Parlons lesbophobie
J’ai lu bien des textes intersectionnels sur bien des sujets, mais presque aucun sur la lesbophobie. Pourtant, il s’agit d’un mélange à la fois de misogynie et d’homophobie. Souvent insidieuse, elle s’est montrée au grand jour cette semaine avec la fameuse publicité « pro-lesbiennes/pro-pétrole canadien » :
Beaucoup ont dénoncé l’objectification des femmes et leur hypersexualisation sur cette image, et ce, avec raison. Cependant, même parmi les groupes militants LGBTQIAA, peu ont dénoncé sa lesbophobie. Pourtant, il s’agit bien d’une représentation lesbienne stéréotypée et mise en scène pour le plaisir de l’œil masculin hétéro cisgenre. Et c’est ça, la lesbophobie : une discrimination spécifique aux femmes qui aiment les femmes… ou plutôt, qui n’aiment pas les hommes (et les autres genres, mais cela paraît secondaire à l’ordre cisgenre patriarcal). C’est de nier le fait que des femmes peuvent vivre et s’épanouir, sur tous les plans, sans les hommes cisgenres. Car il est là, le nœud du problème. Comment est-il possible de vivre sans un homme cis dans son intimité ? «Impossible !», répond le patriarcat.
La lesbophobie, c’est aussi prétendre que les lesbiennes sont mieux acceptées dans nos sociétés que les hommes gays parce qu’elles excitent les hommes (encore une fois hétérosexuels et cisgenres… Dorénavant, le mot « homme » équivaudra à « homme-hétéro-cisgenre », sauf mention contraire, pour alléger la lecture, et je m’en excuse). Se rend-t-on bien compte de la misogynie et de l’homophobie de ce propos ? On sous-entend que pour être socialement acceptée, l’homosexualité féminine doit être validée par un homme et servir ses intérêts. C’est ce qui donne lieu à la mise en scène stéréotypée ci-dessus : la femme plus masculine avec la femme plus féminine, les deux correspondant toutefois au male gaze – la taille fine, les cheveux longs, les yeux mis-clos, soumis, les bouches entr’ouvertes, charnelles, selon les codes de la porno mainstream. Je ne dis pas que cette image ne peut pas plaire aux lesbiennes, ou les exciter, mais elle reproduit les schèmes patriarcaux et son intérêt premier est d’aussi plaire aux hommes.
La lesbophobie, c’est également d’utiliser le mot «lesbianisme» comme l’a fait Ian Bussières. Être lesbienne n’est pas une doctrine*, ni une activité*. D’ailleurs, il n’existe pas de mot équivalent pour les hommes homosexuels, tel gayïsme. Peut-être est-ce parce que le mythe selon lequel des hommes se convertissent à l’homosexualité à cause du masculinisme et pour se sauver des maudites femmes… n’existe pas ? Ou est-ce parce que le mot «homosexualité» appartient exclusivement aux gays et qu’il paraît trop long d’ajouter le vraiment nécessaire «féminine» ?
Ces deux hypothèses quant à l’utilisation du mot «lesbianisme» résument à mes yeux l’intersectionnalité des oppressions lesbophobes. Les femmes lesbiennes sont à la fois moquées par le patriarcat, qui tente de les soumettre malgré tout à ses désirs, et par les communautés LGBTQIAA, qui les marginalisent et les comptent comme une catégorie à part, la dominance du mouvement étant encore une fois tenue par des hommes.
N’allez cependant pas croire qu’il n’y a que les hommes qui font preuve de lesbophobie. Toutes ces femmes qui disent «s’habiller tomboy », tout en tenant mordicus à être présumées hétérosexuelles « parce qu’elles ne sont tellement pas lesbiennes», font preuve de lesbophobie. Après tout, réclamer haut et fort de ne pas être identifiée homosexuelle, est-ce que ça ne dénote pas un certain dégoût? Le sujet étant complexe, il mérite son propre texte et je vous donne rendez-vous dans un prochain billet pour le décortiquer.
D’ici là, bonnes luttes contre la misogynie, l’homophobie et, plus particulièrement, la lesbophobie !
P.S. Merci aux Brutes pour leur réaction humoristique grâce à laquelle j’ai pu décanter et écrire ce billet.
*Trésor de la langue française, sous «Isme, suff»
Nathalie
Merci pour ce texte mais , s’il vous plait, n’allégez pas le texte . Souvent, quand le texte est allégé, c’est le féminin qui saute pour ne garder que le masculin.
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]
Marie Danièle
Ce qui est allégé ici c’est le «homme» pour «homme hétérosexuel cisgenre» et non pas l’élimination du féminin au profit du seul masculin.
La prochaine fois, pourquoi pas, je créerai le HHC* pour «Hommes hétérosexuels cigenres» et peut-être que je partirai une tendance? 😉
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]
Mervens
L’article est un peu flou pour moi, je suis un néophyte sur ce site et je n’ai pas compris la première partie de la définition de « lesbophobie ». A aucun moment on ne fait référence à la peur mais plutôt à une sorte de catégorisation de la représentation des femmes homosexuelles à travers le regard d’un homme cis-genre. Pouvez-vous m’éclairer aussi sur cette partie du texte qui n’a pour moi aucun sens ?
la lesbophobie : une discrimination spécifique aux femmes qui aiment les femmes… ou plutôt, qui n’aiment pas les hommes (et les autres genres)
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]
Marie Danièle
la «phobie», si le mot était réelllement relié à une peur, serait la peur que les femmes puissent vivre sans l’homme-hétéro-cisgenres. Cependant, lorsqu’il est utilisé pour décrire des disciminations, le suffixe «phobie» ne fait plus référence spécifiquement à une «peur» telle qu’entendue au sens général du type «arachnophobie» (peur de l’araignée) tant qu’à une discrimination spécifique liée à une «différence» en rapport avec l’ordre dit «normal» des «choses», soit de la norme imposée par la domination. Dans une société patriarcale, hétérocentriste où les cisgenres sont rois, l’homophobie, la transphobie et la lesbophobie perdurent et sont des discriminations et non des «peurs».
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]
Marie Danièle
Si mon écriture n’est pas claire pour vous, j’en suis désolée. Vous pouvez entrer «lesbophobie» dans Google et diverses sources devraient vous apparaître. Parfois, il faut plusieurs articles et autrices pour comprendre un phénomène avec lequel on n’est pas familier, toutes les plumes ne sont pas éclairantes pour toustes. Vive la diversifications des ressources ! 😉
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]
Andréa
Le terme « lesbiannisme » existe. Il est utilisé par certaines féministes radicales. Voir entre autres Ti-Grace Atkinson. Il s’agit justement, pour ces féministes, d’un choix politique.
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]