CIRFF 2018 : Tensions et contradictions, dynamisme et espoir

Les féministes prennent Nanterre

À la veille de la rentrée académique, le campus historique de l’Université Paris Nanterre était « occupé » par 1500 féministes – militant.e.s, chercheur.e.s, artistes – se réunissant à l’occasion du 8e Congrès international des recherches féministes dans la Francophonie. Venu.e.s d’une cinquantaine de pays différents, les participant.e.s se sont retrouvé.e.s pour une semaine remplie de tables rondes, de conférences, d’ateliers, d’expositions et de projections de films sous le thème « Espaces et enjeux des savoirs féministes : réalités, luttes, utopies ».

 

Lancés en 1996 à l’Université Laval, les Congrès internationaux des recherches féministes dans la Francophonie (CIRFF) se tiennent à tous les trois ans dans l’objectif de réunir les personnes impliquées dans la production des savoirs féministes en langue française. Après être passé par Québec, Dakar, Toulouse, Ottawa, Rabat, Lausanne et Montréal, le CIRFF s’est installé à Paris du 27 au 31 août 2018.

 

Le français : langue (dé)coloniale

« La Francophonie peut être pensée comme un espace de convergences et de conflits », lit-on dans les premières pages de l’imposant programme (332 pages!) du CIRFF 2018. En effet, si la langue française permet le partage d’un cadre de réflexion commun, son histoire n’a pas été celle d’échanges égalitaires. Ces tensions ont traversé le congrès et ont été l’occasion d’un débat sous le thème « La langue française : langue de domination coloniale, de résistance et de recherche ». La discussion a été introduite par Francine Descarries et Fatou Sow, respectivement sociologues associées à l’Université du Québec à Montréal et aux Université Cheikh Anta Diop/Université Paris Diderot.

 

Pour Francine Descarries, la production de savoirs féministes en langue française se présente comme un décloisonnement linguistique par rapport à l’hégémonie anglo-américaine, c’est-à-dire comme un contrepoids à l’anglais en tant que langue de la science. Fatou Sow affirme, quant à elle, que le français comme langue de domination a freiné l’expression et la reconnaissance des savoirs féministes en langues africaines et continue de marginaliser les connaissances produites sur les territoires des ex-colonies françaises. Aujourd’hui, la Francophonie doit donc prendre en compte les variations de la langue française, les manières dont elle est « appropriée, tordue, repensée » (F. Sow), ce qui passe notamment par la déhiérarchisation des divers accents. La poésie, les romans et le rap sont autant d’exemples de manières de jouer avec la langue française, auxquelles le monde académique gagnerait à s’ouvrir.

 

 

Féminismes au pluriel

Si certaines interventions appelaient à un féminisme universel, force est de constater, à travers l’hétérogénéité de la programmation, que les féminismes sont pluriels et qu’ils se lient à une variété d’autres mouvements sociaux et intellectuels : LGBTQ+, écologisme, antiracisme, anticolonialisme, anticapitalisme, anticapacitisme, altermondialisme, etc. Pour les organisatrices du CIRFF 2018, il était important que le congrès rende compte des multiples paysages qui traversent le territoire féministe commun. L’atelier « Résistances des femmes autochtones dans les Amériques : violences, stratégies et actions », auquel prenaient part militant.e.s et universitaires, autochtones et allochtones, en fut un exemple. Au cours de leurs interventions, les militantes autochtones Tania Larivière et Maïtée Labrecque-Saganash témoignaient de l’importance que la lutte contre la discrimination systémique à laquelle font face les femmes autochtones passe par la compréhension de leur héritage, leur contexte et leur culture.

 

Les échanges lors de l’Assemblée générale de clôture vendredi invitaient d’ailleurs à tenir la prochaine édition du CIRFF dans un pays du Sud, de manière à favoriser l’inclusion d’une variété de particiant.e.s et de perspectives. C’est sur cet objectif commun que s’est clôt la semaine – une semaine ayant révélé un champ de recherche à la fois plein de tensions et de contradictions ; de dynamisme et d’espoir.

 

Sophie Marois

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