Dialogues: Comme poussent les pissenlits, avec Annick Rouleau
Dialogues est une série d’entretiens avec des nouvelles voix féministes de la blogosphère québécoise. Cette série inclura autant des blogues, des Tumblrs, des personnes écrivant sur différentes plateformes ou encore des personnes actives sur Twitter.
Cette semaine, nous dialoguons avec Annick Rouleau, autrice du Tumblr Comme poussent les pissenlits.
1. Comment présenter en quelques mots ton blogue ? D’où vient le titre ?
Comme poussent les pissenlits est un blogue-gibelotte. J’y vomis la tornade de mots qui m’habitent, surtout en français mais parfois en anglais. Poèmes, essais, commentaires, discours, affiches didactiques… Mes paroles y jaillissent pêle-mêle, sans censure, sans considération pour les conventions langagières du genre conserver le même niveau de langue tout au long d’un texte ; je ne désherbe (presque) pas. De là vient le titre : pour moi, les pissenlits incarnent la marginalité, la croissance chaotique de l’esprit critique. La visibilité conférée par le jaune vaut à cette plante le statut de la « pire, moins désirable » mauvaise herbe. Ainsi, les détenteurs de pelouses s’adonnent à une véritable chasse aux pissenlits-hérétiques, qui osent afficher leur dédain du statu quo, leurs véritables couleurs (mouahaha jeu de mots). Pour moi, ces fleurs symbolisent donc la critique sociale, à un point tel que je me suis fait tatouer un pissenlit enraciné dans un carré rouge.
Eh oui, ma fascination pour les pissenlits et ma volonté de demeurer critique coïncident avec la grève étudiante de 2012. En parallèle avec ce tournant dans ma vie, j’ai créé ce blogue. Il s’agissait principalement d’un recueil virtuel de poésie à l’époque ; aujourd’hui, j’y adresse principalement des thèmes touchant les féminismes, les minorités d’identité et d’orientation sexuelle et de genre, ainsi que d’autres sujets à saveur militante. Ce blogue me permet de faire le point, d’évaluer mon cheminement intellectuel et la transformation de mes opinions et de mes valeurs. En me relisant pour répondre à cette question, je constate à quel point j’étais vulnérable, fragile, comme attristée par ce que je comprenais du monde et de moi-même il y a de cela deux ans.
Aujourd’hui, j’ai l’impression d’écrire fiévreusement, souvent avec colère et toujours avec passion. Cela me rassure de constater à quel point mon armure s’est solidifiée. J’espère que mon indignation en inspirera d’autres et que, par osmose, le sentiment de révolte qui m’habite se répandra pour que l’on atteigne collectivement un point de rupture. Voir ce texte pour mieux comprendre ma métaphore sur les pissenlits : http://commepoussentlespissenlits.tumblr.com/post/26591811233/jaune-pissenlit .
2. Quels sont les sujets qui te passionnent, qui motivent ta pratique d’écriture ?
Tous mes textes sur Tumblr et une grande partie de mes efforts éducatifs sur Facebook portent sur des sujets m’affectant directement. Ainsi, la notion de consentement et tout ce qui entoure la culture du viol viennent me chercher au cœur de mon mal-être de membre de la majorité opprimée. J’ai été violée par un ex-copain et ne l’ai compris que plusieurs années plus tard, puisque cela n’a pas eu lieu dans les paramètres que l’on nous inculque (ruelle sombre, par un étranger mentalement instable). Je n’avais pas les bons mots pour nommer ce qui m’était arrivée, ni les outils pour gérer avec, comme tellement d’autres femmes de mon entourage. Le manque d’éducation adéquate par rapport au consentement m’enrage et me dégoûte ; pas surprenant qu’au Québec, une femme sur trois soit agressée sexuellement avant ses seize ans ! Pour tenter de remédier au silence avilissant entourant le sujet, j’écris et rediffuse des images et textes de sensibilisation. Bien que cela choque, je parle ouvertement de ma propre agression afin de briser le cycle de honte-silence-perpétration. Je suis convaincue que si l’on ne heurte pas les consciences, rien ne change…
Dans le même ordre d’idée, je suis outrée qu’il soit acceptable qu’un homme se promène torse nu mais que cela soit considéré exhibitionniste et déplacé pour une femme. Personnellement, j’aimerais ben gros me promener en chest à d’autres moments que dans des ma-nu-fesses-tations ou aux parades de la Fierté ! (#30°C #tropchaudpoursevêtir) Je voudrais me réapproprier mon corps de femme qui, semble-t-il, ne peut être exposé que pour vendre quelque chose et que je ne peux habiter comme bon me semble. Je tente ainsi de promouvoir une rupture entre nudité et sexualité, ainsi qu’un rapport positif et sain/sein au corps, à contre-courant du body-shaming répandu par les médias. Quoi de mieux que de commencer par le faire soi-même pour mettre en branle une transformation des mentalités ! C’est pourquoi j’utilise mon corps comme outil de mobilisation : je ne retire pas mes poils corporels et écris extensivement sur l’histoire de la pilosité féminine, ne porte pas de soutien-gorge et, malheur!, il m’arrive de publier une photo de moi en torse (…oh quel malaise dans mon entourage Facebook).
Autre intérêt et sujet d’indignation : le harcèlement sexuel de rue, puisque j’en subis énormément. (Je me suis d’ailleurs procurée une caméra miniature et songe à concevoir un documentaire sur le harcèlement sexuel de rue à Montréal, pour renchérir à ceux produits en Belgique et en France.) Aussi, l’intersection entre mon statut de femme cis et mon homosexualité.
Ces sujets m’allument, mais ne circonscrivent nullement mes écrits. Histoire de vous mettre l’eau à la bouche, voici trois sujets que je compte aborder sous peu. Deux textes porteront respectivement sur le sexisme et la culture du viol au sein des cadets de l’Air, une organisation calquant les Forces armées canadiennes et financée par le ministère de la Défense nationale. Un autre explorera le parallèle entre le port du hijab et le fait de se raser les cheveux.
3. Quelle importance a le féminisme dans ta vie, tes projets, tes valeurs ?
Ce que j’adore des féminismes ? En premier lieu, leur aspect syncrétique : les féminismes ne se limitent pas à la défense des droits des femmes mais, grâce à la notion d’intersectionnalité, mettent de l’avant les intérêts d’autres groupes opprimés. L’infinité de combats juxtaposés m’étourdit mais, en même temps, me donne l’impression d’avoir une voix, de faire partie d’un chœur protestataire ayant plus de portée que ma seule personne. Je ne trouve ce sentiment d’appartenance nulle part ailleurs. Second élément notable des féminismes : leur essence critique. Il est bien plus difficile de sombrer dans le dogmatisme lorsque l’on est constamment remises en question, à la fois par la société, par d’autres groupes marginaux et, surtout, à l’interne ! Autrement dit, je considère que l’éclatement du mouvement fait sa force. La diversité de ses combats rend le féminisme inessoufflable, le permettant de s’acharner à l’infini.
Pour ces raisons, il s’agit de mon idéologie-charnière, identitaire. C’est la synthèse de mes aspirations sociales et personnelles. C’est à la fois qui je tente d’être au quotidien et ce que je souhaite à la société de devenir. Je m’en nourris. Je m’éduque constamment, pour ensuite remâcher et tenter de transmettre mes conclusions à mon entourage et aux personnes abonnées à mon Facebook ou à mon Tumblr.
4. La blogosphère québécoise / cyberféministe : qu’en penses-tu ? Ses points forts, ses points faibles ?
Je suis si nouvelle dans l’univers des féminismes (je ne me dis féministe que depuis l’été dernier), je ne connais que trop peu la scène québécoise ! Mais, jusqu’à présent, j’adore ce que j’y trouve et projette de m’adonner à une exploration plus sérieuse de la blogosphère féministe québécoise.
5. Selon toi, quels sont les enjeux primordiaux pour le féminisme aujourd’hui ?
TOUT est encore si important, je ne saurais prioriser. Sur le coup, ce qui me vient en tête est l’importance de ne pas tomber dans le panneau de la nonchalance ici en Occident. Tout n’est pas gagné ! Il faut demeurer à l’affût du sexisme ordinaire et insidieux, comme le slut shaming qui engendre le victim blaming et alimente la culture du viol. Il faut rester vigilantes par rapport à toute forme d’oppression, aussi sournoise soit-elle, comme les soi-disant « compliments » qui s’avèrent à être du harcèlement sexuel de rue ou la soi-disant « galanterie » infantilisante de n’ouvrir les portes qu’aux femmes. Il faut tout de même veiller à ne pas coloniser les luttes féministes d’autres groupes dont le contexte culturel diffère ! Par exemple, au Québec, la récente controverse autour de la Charte des valeurs démontre clairement que nous n’avons pas fini de nous époumoner.
Par ailleurs, la reconnaissance et l’inclusion des femmes trans* comme femmes à part entière, autant dans les mouvements féministes que dans le reste de la société, me touche particulièrement. Il en va de même pour la lutte contre toutes formes de discrimination (sexisme, hétérosexisme, transexisme, capacitisme, classisme, racisme, âgisme, antisémitisme, grossisme, etc.).
Sinon, à l’échelle mondiale, l’acquisition et l’application de droits fondamentaux pour les femmes comme l’accès à l’éducation, au vote, à l’équité salariale, etc.
Ouf ! Ça en fait beaucoup. Ne perdez pas espoir, mes sœurs. On va y arriver.
Annick Rouleau
Tumblr : http://commepoussentlespissenlits.tumblr.com/
Facebook : Organnick Rouleau
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