Aimer, c’est ce qu’il y a de plus beau ? Avoir le droit d’exister

Ce texte est le dernier d’une série de trois contributions de l’autrice, voir première partie : La Brebis de Panurge et deuxième partie : Pulsions asexuelles.

On peut faire l’amour, au sens vieilli ou moderne, dans le chaud d’un secret, loin des regards. Mais il y a autre chose. Quelque chose de beaucoup plus public. C’est le couple. Les témoignages de personnes asexuelles et aromantiques que j’ai trouvés restent boulonnés sur ce prérequis. Celui de ne pas exister seul·e. D’être en couple sans sexe, en couple sans amour romantique, dans une relation atypique d’accord, mais dans une relation. Une relation quand même. Une relation par pitié. Sinon rien. Car tout à coup rien d’autre n’est valable, ni la philia ni la storgê ni l’agapè. Seuls l’eros et le bon coup valent le coup de vivre.

Célibataire sorcière

De Susan Faludi (Backlash, 1991) à Mona Chollet (Sorcières, 2019), les essais féministes démontrent combien les représentations font de la célibataire une figure maudite, et de sa suffocante liberté, une menace. (La célibataire bien sûr, le célibataire étant plutôt vu comme un Don Juan décomplexé…) C’est la sorcière au fond des bois. La femme aigrie, jalouse, rejetée des hommes, à la fois paillasson et castratrice, selon le sens du vent. La femme qui désire en vérité, plus que tout, les relations romantiques. Si elle n’en a pas, c’est soit par fierté (ou sens politique) mal placée soit parce qu’elle est trop moche pour intéresser quiconque. C’est une femme qui, sous sa mauvaise foi, n’attend qu’une chose : que sa malédiction soit enfin levée. Car après tout, n’avons-nous pas implanté profondément dans la tête de tout une chacune, qu’un jour mon prince viendra ? Et alors, la vraie vie commencera. Le reste, c’était une vie de nymphe. Il est temps d’éclore, de grandir, de devenir une vraie femme. C’est ça le sens des « et alors, les amours ? ».

Malheur paradoxal

C’est épatant tout de même, comment la liberté effective du célibat se transforme en carcan dans les yeux des autres. Les vieilles « célibattantes » et leur chemin de croix. Image donnée par Hollywood, la télé et les magazines féminins, au mépris de la réalité. Susan Faludi en 1991 montrait déjà que les célibataires étaient en moyenne moins dépressives que les femmes mariées… Pour les hommes, c’était l’inverse. Aujourd’hui encore, on te regarde avec pitié si tu es célibataire de longue durée alors que, des viols conjugaux à la charge mentale, les contraintes et dangers qui pèsent sur les femmes en couple sont bien plus réels. Un sacré tour de magie. Il faut dire que la femme célibataire, n’ayant plus son auréole d’ange du foyer, réclame vite les mêmes droits que les autres humains qui marchent sur la terre. Elle remet en cause l’essentialisation des « comportements féminins » parmi lesquels citons le vœu de soumission, la complaisance à l’exploitation, la dépendance aux hommes pour leur protection (contre les autres hommes…), en échange de laquelle elles peuvent bien faire la lessive et donner du sexe. Bref, toute la division hétérosexuelle du travail s’en trouve ébranlée, autant dire que c’est la fin de la civilisation.

Arguments pour le couple

Il y a encore autre chose, c’est le désir d’enfant. Déjà si tu es une femme, tu es censée vouloir mettre au monde des bébés et t’en occuper après de la meilleure des façons en réalisant que c’est uniquement par là que passe ton épanouissement personnel. Bon. C’est à voir, hein. Ces bébés, on n’a pas besoin d’être en couple pour les avoir. Mais ça reste encore difficile de les concevoir seule avec ses petites paillettes, puis de les élever : les structures (garderie, école, travail, loisirs, aides…) ne sont pas faites pour ça. Les mentalités « un papa, une maman » bloquent encore la légalisation de la PMA promise en France au moment de la légalisation du Mariage pour tous (en 2013 !).

Du coup, le désir d’enfant, c’est un argument pour le couple. Un très mauvais argument bien sûr, puisque ce n’est alors pas ou plus le couple en lui-même qui est désiré. Un autre argument est la sécurité financière que permet la combinaison de deux revenus. Mais c’est du troisième dont je veux parler ici : l’argument de « faire comme tout le monde » (dites en commentaires si vous voyez d’autres arguments pour être en couple quand on n’en a pas envie, je ne vois pas trop mais, à l’évidence, j’ai un point de vue biaisé).

Modèle élémentaire

Je sais qu’il y a des gens qui vivent mal le célibat. Que d’autres l’apprécient, mais du moment qu’il ne dure pas. Mais s’il-te-plaît, sache aussi qu’il y a des gens qui en sont pleinement heureux·se ou qui en seraient pleinement heureux·se, si les représentations qui nous encerclent le considéraient comme une option valable, et non le signe d’un échec. Peux-tu me citer une seule œuvre destinée à un public adulte où le célibat est un vrai choix, libre de toute contrainte ? Où ce n’est pas juste un entre-deux pour « se ressourcer » avant, j’imagine, de s’assécher à nouveau ? Oui, on a un personnage. Surprise : ce n’est pas une femme !

C’est Sherlock Holmes.

Le voilà, ton modèle. Frigidité absolue. Pur esprit. Un peu un connard, aussi.

Une envie pleine et entière

Être homoromantique n’est pas un mode de vie, ni une mode, ni un choix fait selon des circonstances. C’est ce qu’on ressent. Eh bien, être aromantique aussi. Et ça n’influence en rien ni ton caractère ni tes aptitudes à être un·e être humain·e et à exister dans d’autres relations que romantiques. Ça n’influence en rien le fait que tu as un corps, des sensations et des sentiments. Y compris le sentiment d’amour, tout aussi fort. Ce n’est pas une vie en demi-teinte. Mais l’amour filial, mais l’amitié de toute une vie, ne font pas le poids avec une relation romantique de deux mois, selon les représentations. Eh bien si. Ces amours-là font le poids. D’ailleurs quand on aime, n’est-ce pas qu’on ne compte pas ? Cette vie-là fait le poids. Mais personne ne nous le dit, alors je vous le dis, je te le dis : hors des relations amoureuses, des relations sexuelles, des relations de couple, de façon pleine et entière… tu as le droit d’exister.

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