Le rire comme arm(ur)e ?

« Moi, j’éclate de rire, quand j’entends ça » disait Lise Payette à Tout le monde en parle l’autre soir. Elle évoquait sa réaction face aux gens qui disent que, s’il n’y a pas beaucoup de femmes en politique, c’est parce qu’elles sont incompétentes dans ce domaine. Ça a fait un déclic dans ma tête : quand quelqu’un me sort une aberration antiféministe, je ne devrais pas me désoler, m’indigner ou me décourager (réactions qui me viennent généralement dans cet ordre). Je devrais rire. Genre : « Pour le même travail, les femmes gagnent autant que les hommes » ? Hihi ! « Les féministes mettent tous leurs malheurs sur le dos du patriarcat » ? Héhé ! « C’est juste les conséquences de leurs propres choix » ? Hahaha !

J’ai observé deux types de gens qui s’opposent au féminisme : ceux qui le font consciemment et ceux qui le font inconsciemment. Je ne saurais dire lesquels sont les plus butés. Ceux qui le font consciemment sont butés de ne pas viser un monde meilleur pour tout le monde ; ceux qui le font inconsciemment en se prétendant quand même féministes sont butés de ne pas avoir l’humilité ni l’ouverture d’esprit de se laisser édifier par celles et ceux qui en savent plus qu’eux sur ce sujet-là.

Devant ma réaction habituelle à l’antiféminisme – désolation, indignation puis découragement, je le rappelle – le premier type prend la première phase comme une atteinte à son ego, saute avec délice sur la deuxième phase en la qualifiant d’hystérie et/ou d’agressivité (sans oublier de diagnostiquer que mon féminisme vient du manque cruel de pénis dans ma vie : je suis soit mal baisée, soit lesbienne), et interprète la troisième phase comme sa victoire. Parce qu’évidemment, si je suis découragée et que j’arrête d’essayer d’argumenter avec lui, c’est nécessairement qu’il a gagné, donc qu’il a raison et que j’ai tort.

Le deuxième type, lui… C’est autre chose. C’est pire. Il aura la même réponse aux trois phases de ma réaction : « Mais tu comprends pas que je suis féministe, je suis de ton côté !! ». Que je n’ose surtout pas lui porter cette accusation d’antiféminisme accidentel (qui peut arriver à tout le monde, ayant été élevés dans une société patriarcale). Si je n’accepte pas la phrase « mais oui, je suis féministe » (formulée d’un ton exaspéré, en roulant des yeux) comme preuve unique et suffisante de son soutien, c’est moi qui suis en tort. Je fais juste un trip de pouvoir, je veux juste qu’il calque son opinion sur la mienne. Parce que si j’étais une féministe sensée et modérée, je lui serais forcément reconnaissante de son adhésion (théorique) à la cause. Sans oublier les mecsplications (mansplaining) : « Non non, laisse-moi t’expliquer les véritables enjeux du féminisme. Laisse-moi te dire comment tu devrais être féministe. Et remercie-moi de la grandeur d’âme dont je fais preuve en daignant faire l’effort de t’éduquer. »

Je vois très bien l’absurdité et l’incohérence de leurs propos et de leurs attitudes. Le problème, c’est que je ne suis pas une femme forte. Pas autant que je le voudrais, en tout cas. C’est assez frustrant d’avoir l’intelligence et la perspicacité nécessaires pour voir tout plein d’injustices et d’inégalités dans notre société, mais pas (encore) la force de m’écarter du politically correct pour prendre un seau d’eau pis leur jeter en pleine face (oui, je viens de faire une référence à Carmen Campagne). Je suis humble, je me remets souvent en question, je ne veux jamais blesser personne, je parle doucement. Bref, face à un ego démesuré, je me retrouve démunie : mon ego et moi ne faisons pas le poids.

Ce qui nous ramène à mon déclic : leur jeter mon rire en pleine face. D’abord et avant tout, parce que je me suis trop souvent laissé démolir le moral par ces choses-là, et que si j’arrive à éviter le gros nœud d’impuissance, de peur et de frustration dans ma gorge, ça va m’épargner bien des déprimes. Je me suis donc dit que ça pourrait peut-être être ça, mon arm(ur)e : éclater de rire… Magie ! Je vais avoir l’air sûre de moi, sans qu’on puisse m’accuser d’agressivité. Ça serait sûrement pas mal plus facile que de me construire une forteresse d’assurance qui me rendrait capable de parler fort et de supprimer tous les petits marqueurs d’hésitation/d’humilité de mon discours. Fini, de me laisser ratatiner et remettre en question par l’aplomb d’un grand twit qui parle à travers son chapeau (probablement trop petit pour sa tête enflée, de toute façon).

Toute ragaillardie par cette nouvelle idée aux apparences de panacée, j’avais presque hâte à la prochaine occasion de la tester. « Rire, rire, il faut que j’en rie, il faut pas que je les laisse me décourager de l’humanité, c’est pas moi qui nourris des espoirs naïfs, c’est eux qui sont arriérés et aveugles… »

Spoiler : ça a pas marché pantoute. Mais j’y arriverai peut-être quand j’aurai l’âge de Mme Payette (en espérant que mon féminisme aura évolué en même temps que la société). Je suis peut-être pas très forte, mais je suis persévérante.

Camille Simone Brabant

2 Comments

  • Ana
    16 mars 2016

    Ton texte est très juste, et tu viens de me donner une technique de répartie: rire à la barbe des anti-féministes!
    Je suis à moitié comme toi (assez peu sûre de moi, n’osant pas blesser les gens que je connais…) et à moitié ultra-réactive (je me scandalise facilement, je pars au quart de tour quand je suis révoltée…). Donc tu viens de me donner une troisième alternative, que je choisirai entre la non-réaction et l’offensive colérique!
    Je pense que cette technique est la meilleure (elle montre la bêtise de l’autre et témoigne ton désaccord total, sans pour autant être perçue comme agressive ou déplacée: juste un brin vexante!), mais je ne suis pas sûre du tout comme toi d’être capable de l’utiliser!! Soit je suis trop estomaquée, ou trop gênée du fait de mes relations avec la personne pour répondre, soit je lui balance ses quatre vérités à la figure en roulant des yeux d’exaspération devant tant de bêtise.
    Eclater de rire après une remarque ou un cliché sexiste… Je pense que ça nécessite un bon entrainement! ^^

    [Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]

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