À : entre confort et confrontation, une pièce féministe nécessaire
Dimanche au réveil, la douleur m’a prise et ne m’a plus quittée. En tant que LGBTQIA+, la tuerie au Pulse me révulse, tout comme les réactions de plusieurs, les titres des médias, la LBTQIA erasure derrière le mot gay, le racisme passé sous silence, etc. Heureusement, ce dimanche-là, j’avais des billets de théâtre. Une pièce féministe à l’équipe de travail non-mixte avait attiré mon regard quelques semaines auparavant. Merci, la vie.
Née d’une envie de prendre la parole sans drame et plutôt dans une posture analytique, À est le texte d’une seule autrice, Isabelle Montpetit, mis en scène par Mathilde Addy-Laird et joué par cinq actrices talentueuses. Il se divise en plusieurs tableaux-thèmes où les voix percent, s’additionnent et se confrontent. Du mythe de la féministe enragée au genre en passant par les corporalités, les sujets sont variés, tout autant que les propos sont intelligents.
Intelligents, mais peu choquants pour les féministes aguerries, qu’ils laissent s’installer dans une zone de confort où elles peuvent baisser leurs gardes sans avoir peur de découvrir une femme objectifiée ou ridiculisée au détour d’une phrase, les propos provoquent des remises en question et sont très instructifs pour de nouvelles militantes et, surtout, pour des hommes. Les réactions de ces derniers se font d’ailleurs entendre et on voit leur langage corporel se fermer à bien des endroits, dont lors du tableau sur la séduction qui parle de cible, de chasse et de stratagèmes tordus. Saouler une personne pour qu’il soit plus facile de la convaincre de rentrer avec soi ? C’est pourtant socialement accepté, non ? Ouch. Pas toujours facile de prendre conscience de nos comportements.
Mais le numéro va plus loin et permet une réflexion plus globale. Il aborde ces rencontres et ces connections humaines ratées à cause de la chasse. Ces gens qu’on met volontairement de côté pour ne se concentrer que sur une seule personne et qui, pourtant, pourraient nous apporter tellement plus, si on osait leur accorder de l’attention. Tellement plus au sens des intérêts commun, mais aussi tout simplement des relations consentantes, bâties tranquillement à coup d’amitié ou d’attirance naissantes et non d’égos chasseurs.
Autre élément qui mérite d’être souligné, malgré la diversité des corps présentés, l’intersectionnalité des luttes est peu présente dans l’œuvre. Interrogée sur le sujet, la metteure en scène explique qu’elle a travaillé le texte comme celui d’une seule femme, distribuant les lignes aux actrices pour ce qu’elles lui inspiraient dans leurs attitudes, leurs jeux, plus que dans les luttes qu’elles pouvaient vivre personnellement. L’autrice, elle, répond qu’elle ne voulait pas forcer la main aux actrices et leur faire prendre parole sur des enjeux qu’elles ne désiraient peut-être pas défendre. On assiste donc majoritairement à des lieux communs entre les femmes, même si certaines ont ajouté aux lignes un peu de leur saveur personnelle.
Cette idée de la parole unique se retrouve très bien dans scénographie et la mise en scène qui isolent les femmes pour mieux les réunir, montrant à la fois nos solitudes et à quel point nous ne sommes pas seules. Suivant les contraintes du Festival Sainte-Ambroise Fringe de Montréal dans lequel elle s’inscrit, l’esthétique de la pièce est minimaliste sans en être moins percutante dans sa valse des réunions, des oppositions et des isolements. Il s’agit d’une réalisation scénique de tête plutôt que d’émotions puisque, de l’aveu de Mathilde Addy-Laird, les mises en scène trop émotives sont reprochées aux femmes parce qu’elles sont «trop attendues» de leur genre. N’est-ce pas terrible quand on y pense? Oui, bien sûr que oui.
De là encore la plus grande pertinence du projet. Écrite, pensée, mise en scène, éclairée, musicalisée et jouée par des femmes, la pièce nous parle des femmes dans chaque parcelle d’elle-même. Ça fait du bien. Franchement du bien. Honnêtement, si ce texte se retrouvait imprimé sous quelque forme que ce soit (pourquoi pas un zine ?), je courrais l’acheter. Il est à lire, entendre, voir et revoir et j’espère de tout cœur que cette première version fera son chemin vers une salle de théâtre officielle. Mesdames, réservez-moi déjà un billet !
Il vous reste encore quelques dates pour voir À :
Jeudi le 16 juin à 22h45 (Hey ! C’est aujourd’hui ça, yé !)
Samedi le 18 juin à 14h45
Dimanche le 19 juin à 21h15
Pour toutes les informations : l’événement Facebook
Pour la billetterie (PSSST! Les billets sont seulement 10$ !) : au Fringe
* Ce n’est qu’à la fin de l’écriture de ce billet que j’ai réalisé que les blogueuses de Je suis féministe sont remerciées en fin de livret. Par souci de transparence, sachez que je ne fais pas partie de ces remerciements puisque je viens de me joindre à l’équipe, mais je suis très fière de voir le genre d’impact que peuvent avoir nos écritures! Bravo, chères co-blogueuses !
Sonia
Beau texte aidant puisque nuancé. Fait du bien dans un monde noir et blanc!
Cette pièce devrait se rendre jusqu’au bas-st-laurant
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