Sorcières de Mona Chollet : une ode à l’indépendance des femmes
Il n’aura fallu que six ans et trois livres pour que Mona Chollet s’impose comme l’une des penseuses phares de la condition des femmes de notre époque. D’elle, j’avais déjà lu Beauté fatale (dont je parle ici) et Chez soi. Dans le premier, la journaliste au Monde diplomatique critique l’industrie de la mode et des cosmétiques et dénonce les injonctions à la beauté et la perfection auxquelles les femmes sont soumises. Dans le second, elle explore la sphère domestique sous tous ses aspects, que ce soit le plaisir d’être chez soi, l’urbanisme ou encore la figure de la femme au foyer. Avec Sorcières, Mona Chollet revient à ses premières amours puisqu’elle y aborde à nouveau la condition féminine.
Précisons que ce livre ne traite pas de l’histoire de la sorcellerie à travers les âges*. Mona Chollet rappelle toutefois dans un chapitre introductif le contexte des chasses aux sorcières. Elle procède à quelques utiles éclairages et démonte un certain nombre de préjugés véhiculés tout au long de l’Histoire sur la chasse aux sorcières. On retient notamment que ces événements n’ont pas débutés au Moyen Âge mais à la Renaissance, époque à laquelle les esprits étaient pourtant censés être plus éclairés. On apprend aussi que la majorité des condamnations pour sorcellerie ont été le fait de cours civiles composées de juges laïcs, et non de vieux inquisiteurs pervers.
Dans Sorcières, Mona Chollet s’intéresse plutôt à la personnalité de ces femmes, aux raisons qui ont poussé les autorités et l’Église à vouloir les exterminer mais également à leurs héritières, aux « sorcières » d’aujourd’hui, à nous. Elle distingue trois profils de sorcières : la femme indépendante, la femme sans enfant et la femme âgée.
L’autonomie des femmes, une menace pour la société
La femme indépendante, souvent célibataire, effraie car elle se démarque de l’ordre social établi. La femme mariée ou, du moins, en couple, incarne depuis bien longtemps la norme sociale. Selon Mona Chollet, à l’époque des chasses aux sorcières, ce que l’on reprochait avant tout à ces femmes, c’était leur autonomie. Et aujourd’hui encore, les femmes sont « poussées non seulement à considérer le couple et la famille comme les éléments essentiels de leur accomplissement personnel, mais aussi à se concevoir comme fragiles et démunies, et à rechercher la sécurité affective à tous prix, de sorte que leur admiration pour les figures d’aventurières intrépides restera purement théorique et sans effet sur leur propre vie ».
Il en va de même de la femme sans enfant, et ce quand bien même elle serait mariée. Mona Chollet s’interroge sur les raisons pour lesquelles le non-désir d’enfant suscite encore le scepticisme (pour ne pas dire le mépris) de nos jours. Elle propose ici des explications en se fondant notamment sur son expérience personnelle. L’autrice relève aussi que « le pouvoir politique a commencé à se montrer obsédé par la contraception, l’avortement et l’infanticide à partir de l’époque des chasses aux sorcières ».
C’est d’ailleurs aussi ce qu’on reprochait aux sorcières à l’époque, en plus du fait qu’elles aidaient les femmes à mettre un terme aux grossesses non voulues grâce à leur connaissance poussée de la médecine (car les femmes savantes font peur, elles aussi). Déjà, en 1973, les féministes américaines Barbara Ehrenreich et Deirdre English avait dénoncé dans Sorcières, sages-femmes et infirmières (publié aux Éditions du Remue-Ménage en traduction française) l’extermination de ces guérisseuses qui détenaient seules, à l’époque, le savoir médical. Elles précisaient que « de pair avec cette persécution des sorcières apparut une nouvelle profession médicale mâle sous la protection et avec l’appui de la classe dominante ».
L’arrogance, motif de condamnation pour sorcellerie
C’est enfin au personnage de la femme âgée que s’intéresse le livre. La femme d’un certain âge, qui refuse de se teindre les cheveux et de lutter contre les effets du temps a en effet tôt fait d’être qualifiée de sorcière. Selon Mona Chollet, « si les chasses aux sorcières ont particulièrement visé des femmes âgées, c’est parce que celles-ci manifestaient une assurance intolérable ». L’arrogance a d’ailleurs pu être un motif valable de condamnation pour sorcellerie…
C’est donc ces trois incarnations de la féminité que Mona Chollet interroge dans Sorcières. Comme toujours avec la journaliste française, le propos est parfaitement argumenté et très accessible, l’ouvrage se lit comme un roman. J’apprécie notamment que Mona Chollet s’implique autant dans ses livres en n’hésitant pas à se fonder sur sa propre expérience pour servir ses propos. Cette expérience de femme ne peut d’ailleurs que faire écho en chacune de nous.
Références à l’appui, elle démontre en quoi la figure de la sorcière est toujours d’actualité et que, malgré les siècles passés, la société n’est pas encore prête à accepter de voir la femme comme un être accompli et indépendant. Mais elle prouve aussi que les chasses aux sorcières et les préjugés ne sont pas venus à bout de cette « puissance invaincue des femmes ». Pour ce faire, elle convoque de grandes figures du féminisme, telle Gloria Steinem. Derrière ces réflexions, je vois une ode à la liberté ainsi qu’une invitation à poursuivre le combat pour l’indépendance des femmes.
* J’encourage chaudement celles et ceux que l’aspect historique du sujet intéresse à écouter le premier épisode que l’émission LSD, diffusée sur la radio France culture, a consacré aux chasses aux sorcières. Le podcast est disponible ici.
Morceau choisi : « La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie. »
Sorcières, de Mona Chollet | Chez Zones éditions, 230 pages. Le livre peut aussi être lu en ligne gratuitement (et légalement) ici.
2preserve
2multiplication
[Commentaire hors-sujet? Abusif? Spam?]