Êtes-vous sexiste?

Texte publié d’abord sur le blog L’agora

Lorsque j’ai été approchée par les auteurs du blogue L’Agora pour faire un billet de « féministe », je me suis dit que non, je ne me lancerais pas là-dedans. Que c’était leur thing et que mon input n’apporterait rien de bien différent de ce qu’on voit dans les médias et dans les divers quotidiens ou blogues. Et puis là je me suis dit : voyons donc, pourquoi moi, qui a tout à fait les compétences pour faire ce genre de choses, je m’abstiendrais? Les trois hommes qui tiennent le blogue ne se posent pas ces mêmes questions, à savoir si leurs propos valent la peine d’être partagés, alors que moi, oui.

Je suis contente d’avoir pris conscience que, naturellement, instinctivement, je me sentais moins compétente que des gars pour faire le même travail. C’est drôle vous ne trouvez pas? Ça ne vous fait pas penser à quelque chose? …Le sexisme ordinaire genre?

J’ai été élevée par des parents féministes, avec deux sœurs féministes. Notre petit cocon familial m’a permis de me développer en croyant que j’étais égale à mon ami de classe ayant un pénis. Mais tranquillement, des petits événements ont remis en question cette égalité.

Un jour, pendant que je jouais au soccer, un garçon m’a poussée par terre sans raison apparente et je me suis blessée. Lorsque j’ai raconté cet événement à l’entraineur, il m’a dit « c’est parce qu’il t’aime ». Je me suis dit WTF? (C’est pas exactement les mots que j’utilisais à 8 ans, on s’entend). Pour moi ça n’avait pas de sens, aimer quelqu’un c’était pas ça, messemble? Finalement, c’est vrai qu’il avait un kick sur moi, donc des liens se font dans ma tête : faire mal = aimer. On est sorti ensemble (pas ma plus grande action féministe).

Plus tard, il me disait des trucs genre : « si tu continues de mettre ça, je casse; si tu te refais cette coiffure, je casse ». Mes amies me disaient que c’était pas grave et que j’avais juste à ne plus refaire ou remettre ces choses-là pour lui plaire  (au primaire!). Je me suis même faitshamer parce que je n’avais pas de seins (au primaire!). Sans même que je m’en rende compte, quelque chose a changé dans la perception que j’avais de moi, de mon corps, de la valeur que je m’accordais, mais aussi dans ma perception des femmes et des hommes, de la place que je devais prendre ou plutôt ne pas prendre. Ça a continué comme ça, longtemps.

Au secondaire, les choses sont différentes : Éveil sexuel oblige. Quand t’es une fille et que tu te fais pogner une fesse par un gars, faut le prendre comme un compliment; pas comme une agression, parce que c’est normal pis c’est pas grave au fond. La ligne entre ce qui est grave ou pas devient alors floue.

J’ai eu beaucoup d’amis gars vers la fin de mon secondaire. J’aimais penser que j’étais one of the boys. Mais dans la vie, c’est pas possible. C’est pas possible qu’une fille soit amie avec un gars. Bin non, parce que le gars lui, il est ami avec toi juste pour coucher avec toi, c’est connu, sinon c’est parce que toi, t’es une « agace » ou t’es naïve. Évidemment, parce que dans tout rapport homme-femme y’a du sexe. On a essayé de me convaincre que mes amis n’étaient pas vraiment mes amis, parce que si j’ouvrais mes jambes, on ne serait plus amis, ce serait fini. Un homme, ça ne se tient pas avec une femme, c’est pas ami avec une femme, sauf s’il est gai.

Après le secondaire viennent le cégep et l’université. Là tu commences à sortir dans les bars. Pis là, tu commences à faire attention à ce que tu portes, tu fais attention à ton verre, tu fais attention et tu t’assures que les amies avec qui tu es font aussi attention que toi. Quand c’est le temps de choisir ton outfit, tu t’assures que les vêtements que tu vas choisir ne montrent pas trop de peau, que ce soit pas trop slutty, parce que tu risques de te faire juger, de te faire aborder même si tu ne veux pas et évidemment, lancer une invitation de copulation, parce que peau = sexe. Tu te fais dire de ne pas marcher seule le soir, surtout si tu as pris un verre, de ne jamais prendre un taxi seule le soir, surtout si tu as pris un verre. Tu t’assures que tes amies s’assurent de ça aussi. Bref, ne sois jamais seule, le soir, avec un verre dans le corps, parce qu’on ne peut pas t’assurer que rien ne va t’arriver si tu es seule. Les garçons, eux, n’ont pas à prendre toutes ces précautions.

Pis en même temps, à travers les discussions, t’apprends qu’il y a des gars qui cotent des femmes sur une échelle de 1 à 10 en s’appuyant sur leur apparence. Puis tu te dis que tu ne veux pas être cotée en bas d’au moins 5. Tu veux leur plaire, parce que c’est ce qu’on t’apprend : tu dois plaire. Mais pas trop, culture du viol oblige. Alors comme femme, tu reçois des messages tellement différents : Fais attention à la façon dont tu t’habilles, fais attention de ne pas trop boire d’alcool, fais attention lorsque tu es seule le soir, mais en même temps, n’oublie pas que tu dois plaire. Alors, trouve le juste milieu là-dedans.

Pis après ça, il y a les petites discussions sexistes, mais tu t’en rends pas compte tout de suite, parce que ça semble tout à fait normal. Le nombre de fois où un gars m’a dit que son ex est folle, que ses ex sont toutes des folles, que les filles sont folles, c’est impressionnant. Puis évidemment, moi, je croyais ça. Je ne me disais pas : peut-être que c’est lui dans le fond le problème, pourquoi TOUTES les filles sont folles? Parce que tu les rends folles?  Non. C’est rare qu’une fille m’a dit : « mon ex c’est un fou », mais j’ai souvent entendu « l’ex de mon chum c’est une folle, cette fille-là elle est folle ».

Une étude publiée en 2016[1] démontre qu’une femme étant en couple avec un homme ayant des attitudes et comportements sexistes aura tendance à endosser et intérioriser des attitudes sexistes en acceptant ainsi d’être le « sexe faible » au sein du couple. Quand ton chum perpétue l’idée qu’une femme doit être douce, aimante, plus faible qu’un homme et qu’elle doit être protégée, c’est ce que tu intérioriseras aussi, à la longue. Tu voudras donc que ton compagnon puisse te protéger, avoir une sécurité. T’es pas égale dans le fond.

Ce que je veux dire c’est qu’on est tellement exposé à ce sexisme ordinaire, ce sexisme ambiant qu’on ne s’en rend même pas compte; on se dit que c’est pas grave, que c’est même drôle parfois, alors on ne le dénonce pas. Dans ce que j’ai énoncé depuis le début de ce texte, combien parmi vous avez vécu ce type de chose, dit ce genre de choses ou été témoins de ce genre de choses? Moi je ne peux pas les compter, c’est tous les jours, c’est constant, d’autant plus avec les réseaux sociaux. Ce sexisme ambiant est moins frappant que le sexisme hostile[2] – où on exprime ouvertement à la femme qu’elle vaut moins que l’homme -, c’est certain, mais reste qu’il continue à marteler aux femmes qu’elles sont inférieures. Vous pourriez vous dire « ben là les femmes, vous avez des batailles plus importantes que de vous battre contre le sexisme ordinaire ». Pourquoi choisir une bataille? Pourquoi prioriser?

Moi je vous invite à vous demander, êtes-vous sexiste? Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais ce serait peut-être le bon moment pour vous questionner, dénoncer et changer, pourquoi pas?

Alexa Pelletier


[1] Hammond, M. D., Overall, N. C., & Cross, E. J. (2016). Internalizing sexism within close relationships: Perceptions of intimate partners’ benevolent sexism promote women’s endorsement of benevolent sexism. Journal of personality and social psychology110(2), 214 p.

[2] Sexisme hostile : émerge du désir des hommes de maintenir leur accès privilégié aux statuts et ressources en exprimant des attitudes désobligeantes et antagonistes envers les femmes qui adoptent des rôles non traditionnels et remettent en cause le pouvoir sociétal des hommes (traduction libre de Hammond, Overall & Cross).

4 Comments

  • Jonathan
    26 mai 2016

    Bon texte sur le sexisme ordinaire qui, en effet, peut s’immiscer – malheureusement – dans toutes les têtes…

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  • Michel
    16 juin 2016

    Bonjour,
    L’auteur(e) fait l’impasse sur la moitié du problème : le sexisme contre les femmes développé par les femmes elles-mêmes. Ce n’est pas uniquement le gars footeux qui est sexiste, mais également les femmes qui peuvent avoir un regard extrêmement dur les unes sur les autres (mal maquillée, grosse, démodée, etc. : balivernes sexistes qu’on trouve souvent dans Madame F…)
    Vous donnez ici, avec des arguments peu dense à l’évidence et qui mériteraient un fil bibliographique, dans la guerre des sexes, hélas.

    La conclusion de l’article, trop long, est extrêmement molle ; elle est bien connue depuis très longtemps (voir simplement Bourdieu). Une question se pose, brûlante : l’auteure n’est-elle pas, sans même le savoir, plutôt sexiste elle-même?

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  • Elsa
    29 janvier 2017

    Ben bien sûr qu’on est tous-toutes sexistes! L’auteur en parle aussi, dans son dernier article encore plus, on a tous-toutes un rôle à jouer!

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