Force: nom féminin, du latin…
Sur les blogues féministes, on surenchère avec les design roses et pastels. Un patch à motif floral sur laquelle il est inscrit ‘’Kill your local rapists’’. Une photographie où se mélangent bijoux et couteaux. Les poils d’aisselle teints de Miley. Mon #DressedToKill outfit, c’est une jupe à motif floral et un crop top. Lana Del Rey avec sa couronne de fleur et ses ongles stilettos. Des dizaines de boutiques Etsy où défilent des armes et le mot Fuck sur fond rose et mauve. Une esthétique à la Virgin suicides.
Même aujourd’hui, mettre ainsi à l’avant des éléments de la féminité est presque un acte radical, la femme étant la créature à éviter à tous prix. Lorsqu’on est un garçon, on s’éloigne de tout ce qui, de près ou de loin, peut être associé aux femmes; il faut être un « vrai homme », n’avoir ressenti aucune émotion durant les treize dernières années, être un bloc de sueur, de poils et de bacon. On donne un genre à tous les produits ou les concepts imaginables: déodorants, mouchoirs (ceux des femmes servent exclusivement à essuyer les larmes et ceux des hommes, à essuyer la sueur. C’est scientifique.), repas, man buns, feuilles assouplissantes pour la sécheuse, pâte à dents, bromance, powerful yogurt pour hommes, les meggings, les couleurs… Il faut séparer à tous prix les genres, histoire que l’homme sache éviter tout ce qui est féminin.
D’un autre côté, tout ce qui est relié à la femme est négatif: on dit à la femme « sois douce, sois belle, sois délicate », puis on lui affirme que toutes ces qualifications sont faibles et niaises, mais qu’elle doit tout de même s’y conformer. Ne pas être « comme les autres filles » est un compliment, mais gare à celle qui s’éloigne trop de la féminité: pas moyen de gagner lorsqu’on s’identifie comme femme. Une femme qui s’intéresse à la politique est source de moqueries, tout comme celle qui passe son temps dans les magasins. On punit ainsi la femme lorsqu’elle fait ce à quoi on s’attend d’elle, mais aussi lorsqu’elle en sort.
Ainsi, dans cette société où la masculinité est si valorisée, l’affichage de tant de féminité – et son acceptation comme valeurs positives, surtout – est un geste politique. Au-delà de cela, les codes de la féminité sont subvertis; la figure de la jeune fille, par exemple, devient menaçante, alors que les émotions, la vulnérabilité, la sensibilité servent d’armes, ne sont plus considérés comme négatifs. Le partage de nos émotions, ainsi, peut également être considéré comme un geste politique, dans une société où, comme la masculinité, on valorise l’absence d’émotions qui y est associé. C’est sur ces notions que se base le mouvement de la radical softness, lancé par Lora Mathis, artiste et poète, sur Tumblr.
Alors que le féministe appelle habituellement à la force, au courage – on a tous vu le ‘’we can do it’’, cette propagande de guerre (!) réutilisée à toutes les sauces dans les mouvements féministes – ce mouvement de subversion de la féminité appelle plutôt à une acceptation de nos faiblesses, à une valorisation de celles-ci. Que toutes les femmes qui pleurent toutes les larmes de leur corps après une rupture, qui tremblent de nervosité avant une communication, qui s’effondrent après une remarque désobligeante sur leur apparence se rejoignent: parfois, we can’t do it. N’élevons pas la féminité de manière à rejoindre l’aspect toxique de l’hypermasculinité; faisons plutôt ressortir les faiblesses de tous les sexes, l’aspect émotionnel de l’humain, qu’on associe habituellement aux femmes, cette force qui réside dans chacune de nos larmes, dans notre capacité à ressentir autant, mais surtout dans notre capacité à cicatriser. Il y a plus de force dans ce processus de guérison, dans ce choix d’accepter de ressentir des émotions de toutes sortes et de toutes intensités que chez la ou le plus musclé.e des bodylifters; parce que la vulnérabilité n’est ni une faiblesse, ni typiquement féminine, ni négative.
Dans une société où les femmes sont « toutes des folles », où les femmes sont particulièrement vulnérables aux maladies mentales – en partie en raison de l’oppression qu’elles vivent – il n’est pas rare que stigmatisation de la maladie mentale et sexisme se rejoignent. C’est principalement pour cette raison que l’artiste américaine Lora Mathis a démarré le mouvement Radical softness as a weapon; où elle fait un appel à rester soft, à cesser de considérer ce qualificatif comme étant négatif, parce que « les émotions ne sont pas signes de faiblesse ».
Toutefois, ce mouvement ne s’adresse pas qu’aux femmes seulement; on revendique le rose pour tous et pour toutes, parce qu’une couronne de fleurs, c’est cute sur la tête de n’importe qui. À travers cette subversion de la féminité, on s’adresse aussi aux standards masculins et, surtout, à la masculinité toxique qui, souvent, se bâtissent sur la haine de la femme et de tout ce qui est féminin. Qu’on se souvienne que la douleur émotionnelle, les crises de larmes, les émotions si intenses qu’elles font trembler nos os ne sont pas des traits de la femme, mais de l’être humain; que ces éléments sont considérés comme étant négatifs d’une manière complètement arbitraire (et sans doute en partie parce qu’ils sont associés à la femme), qui ne tient pas compte de toute la force morale qui y est contenue. La douceur radicale comme une arme, parce qu’il y a tant de force et de violence dans la guérison.
Catherine Fortin