les inégalités qui nous touchent répétitivement, en plus de répondre aux misogynes – ah, l’étiquette te sied si bien – qui affirment le plus sérieusement du monde qu’on ne s’y prend pas comme il faut pour être féministe, en plus de lutter contre les injustices que subissent les femmes parce qu’elles sont des femmes, il aurait fallu que nous, blogueuses féministes, on écrive sur d’autres choses, mais surtout, qu’on vous rassure, qu’on vous glorifie, qu’on vous rende hommage, «pendant qu’on vous criait vos quatre vérités»?
Et puis, Pascal, tu oses nous sortir la rengaine du «ch’pas misogyne, même que je rends hommage à ma blonde de temps en temps». Tu aimes les femmes, surtout la tienne. Je te signale, Pascal, qu’il n’est pas un misogyne sur terre qui n’aime pas de femme ou qui n’en ait jamais aimé, surtout quand ils peuvent dire «ma femme». Te rends-tu compte, Pascal, que c’est l’équivalent de dire «ch’pas raciste, la preuve, mon voisin est Noir et on s’entend super bien»? Et puis, tu renchéris d’un «Même si les femmes n’ont pas encore tout à fait la place qu’elles méritent dans la société, les percées qu’elles ont faites au cours des dernières années sont phénoménales. Il ne faut pas l’oublier». La place qu’elles méritent, Pascal? Selon qui? Faudrait-il former un comité d’hommes de ton genre afin de décider de quelle place mérite la femme et surtout, quelles limites appliquer au féminisme d’aujourd’hui? Parce que c’est bien ça que tu fais, Pascal. Avec ton paternalisme auto-suffisant, puant les traditions d’antan où les femmes ne gueulaient pas encore, tu cherches à imposer des limites à notre discours féministe et quand ça ne fait pas ton affaire, tu nous appose l’étiquette de «féministes appliquées qui prennent toutes les occasions pour brandir le spectre de l’homme vil, obsédé, exploiteur, profiteur, violeur, batteur, esclavagiste, j’en passe».
«Mesdames, j’aimerais que vous changiez parfois de disque parce qu’il est non seulement lassant, mais, surtout, ce n’est pas la meilleure manière de gagner les hommes (qui forment, si je ne me trompe, l’autre moitié de l’humanité) à votre cause. Vous voulez qu’on vous aime? Soyez aimable.»
Pauvre Pascal. Tu es lassé d’entendre le disque féministe et tu aimerais qu’on le change pour une élégie à l’Homme. Qu’on vous fasse (toute) la place dans notre discours, avec les bravos, et les ouuh, et les aaah qui viennent avec. Je vais dire comme Hélène : votre disque, on l’a entendu. «On vous a tellement écoutés dans le passé qu’on a vraiment beaucoup de misère à vous entendre maintenant. […] Je te signale que vous êtes encore au pouvoir partout, au cas où tu serais trop bousculé par les femmes pour t’en être aperçu».
Et je te signale, Pascal Henrard, que les avancées sociales, elles ne se font pas en demandant la permission. Surtout pas celle des couillons. Et que le féminisme n’est pas un combat contre l’Homme, mais un combat contre ce système qui permet encore, même au Québec, les inégalités, ainsi que contre ceux qui perpétuent ce système à grands coups de «féministes enragées et d’anti-zizi engagées». Donc, Pascal, le féminisme, c’est un peu un combat contre toi.
Sarah Labarre
[i] En référence à un texte de la grande Ped, paru à la Vie en Rose, juillet-août 1984.
Les références à Hélène Pedneault ont été puisées dans Pedneault, Hélène (1988), Chroniques délinquantes de la Vie en Rose, Montréal, VLB éditeur.
Simon Dor
Wow, percutant, cinglant, excellent.
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Marylie Savoie
Merci,
Juste merci!
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Mélissa
Exactement !
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David Grondin
Une excellente réponse, comme on dit: « Dans les dents! »
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Daphne
Merci!
Les misogynes lancent toujours les épithètes ‘anti-hommes’, ‘hystériques’, et autres du genre dès qu’une femme ose dénoncer le sexisme, dans le seul but de faire taire un discours qu’ils ne veulent pas entendre parce qu’ils ne veulent pas remettre en cause le statu quo (et tant pis s’il déplaît aux femmes). De plus, selon moi, lorsqu’ils traitent ainsi les féministes d »anti-mâle’, ils sous-entendent que les hommes seraient intrinsèquement misogynes, puisqu’être anti-sexisme revient à être anti-homme selon eux… Pas fort.
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Anne-Marie
J’imprime les deux textes et les colle sur mon mur côte-à-côte. C’est un combat humain propre où la force se trouve dans les mots. Merci madame Labarre de dire efficacement ce que c’est de vivre la lutte. 🙂
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Simon Dor
Pascal Henrard cible des personnes spécifiques: les féministes d’Urbania. Or, il ne donne aucun exemple de cas « extrême », où elles « vont trop loin », où elles « luttent contre les gens qui possèdent des pénis », où elles « dénigrent » qui que ce soit. Avoir des exemples aurait été un début intéressant où on aurait pu jaser: intituler par exemple, « le féminisme va-t-il trop loin » aurait été intéressant et pertinent comme débat. Dire qu’il y a trop de « féministes », c’est dire que les gens qui prennent la position du féminisme, modéré comme extrême, peuvent être en trop grand nombre en eux-mêmes. Ça, c’est aller vraiment trop loin. Et je me suis senti offensé en tant qu’homme.
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