Les rêves des unes au profit des autres II
«La première journée, à notre premier shooting : t’arrives là pis y’a pas une fille qui n’est pas belle. T’es comme : ‘ouain, okay’.» Antonella
Le Dream
Les magazines de charme ont été démocratisés dans les années 50 par Hugh Hefner. L’évolution du logo de son magazine Playboy en une marque à la mode illustre bien le phénomène de l’hypersexualisation qui a touché l’espace public et, par le fait même, a transformé les imaginaires sociaux occidentaux et le rapport à l’Autre qui en découle. Dans son livre Le sexe en mal d’amour, Jocelyne Robert définissait l’époque actuelle comme étant sous le règne des trois C.
«Le cul, le corps et le cash sont des valeurs dominantes dans notre société qui, lorsqu’elles sont appliquées à la sexualité, forment un modèle de beauté, un modèle corporel, de performance et de consommation, en opposition à un modèle qui serait davantage relationnel, où les êtres humains iraient à la rencontre l’un de l’autre homme-homme, femme-femme, femme-homme, avec leur tête, leur cœur, leur corps.» (À babord!, 2007)
L’opération marketing qui orchestre le concours du calendrier dreamteam rassemble ces trois éléments. On cherche des corps pour en montrer le cul et ultimement, faire beaucoup de cash. Cela dit, il semblerait que les participantes ne le voit pas du même œil. Elles apparaissent plutôt très heureuses de pouvoir enfin vivre leur rêve de «petite princesse». Cet article sera surtout un montage de propos recueillis lors du visionnement du documentaire Ma voisine est une pin up. Avant que quelques uns ne s’énervent, une précision s’impose : je ne suis pas pour l’interdiction de tels concours, je suis pour le fait de prendre position et d’agir en conséquences. Et je crois que certaines positions sont discutables.
Radio X, qui est la plus belle?
Au cours du film, on apprend qu’une photographie prend environ sept heures à être réalisée. Les jeunes femmes doivent donc faire preuve de beaucoup de patience.
«C’est sûr qu’on se sent comme si on était importante quand on passe. Tout le monde est après nous, tout le monde. Je ne pouvais pas bouger, il ne fallait pas que mes cheveux ne soient pas corrects, il fallait que je sois belle, bien maquillée. Brigitte était là avec ses pinceaux, tout le temps à côté de moi. […] Tout était axé sur moi.» Antonella
À noter qu’elle se sent comme SI elle était importante. L’attrait du jeu, moments éphémères. Même l’animateur chargé du projet, Gilles Parent, semble éprouver un certain malaise lors des sélections :
«Pis là t’as des filles qui arrivent en déshabillés de nuit, j’vais te dire une affaire. Hiii, j’sais pas si les parents étaient là! C’est sur la ligne. Je ne te dis pas que c’est vulgaire, épouvantable, mais c’est extrêmement intime. C’est sûr que y’a un côté voyeur évident. Mais en même temps, comme journaliste, cibole que si j’étais à sa place, j’me sentirais mal!»
Malaise qui ne parrait pas lorsqu’il interagit dans son environnement naturel. On l’apercoit quelques minutes plus tard, rigolant avec ses collègues en pensant à la journée qui les attend. Oui, il est toujours préférable que ce soit les filles des autres qui dévoilent leur hou-la-la.
«C’est sûr qu’on ne se sent pas tout à fait à l’aise, on avait juste une p’tite robe de chambre qu’il fallait enlever pour prendre les photos. Mais je ne me suis jamais posée de questions parce que je savais que toutes les filles allaient passer par là. On allait toutes passer par là si on voulait vraiment l’faire. […] C’est sûr que des fois je trouvais pas que ça avait sa place de faire ça. Mais y’a fallu que j’vive avec pis que j’le fasse. Je l’ai assumé, j’ai pas l’choix, c’est fait, c’est passé. J’ai été fière de ce que j’ai fait pareil.» Isabelle
Heureusement, toute l’équipe était là pour les motiver. C’est cette même équipe qui transmet le discours idéologique de la station et de leurs propriétaires et ce, émission après émission :
«CHOI speech is based on confrontation with the State, political parties, unions, civil servants, teachers and professors, feminists, the media, immigrants, homosexuals, Montrealers. » (Anne-Marie Gingras)
C’est donc cette soirée «courue et arrosée» qui constitue le summum de l’expérience dreamteam.
«Là on était les vedettes. Là on était les stars. Pis là, nous autres il fallait qu’on défile là là, devant tout ce monde là qu’on connaissait pas. Toute l’équipe nous a crinqué : envoye les filles, ça va être le fun, envoye on donne un show.»
Cela dit, elle est consciente qu’elles sont là pour «pour faire plaisir aux hommes en général.» À ceux qui en consommeront l’image, mais surtout à ceux qui dirigent RNC médias, Genex communications et autres.
«Mais non, on n’a pas vraiment été exploitée parce qu’on n’a jamais fait des affaires qu’on n’avait pas envie d’faire. […] J’trouve pas qu’on a été présenée comme des morceaux de viande. Parce que moi, j’étais très habillée en comparaison à d’autres calendriers.»
Gilles Parent analyse plutôt bien ce qui permet la création du calendrier dreamteam :
«Il y a quelque chose de plus que l’exhibitionnisme. Je pense que dans les filles là-dedans, y’a un p’tit côté star of the day. Les filles font ça pour être sur un pied d’estale. Elles font ça pour être mises en évidence. Pour être la vedette. […] Elles veulent être sous le spotlight puis être la star. En réalité, ça permet, sans voir un talent exceptionnel, sans avoir travaillé fort, sans avoir pris de cours, de rapidement atteindre une certaine notoriété dans ton milieu, à Québec, à ton travail, dans ton cercle d’amis. Il y a derrièere ça quelque chose de plus profond que de se montrer les boules.» Gilles Parent
Jocelyne Robert nous éclaire :
«La majorité des femmes continuent de chercher à répondre à la norme, c’est seulement que la norme a changé.»
Et c’est seulement au moment où elles gagneront leur place au sein du calendrier et par le fait même, l’assurance d’être parfaitement conformes à la norme que certaines pourront enfin se détendre un peu :
«Le but de faire le calendrier, c’était de me donner la confiance de me prouver que j’étais capable d’être vraiment belle. Oui, cette expérience m’a donné de la confiance en moi, beaucoup.» -Isabelle
Et c’est ainsi qu’année après année, des centaines de jeunes femmes se metteront en rang pour la sélection finale.
«Je ne me suis jamais posée de questions parce que je savais que toutes les filles allaient passer par là »
«J’trouve pas qu’on a été présentée comme des morceaux de viande. »
«…t’as le cul un peu trop gros, tu passes pas.»
Perception – publicités du calendrier
La réalité – vidéo amateur tourné par des fans lors d’une soirée de lancement
Et celle qu’on se passerait d’entendre – la présentation des participantes par les animateurs
Edenne
Merci beaucoup Valérie pour ce nouveau billet sur la Dream Team.
C’est percutant comme réalité, davantage lorsque l’on sait que CHOI attire des milliers d’auditeurs (une station radiophonique se considérant pourtant contre l’État, les féministes, les homosexuels, etc.)
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Chantal
Quitte à passer pour la pénible de service, je dois avouer que j’ai du mal à comprendtre la ligne éditoriale du blog en ce moment.
Dans la conversation précédente, on parlait de sex-toys en faisant par ailleurs l’éloge d’un sex-shop vendant aussi des films pornos au motif de la libéralisation de la société
Ici, on s’indigne au sujet d ‘une concours de calendrier hard au motif de la dépravation de la société.
franchement, je ne comprends plus !
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Valérie
Je crois que ce qui fait la particularité de ce blogue, c’est surtout sa quasi-absence de ligne éditoriale. En effet, chacune est libre d’adopter les positions qui lui conviennent, et de réagir aux idées des autres. Le tout s’effectue dans un respect sommes toutes assez rare sur la toile. Évidemment, cela peut mener à l’élaboration de propos contradictoires, mais si vous portez attention, vous vous rendrez compte que la plupart des personnes qui postent ici restent cohérentes. Pour en revenir au billet, vous regarderez les vidéos suggérés à la fin, surtout les derniers. Comment peut-on trouver cela respectueux ?!!?? Ça me semble tout simplement grotesque.
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Fanie
Ce qui me frappe, après avoir vu les vidéos, c’est la jeunesse de ces filles. C’est à peine si elles ont 20 ans! Folie ou erreur de jeunesse…?
Les commentaires des « animateurs », c’est du n’importe quoi. Qu’est-ce qu’il y’a de drôle dans leurs commentaires? On dirait des mauvais humoristes en quête d’expérience! De dire qu’une fille a « un maudit beau cul » de manière pseudo-sexy, on dirait plus un pervers qu’un commentateur. :-/
Je me demandes si ils sont payés, eux…
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Valérie
Oui, ils sont très bien payés. Je tiens d’un contact qu’ils sont obligés, par-contre, de parler »comme dans leur salon » (sacrer, dire des niaiseries…). S’ils ne le font pas, ils sont renvoyés.
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Imace
*rit*
Je n’ai littéralement rien compris aux interviews des commentateurs. Le québecois est décidément une langue savoureuse ! Vous ne voulez pas me traduire quelques expressions, histoire que je me couche bien bête ?^^
— Plus sérieusement :
Ce que j’aime dans ce sujet, c’est qu’il montre bien le téléscopage entre deux conditionnements.
On encourage les filles à surinvestir dans l’image corporelle, en les récompensant avec les mythes de la princesse et de la célébrité comme source d’amour. On nourrit la vanité des fillettes, en usant d’une large gamme allant des compliments (« oh ce qu’elle est jolie, cette enfant ! ») aux jouets (costumes de princesse) en passant par les injonctions (« attention, tu vas tâcher ta robe ! »).
On encourage les garçons à percevoir les filles comme des objets de consommation (Playboys ; *éducation sexuelle* résolument factuelle et a-psychologique ; discussions « viriles » entre hommes ; flatteries liées à l’appartenance au genre masculin : « oh, c’est un vrai petit homme, ce garçon ! » ; dévalorisation des femmes : « rho, c’est juste une égratinure, quelle fillette ! » ; confidences : « alors, c’est fait, tu as enfin une petite amie ? »).
Et ensuite, une fois adultes (ou presque^^), on regroupe ces individuEs dans des sortes de « jeux de rôle » où l’on exploite les premières au profit des seconds.
Le plus fort, c’est qu’on arrive à faire croire aux filles/femmes que ce traitement est une faveur qu’on leur accorde, un privilège qu’elles ont mérité.
Au fond, ce thread illustre à merveille les ressorts du conditionnement.
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Stéphanie
J’ai déjà écouté un reportage sur les adolescentes japonaises qui se font payer par des particuliers qui les photographient en sous-vêtements. On y voyait entre autre deux adolescentes qui expliquaient leurs motivations.
L’une des jeunes filles disait (l’entrevue était sous-titrée) qu’elle faisait ça pour avoir confiance en elle et qu’elle était très reconnaissante envers ses « clients » de lui donner cette opportunité.
Je regardais les jeunes hommes avec leurs appareils photos et qui riaient stupidement (tout de même davantage comme des enfants que comme de vieux pervers) et je trouvais bien triste que des jeunes filles en soient arrivée à croire qu’on leur fait une faveur en les photogaphiant, qu’elles sont redevables envers ces amateures de photos d’ados en petite culotte…
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J
Oui, on peut se dire féministe et queer-positive, et trouver de la cohérence à être POUR l’utilisation de jouets sexuels par les femmes, quelle que soit leur grandeur, leur genre, leur âge, leur origine culturelle et CONTRE la promotion du canon de la femme-objet et l’exploitation de ces femmes à des fins pornographiques et mercantiles.
Attention! Les opinions qui suivent peuvent paraître simplistes. Dites-vous que c’est pour plus de clarté dans la démonstration.
POUR: une vision personnelle et ouverte de la sexualité dans laquelle les femmes qui utilisent des jouets sexuels ne sont pas considérées comme des dépravées pro-industrie du porno. Pour des endroits où se procurer des jouets qui soient aussi des endroits de connaissance sur son corps et sur sa santé et qui soient non héétéronormatifs. Pour le plaisir, la liberté, la connaissance de soi.
CONTRE: la mise en place d’un réseau de bénévolat sexuel où des filles, pour se faire dire qu’elles sont belles, consentent à se déshabiller et à se faire traiter comme des parties de chair interchangeables, stupides et cochonnes, pour engraisser les caisses de radios poubelle et d’autres compagnies aux agissements douteux. Contre aussi un discours qui fait encore et toujours une distinction entre l’homme soumis à ses pulsions sexuelles et la femme soucieuse de plaire, sans volonté propre. Contre cette hétéronormativité essentialiste et primaire.
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La digresse
J’ai cliqué sur chacun des liens présentés dans l’article. J’ai trouvé cela vraiment… édifiant. (ironie, ici)
Se faire comparer à une truite, quel beau compliment…? au moins, c’est pas un thon!??!
Édifiant, je vous dis…. Consternant aussi, mais bon.
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Valérie
Bonjour!
Voici quelques informations supplémentaires sur choi radio x :
Victimes de la Radio-poubelle, un documentaire d’une cinquantaine de minutes sur le sujet (Je vous le conseille vivement, j’ai été très étonnée de voir que ça allait AUSSI loin. Non mais, c’est pire que pire.):
http://www.youtube.com/watch?v=teGhiuaWFxM
Et par mes recherches youtube, j’ai appris que Jean-René Dufort et les animateurs de radio X étaient en »guerre » `:
http://www.youtube.com/watch?v=MCMMyCIuBGU
«Moi j’donnerai pas une criss de cenne à Haïtï.»
Oui mon petit, continue de parler à la radio chaque matin.
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