Assez

J’ai quitté mon emploi. Je leur ai dit que je voulais me concentrer sur mes études. Je leur ai dit que je n’y arrivais pas. Je leur ai dit que j’avais des projets. Je leur ai dit que j’avais trop de responsabilités. Ils m’ont dit qu’ils comprenaient. Ils m’ont remerciée pour les quatre longues années passées avec eux.  Ils m’ont dit que ma présence était appréciée de tous. Je leur ai dit que je les appréciais aussi.

 

Je m’en veux. Je m’en veux parce que j’ai menti. À eux et à moi. Je m’en veux de ne pas avoir dénoncé, de ne pas avoir dit la vérité. Je suis partie parce que je n’en pouvais plus. Je suis partie parce que c’était trop. Trop de devoir sourire, trop de devoir en rire.

 

C’est payé comment, Monsieur? Je peux te payer en nature si tu veux. Je ris.

T’es pas mal belle toi, si j’avais ton âge, je m’essaierais sur toi, certain. Je souris.

Regarde-la donc elle, avec ses deux tresses, elle a l’air d’une petite écolière. Je rougis.

Tu rougis, t’aimes ça? Sois pas gênée, je fais juste te complimenter. Je regarde par terre.

T’as l’air d’avoir froid, j’aimerais ça pouvoir te réchauffer. Je ne réponds pas.

Bin voyons, prends le pas comme ça, c’est juste une blague. Je ne ris plus.

T’es plus belle quand tu souris. Je ne le regarde plus.

T’as l’air bête. Je ne l’entends plus.

 

Je ne peux y échapper. Leurs mots me suivent, me collent. Je les sens sur moi, je les sens se plaquer à moi. Leurs regards pèsent; leurs sourires me mettent mal à l’aise. Ils me piquent, ils me démangent. Je gratte, mais rien à faire, leur présence est parasitaire. Dérangeants, arrogants; ils reviennent même après avoir mis trois couches d’onguent. Réaction allergique qui affecte mon physique; mes traits se crispent et mes yeux se plissent. Chaque fois c’est pareil; le lendemain même que la veille. La prévention est inutile; l’exposition me rend fragile. Ma peau est sale de tous ces mots, de ces mots qui deviennent maux. J’ai beau me laver, mais les marques vont rester. J’ai beau essayer, je ne peux oublier.

 

Le client est roi.

 

Manque de preuves. Ils refusent d’agir parce qu’ils n’ont pas de preuves. À les écouter, il faudrait qu’on se fasse toucher pour être remarquées. Il faudrait qu’on se fasse attaquer pour être aidées. Il faudrait qu’on se fasse violer pour être écoutées. Ce n’est jamais assez, mais on en a assez. Ils nous cherchent et ils nous trouvent. Ils nous parlent et ils nous proposent des cafés et des rendez-vous. Ils veulent nous reconduire chez nous après le travail. On refuse poliment, on leur dit qu’on nous attend déjà. Ils disent qu’ils comprennent, mais le jour suivant ils reviennent. Ils nous donnent leur numéro de téléphone, ils veulent qu’on les appelle; ils veulent qu’on s’en rappelle. Ma chérie, mon amour, ma belle, ma chouette: toujours les mêmes surnoms qui se répètent.

 

Manque de preuves. On exagère. On devrait s’y attendre. C’est ça, travailler dans le public. Il y en aura partout des clients comme ça. Il y en aura toujours des clients comme ça. Leur parler? Ça pourrait les gêner. Non, on n’aimerait mieux pas. C’est un client régulier. On le connaît bien. Il n’est pas méchant. Ça doit être la façon qu’il s’exprime. On est trop susceptible. On est trop sensible. Laissez-les faire. On préfèrerait laisser tomber. Tu peux rentrer plus tôt demain? On aurait besoin que tu rentres plus tôt demain.

 

Silence. Le mien, le leur, le nôtre. Je n’ai rien dit quand j’aurais pu; je n’ai rien dit quand j’aurais dû. Je suis partie. Je n’ai rien dit et je suis partie. Je suis partie la tête basse. Je suis partie en silence. Ce silence qui me tait. Ce silence qui me pèse. Ce silence qui me tue. Silence lourd; silence de mort. Je suis partie, mais lui me suit.

9 Comments

  • Roxanne Lapierre
    29 mars 2018
  • Marilou
    31 mars 2018

    Évidemment qu’il y a ce genre de comportement au Québec, beaucoup trop. Arrêtez de vous mettre la tête dans le sable!

    Et c’est quoi le rapport avec être Chicken? C’est pas du courage qu’il faut pour dire des commentaires déplacés comme ça.

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  • Pop the banished one..
    2 avril 2018

    Et où est-ce que j’ai mentionné qu’il n’y avait pas de sexisme au Québec? Ce que je dit, c’est que les comportements décrit ci-dessus qui sont souvent la norme en France ou en Amérique du sud (deux endroits où j’ai eu la malchance d’habiter), relève de l’anecdote ici. Notre taux de sexisme par habitant est comparable au pays scandinaves (que j’ai seulement visité, mais apprécié). Si vous êtes québécoise, voyager vous fera constater votre chance, et si vous êtes Française, venez donc faire un tour ici, prendre une pause de la « drag agressive ». Venez même faire les premiers pas envers les hommes, un tas de nouvelles expériences vous attend.

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    • Marie
      3 avril 2018

      Sérieux, ton commentaire me déçois… C’est clairement de la culture du viol, dont il est question, la drag abusive est très présente au Québec. Je suis chanceuse d’être québécoise parce que je me fais moins harceler que les Françaises ? Tes statistiques sont fausses..

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    • Caroline R.
      9 avril 2018

      Bonjour Pop the banished one,
      En temps normal, l’équipe d’admin aurait supprimé le commentaire précédent, mais les réponses de la communauté étant tout à fait adéquates, nous le laisserons pour la marque.
      Cela dit, merci de ne pas colporter des préjugés et ne pas remettre en question le vécu dont vous ignorez l’existence.
      La charte des commentaires peut également être consultée: https://jesuisfeministe.com/charte-des-commentaires/

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  • Morgan
    7 août 2018

    wow sa doit être très dure de vivre cela à la longue.
    Je suis avec toi, et il n’est pas trop tard pour le dire, il n’est jamais trop tard!
    Je te soutiens de tout mon coeur

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