L’argument de la mini-jupe
Je pense que toute bonne féministe qui s’assume a déjà fait face à des commentaires laissant très peu de place à l’argumentation tellement ils sont vides de sens quand on prend bien le temps d’y réfléchir. Il y en a un en particulier qui me laisse toujours un arrière-goût amer dans la bouche. Pas un bon amer, comme celui d’un double expresso. Plutôt un amer du genre : « Qu’est-ce je suis sensée répondre à ça moi, champion? ». Parce que, disons-le-nous franchement, même la plus éloquente des féministes peut rester bouche bée devant les argumentations des sexistes populaires de ce monde. J’utilise l’expression « sexiste populaire » pour désigner tous ces gens, pas toujours de mauvaise foi, qui ne comprennent pas l’importance du féminisme encore aujourd’hui. Tous ces gens qui font des commentaires « innocents ». Parfois par manque de savoir, parfois par paresse.
Voici quelques exemples :
« Ce n’est pas beau une fille qui sacre. »
« Ah ouin, t’es une fille gameuse? »
« Ah mais je ne suis pas délicat, je ne suis pas une fille moi. »
« Ah, mais les filles sont rendues pas mal égales avec les hommes aujourd’hui, on est pu dans les années 70. »
« Tu ne devrais pas te maquiller, t’es belle naturelle. »
« Les filles se mettent de la pression elles-mêmes, personne ne les force à être belles et minces. »
Et un de mes préférés : « Les filles sont féministes, mais après elles sortent habillées en pitoune, je ne comprends pas… »
Toutes les fois que j’ai entendu ce raisonnement sur comment les femmes se présentent de façon sexy, je suis restée sans mot. Pas parce que j’étais choquée, mais tout simplement parce que je ne savais pas quoi répondre. Je parlais de l’équité des salaires, des violences subies par les femmes racisées, de la culture du viol et là, pouf! On me sort l’argument de la mini-jupe. On me lance un os sans viande. Qu’est-ce que je suis censée te dire pour te convaincre que la lutte féministe n’a rien à voir avec la longueur de la jupe de ta voisine Julie?
Premièrement, de quelle femme tu me parles? Je trouve cela difficile en tant que féministe de parler au nom de toutes les féministes. Et je trouve cela d’autant plus difficile en tant que femme de parler au nom de toutes les femmes. Mais honnêtement, je ne comprends pas ce que le décolleté de n’importe quelle fille que tu as croisée sur Tinder vient faire dans le débat? Est-ce que j’ai moi-même, personnellement, déjà porté un décolleté? Oui. Est-ce que je me suis sentie moins féministe ce jour-là? Non. Pourquoi ai-je mis ledit décolleté? Parce que j’aime mes seins et si je veux les mettre en valeur j’ai le droit. Tout simplement. Mais si tu me parles d’une femme X que tu as croisée dans un bar… Que dois-je te répondre?
Discréditer un discours féministe en raison de l’apparence physique d’une femme ou d’un groupe de femmes est tout à fait illogique. C’est une tactique sournoise qui sert uniquement à nous éloigner des vrais problèmes. Et pourquoi ce genre d’argument hors contexte basé sur le superficiel ne se fait-il jamais à propos des hommes? Je n’ai jamais entendu dire : « Ah oui, un homme vient de faire un discours incroyable sur la liberté d’expression et la paix dans le monde, mais après j’ai vu un autre gars qui sortait du gym avec un v-neck alors je sais plus trop quoi penser… » Non, jamais entendu.
Quand on me lance ce genre de commentaire pourri au visage, je pourrais faire le fameux discours d’empowerment. Que le corps d’une femme lui appartient (c’est vrai). Qu’elle peut vivre sa sexualité comme elle l’entend (toujours vrai). Mais ce serait parler au nom d’un individu qui a un passé, une histoire, des qualités, des défauts, etc.
Arrêtez de voir les femmes comme un grand tout homogène. Nous ne sommes pas nées dans un même moule même si cela ferait dont bien plaisir au patriarcat (et à son ami le capitalisme!). Lorsqu’une femme se prononce, elle ne devient pas la porte-parole de toutes les femmes.
Ce qui serait bien, c’est qu’on commence à s’intéresser à une féministe pour qui elle est, elle. Ses raisons à elle, ce qui la touche, ce qui l’a menée à s’assumer publiquement en tant que féministe. Le nombre d’injustices vécues qui peuvent avoir mené une femme vers le féminisme est infini. S’intéresser personnellement à ce qui peut avoir mené l’une d’entre nous à conduire une telle lutte peut être extrêmement enrichissant et révélateur. Donc, si pour vous, l’ouverture envers le féminisme est freinée par une mini-jupe, allez donc poser des questions à la personne qui porte la mini-jupe en question et ne me comptez pas responsable pour les opinions de toutes les femmes de la planète!
Et pour les gens qui sont encore dans le doute, je veux réitérer qu’une femme peut se présenter comme bon lui semble. Or, je ne peux pas parler pour elle. Si elle s’habille d’une telle façon parce qu’elle se sent plus confortable ainsi, tant mieux. Si elle s’habille d’une telle façon parce qu’elle cherche l’attention, c’est sa bataille, pas la vôtre (et ça marche bien si ça vient vous choquer). Si elle s’habille d’une telle façon parce qu’elle n’a pas confiance en elle et essaie de pallier à un quelconque manque… Qu’est-ce que ça vient faire dans mon féminisme? Encore une fois, les faiblesses de l’une ne sont pas les miennes. Et vice versa.
Personnellement, pour moi, l’auteure, la personne, je pense que c’est aussi cela la lutte féministe. Faire reconnaître toutes les femmes comme des personnes singulières. Mini-jupe ou pas.
Jacinthe Veillette
Excellent texte! J’adore la façon dont vous abordez l’absurdité de faire un lien entre l’habillement d’un individu en particulier et les idées défendues par un mouvement beaucoup plus large. Et la façon dont vous illustrez votre propos, avec votre exemple concernant le discours sur la liberté d’expression et l’homme au v neck, est sublime!
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