La confiance

Les Angélique sont un collectif qui aborde les réalités des femmes noires à Montréal. Chacune expose son point de vue personnel en réaction aux discussions récentes sur l’intimidation que vivent les femmes qui s’expriment sur la place publique.Voir ici le texte de MARIE-Angélique. Suivez notre collectif sur Facebook @MJAngelique.

Le jour où Donald Trump a été élu à la présidence des États-Unis a été un de lendemain de veille. Je m’étais couchée beaucoup trop tard pour quelqu’un avec un petit bébé qui se réveillait encore plusieurs fois par nuit. J’ai pleuré doucement dans la nuit en allaitant mon bébé une fois le résultat confirmé. Le jour levé, j’ai suivi les informations avec avidité, essayant de comprendre comment l’impossible avait pu arriver. Jusqu’à ce que je vois les statistiques démographiques. 53%. 53 % des femmes blanches avaient voté pour Trump. C’étaient elles, plus que n’importe quel autre groupe, qui l’avaient porté au pouvoir. C’étaient elles qui avaient tourné le dos à celle qui était censée les représenter pour choisir celui qui basait son discours sur le mépris et la haine de «l’autre». Le mépris et la haine des gens comme moi. Ces femmes avaient mis leurs intérêts raciaux avant leurs intérêts de genre. Ce jour-là, je me suis sentie trahie.

J’ai réfléchi à tout cela les jours qui ont suivi. Je me suis rendu compte que le sentiment de trahison passager était surtout dû au choc du résultat de l’élection, alors qu’au final, il y a fort longtemps que les femmes blanches (et surtout les féministes) ont perdu ma confiance. Don’t get me wrong. On peut se côtoyer. On peut être amies. On peut s’aimer même. Un nombre impressionnant de mes meilleures amies sont des femmes blanches (féministes). Et pourtant. Je ne fais pas confiance aux femmes blanches féministes. Je n’ai pas confiance qu’elles ne soient pas source de violence. Je n’ai pas confiance de pouvoir m’appuyer sur elles. Je n’ai pas confiance que ma voix soit en sécurité avec elles.

C’est un processus qui a pris du temps. De l’accumulation. Les fois où elles ont dénigré les cheveux lissés de femmes noires. Les fois où elles m’ont expliqué ce que je devrais trouver raciste et pas raciste. Les fois où elles m’ont voulu dans leur équipe pour bien paraître. Les fois où elles se sont réclamées de l’intersectionnalité comme d’une liste d’épicerie. Les fois où elles ont encensé des livres/films/pièces de théâtre qui étaient racistes. Les fois où elles ont commenté la couleur de ma peau ou celle de mon enfant. Les fois où elles ont ridiculisé les dénonciations de racisme. Les fois où elles ont qualifié d’«enragées» des femmes noires. Les fois où les événements, les textes, les espaces, centrés sur les voix de femmes noires leur semblaient une façon de «créer des ponts» envers elles, réitérant à chaque fois que l’existence de notre parole devrait être un appel envers elles. Les fois où elles se sont mises au centre, encore et toujours. Les milliers de fois où elles ont voulu que je les rassure qu’elles ne sont pas racistes, que je prenne soin d’elles lorsqu’elles étaient callées out.

C’est une courte liste. Une liste bien courte et non-exhaustive qui semble bien banale tant ce sont des situations qui sont souvent nommées au sein des cercles féministes. Et pourtant. Malgré que nos voix soient fatiguées à force de répéter. On dirait qu’il n’existe aucune manière de parler pour qu’on puisse finalement être entendues. Je suis fatiguée, je l’avoue.

On a parlé d’épuisement féministe ces dernières semaines. De femmes qui nomment leur écoeurantite face aux trolls. Alors qu’est-ce qu’on fait quand ce sont ces mêmes féministes blanches qui sont les trolls des femmes noires ?

J’entends que des espaces féministes majoritairement occupés par des femmes blanches veulent entendre des voix de femmes racisées. C’est une volonté que j’entends depuis un moment. Mais je ne fais pas confiance aux féministes blanches. Ni pour m’appuyer lorsque les trolls m’attaqueront. Ni pour ne pas être elles-mêmes les trolls qui seront source de violence. Malgré les années qui passent, je n’ai été témoin d’aucune initiative menée par des féministes blanches qui s’est avérée véritablement intersectionnelle (peut-être que ça existe… quelque part!) Où les femmes blanches étaient prêtes à se remettre en question. Écouter. Modifier leurs pratiques et leurs a priori. Donner le micro, plutôt que traduire une parole.

L’intersectionnalité, c’est un processus radical qui déconstruit les systèmes d’oppressions et leurs imbrications. Ce n’est pas une liste d’épicerie. Ce n’est pas dire «les femmes racisées existent aussi» à la fin d’un paragraphe. C’est décentrer l’expérience des femmes blanches. Et pourtant. Ce texte n’est pas à propos de moi, il est à propos de vous.

 

Marie-ANGÉLIQUE

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