Hannah et l’antiféminisme littéraire
Dans American Bitch, saison 6 épisode 3 de Girls, Hannah rencontre Chuck Palmer, un écrivain célèbre accusé d’agressions sexuelles par quatre jeunes femmes sur Tumblr. La rencontre a lieu dans la résidence luxueuse de l’écrivain. Celui-ci veut raconter sa version des faits à Hannah dont il a lu un texte qui le dénonce dans un média féministe peu connu.
Le début de l’entretien est insupportable alors que Chuck ne cesse de couper la parole à Hannah et se victimise en affirmant qu’il a perdu du poids depuis les « accusations » (lire : agressions), fait des cauchemars, prend des pilules et a peur que sa fille apprenne cela. Il va même jusqu’à se comparer à une sorcière et condamne les féministes de montrer un seul côté de l’histoire. Hannah est dégoûtée.
L’entretien prend une autre tournure alors que Chuck utilise ce que j’appellerais le discours dominant de l’antiféminisme littéraire pour justifier à la fois ses comportements et ses pratiques d’écriture. Il affirme que la politique ne devrait jamais se mêler de littérature et de sexualité. Le rôle de l’Écrivain serait alors de sonder la Nature Humaine complexe et contradictoire détachée complètement de son contexte sociopolitique et des rapports sociaux patriarcaux. Ce à quoi les féministes répondent : le privé est politique!
Hannah se trouve dans une position impossible puisqu’elle admire les œuvres de l’auteur tout en condamnant les gestes de l’homme. Elle désire devenir une écrivaine célèbre comme lui et n’est pas insensible à son charme. Une partie d’elle voudrait croire que ce grand écrivain qui la complimente sur son intelligence et lui répète sans cesse qu’elle est funny n’est pas un agresseur. Elle baisse sa garde et accepte de se coucher à côté de lui. Il sort alors son engin qu’elle touche sans réfléchir avant de bondir stupéfaite hors du lit.
Cette scène révèle Chuck comme un woke misogynist qui relègue Hannah aux filles en série honteuses d’avoir « succombé » au patriarcat. Pourtant, s’il faut retenir une chose de ce passage, c’est bien qu’il ne faut pas avoir honte de soi, que les relations de pouvoir sont omniprésentes et que personne n’est à l’abri d’une agression potentielle. Comme Nelly Arcan, Hannah a succombé à son désir de plaire, de réussir comme écrivaine dans une société patriarcale et violente. L’agentivité a ses limites.
L’épisode montre comment les discours symboliques patriarcaux — ici l’antiféminisme littéraire — cautionnent des violences matérielles concrètes. En prônant un discours littéraire supposément apolitique et sans morale, Chuck Palmer ne voit pas de problème à agresser des jeunes femmes dans la vraie vie. Sa vision du monde et de la littérature réduit les rapports sociaux à de simples faits individuels et anecdotiques. L’un des grands dangers de ce postmodernisme éculé est de renforcer la culture du viol en relativisant tout à l’extrême. Pourtant, Hannah pose une bonne question : qui parle, qui détient le pouvoir? La littérature restera majoritairement misogyne si elle étouffe les voix des minoritaires et privilégient les points de vues des hommes blancs cis hétérosexuels et aisés.
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