Mes poils non genrés
Pendant le mois de mai, Maipoils[1] encourage les personnes de tous genres à laisser pousser leurs poils, à célébrer leurs corps et à réfléchir aux normes de beauté dominantes. En bon·ne littéraire que je suis, je lis dans le mot Maipoils un « mes » et un « mais ». Ce sont mes poils, mes choix personnels de les laisser pousser ou non, même s’il y a une certaine pression sociale reliée aux attentes genrées. En tant que neutrois·e amab[2], je déteste qu’on me genre au masculin et j’ai une pilosité abondante, ce qui me rend parfois inconfortable par rapport à la manière dont on me perçoit et à la manière dont je me sens. J’ai tendance à être surconscient·e du regard des autres. Des fois, je ne sais plus si je me rase parce que je préfère avoir la peau douce, diminuer mes caractères sexuels secondaires, réduire ma dysphorie physique et sociale ou si c’est davantage pour me conformer à d’autres normes sociales intériorisées, par exemple celles qui affirment qu’une personne trans non-binaire devrait adopter un look plus androgyne, tendre vers une espèce d’indifférenciation sexuelle et genrée. C’est une discussion fort complexe que j’ai eue à de multiples occasions avec un·e ami·e proche du nom de Ro qui est aussi une personne trans non-binaire, mais agenre et afab[3], et qui ressent donc une pression sociale quelque peu différente. Iel aime se laisser pousser les poils et arborer une expression de genre disons plus « féminine » (selon ses propres mots). Iel subit à la fois la transphobie d’être mégenré·e comme femme en plus de subir de la pilophobie (ironiquement, on l’assigne comme une « mauvaise » femme). Mon expérience personnelle est qu’on m’assigne souvent comme un homme efféminé qu’on considère probablement homosexuel. Les liens entre pilophobie, sexisme, transphobie et homophobie sont insidieux et intrinsèquement liés.
Dans le débat controversé sur le port du poil (!), je constate qu’il y a encore une transphobie intériorisée qui s’ignore. On critique l’impératif du rasage total pour les femmes et la liberté capillaire pour les hommes, mais on oublie de spécifier qu’on pense encore le débat en termes de personnes cis et dans un cadre binaire. Qu’en est-il des personnes trans, non-binaires, queers et agenres? Comment les normes capillaires fonctionnent-elles quand les corps ne concordent pas aux attentes genrées de la société? Pensons à l’intersection insidieuse entre transphobie et pilophobie. Des phrases comme : Une vraie femme n’a pas de poils. Un homme avec une barbe, c’est sexy. Ces considérations mettent l’accent sur ce que devrait être (identité de genre) une vraie personne cis et binaire, et comment elle devrait paraître (expression de genre). C’est pernicieux pour les femmes trans amab qui peuvent produire plus de testostérone et être plus poilues que des femmes cis afab. En fait, je dirais que les femmes trans subissent une pression supplémentaire, soit celle de devoir « passer » comme femme et donc de se raser intégralement pour être reconnues dans leur genre. Une femme trans poilue dérange non seulement la binarité cis du genre, mais les attentes physiques qui y sont reliées. On pourrait dire qu’il y a un certain privilège hormonal par rapport aux poils pour bien des personnes cis. Une femme cis poilue peut être vue comme sale ou non conforme aux normes esthétiques de beauté, mais on ne remettra jamais en question le fait qu’elle soit une femme. Les poils d’une femme trans viennent ajouter une suspicion cissexiste, les gens froncent les sourcils, se demandent si la personne est trans ou non, ce qui peut entraîner des violences. À l’inverse, un homme trans afab peut être ridiculisé s’il ne correspond pas aux standards masculins. Les normes de beauté viennent nécessairement avec des projections genrées sur la nature de ce que doit être un homme ou une femme convenable. Et les personnes non-binaires, on en parle encore si peu!
Mes poils m’appartiennent. Ils ne sont ni masculins, ni féminins, ni neutrois, même s’ils sont interprétés de toutes sortes de manières (ridicules) par les autres. Je parle de mes poils, mais je pourrais tout aussi bien parler de mes cheveux, de ma carrure, de mes bras, de mon style vestimentaire, de mon corps en entier, bref, de tout ce qui m’est personnel, qui ne relève que de moi-même. Il n’appartient qu’à moi de nommer mon corps avec mes propres mots, de me l’approprier et qu’il soit lu comme je le désire.
J’entends aussi un « mais » dans Maipoils. Mes poils, mais… Nous avons toustes des biais cis, binaires, misogynes, racistes, etc. La réflexion sur les poils peut mener à se raser ou pas pour différentes raisons qui sont tout autant valides et féministes lorsqu’elles sont réfléchies. Le travail d’introspection et la discussion sont nécessaires, mais au final, l’important est d’être bien avec ses propres choix personnels au quotidien. Je ne sais pas si je me raserai systématiquement à l’avenir, mais lire des témoignages d’autres personnes non-binaires m’a un peu réconcilié.e avec ma pilosité. Je félicite le courage des personnes trans qui sont en plus non-conformes dans leurs expressions de genre, et je salue aussi toutes les personnes trans qui se respectent, peu importe leurs préférences capillaires. Mes poils sont non genrés, mais mes choix sont sacrés. Ce qu’il faut célébrer haut et fort, c’est la diversité des corps, des identités et des expressions de genre.
[1] https://www.maipoils.com/
[2] Assigned Male At Birth
[3] Assigned Female At Birth
Pascale Cormier
Arke. Désolée, mais je lis «poils» et je dis arke. Pour ma part, il n’y a pas l’ombre du soupçon d’un doute dans mon esprit : je hais mes poils avec passion, ils me dégoûtent et me répugnent, et je les raserai, les épilerai, les éradiquerai jusqu’à mon dernier souffle. Mes poils à moi sont crissement masculins, ils sont durs et drus comme seuls des poils d’homme peuvent l’être, et ils me replongent immanquablement dans ma dysphorie d’identité de genre. Et je me fiche comme d’une guigne de la soi-disant «pression sociale», c’est strictement une question de rapport intime à moi-même, à mon épiderme et à mon corps. C’est un des rares aspects de mon physique sur lesquels je peux exercer un certain contrôle : je suis prise dans un corps massif et je ne peux pas me limer les os, mais je peux au moins adoucir quelque peu ma «sale peau d’homme» pour la féminiser. C’est seulement à ce prix que j’arrive à respirer un peu. Nous ne vivons pas tou.te.s notre dysphorie de la même façon…
Bon article, néanmoins., et j’apprécie les nuances que tu apportes. Mais c’est toujours périlleux de généraliser son propre cas, on laisse forcément du monde sur les bas-côtés. Quand on me parle de poils «valides» et «non-genrés», je me sens irrémédiablement incomprise et exclue.
En bref : c’est pour moi-même, et uniquement pour moi, que je cherche par tous les moyens à me débarrasser de la pilosité qui m’oppresse. Transphobie intériorisée? Je ne crois pas. J’essaie seulement de m’aimer un peu… assez, en tout cas, pour ne pas être tentée d’en finir. Et ce n’est pas un mois à la gloire du poil qui va me faire virer ma cuti. Je cultive ma féminité comme je peux, avec les moyens dont je dispose, en suivant mon instinct et mes désirs.
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