Bonheur en boîte et femmes consommées
Dans la mire des canons, les victimes défilent. Toutes marchent d’un pas cinglé, plusieurs sacs à la main. Et, pour la plupart, ce sont des femmes. Jeunes femmes ou femmes mûres, amies ou mères. Un sourire inquiétant est posé sur leurs lèvres.
Bonheur préfabriqué
Le centre commercial est leur Dysneyland. On leur fait croire à la magie de la carte de crédit. On les berce dans un monde d’illusions et de rêves. L’inévitable se produit alors, elles achètent, espérant qu’elles aussi auront droit à une part de bonheur. Elles aspirent toutes à l’accomplissement de soi par l’image, par le regard des autres. Elles tentent d’acheter l’immatériel ou une paix intérieure. Décidément, les munitions du camp adverse les ont atteintes, et elles souffrent… de psychose.
Ces femmes préfèrent s’enivrer de rêves irréalistes orchestrés par les publicitaires et multinationales, plutôt que de reconnaître l’aberration collective à laquelle elles prennent part.
Ainsi, pour ces femmes, l’achat d’un pantalon griffé (ne nous privons pas de cynisme, imaginons qu’il s’agit d’un Guess) s’insère dans la construction d’une identité reposant dangereusement sur une réponse sociale. En portant un tel vêtement (au coût de 120,00 $, bien qu’il soit fabriqué en Chine!), les femmes se leurrent de l’espoir d’une certaine ascension sociale ou d’une certaine reconnaissance dans leur entourage immédiat. En d’autres mots, elles définissent leur propre « valeur » en fonction de marques élitistes.
Maintes fois j’ai eu envie de crier mon indignation alors qu’une amie me félicitait de l’achat de nouvelles chaussures. Est-il normal ou éthique d’accepter aveuglément cette valorisation exagérée et futile du matériel? Ne serait-il pas plus sensé de valoriser les femmes par la sagesse de leur propos plutôt que par leur garde-robe?
Malheureusement, le mode de vie nord-américain ne laisse que très peu de place à la discussion. En effet, les weekends de magasinage entre mères et filles sont désormais devenus la norme en matière de relations saines. Un weekend d’observation dans un centre commercial suffit pour convaincre de la primauté de la consommation lorsqu’il est question de relations intergénérationnelles. Du fric, voilà ce qu’il faut pour assurer une relation harmonieuse avec votre fille.
Le magasinage s’inscrit désormais dans la culture populaire en tant que pratique sociale légitime et rationnelle (les magazines « d’intérêts féminins » l’ayant littéralement sacralisée). Ainsi, la consommation devient une nouvelle forme d’interaction sociale acceptable, entre les couples, entre les amies, et entre les mères et les filles.
Quelle perversion! L’interaction sociale se limite qu’à des pratiques dénuées de sens profond (émotif et intellectuel) axées entièrement sur la consommation.
Prédatrices et proies
Au-delà de leur rôle de consommatrices, les femmes jouent également le rôle de « consommées ». Aguichantes sur les panneaux publicitaires, célébrissimes à la une des magazines, de plastique derrière les vitrines, on exploite leur corps pour vendre. Par la chosification de la femme (une expression qui a la qualité d’être éloquente), on cherche à vendre un idéal de beauté et de réussite. L’exercice est rentable, puisque le conformisme aux normes sociétales en matière d’apparence (minceur, élégance et séduction) et de branchitude (une perpétuelle quête de renouveau) alimente furieusement l’économie et légitime l’obnubilation de la possession.
Conséquemment, les féministes assistent, impuissantes, à une dévalorisation globale de l’intellectualisme féminin au profit de l’endossement aveugle de la plasticité.
Le Temps des Fêtes est « la saison pour briller » selon Holt Renfrew. La stratégie publicitaire de la boutique fait délibérément référence aux paillettes ornant une robe hors de prix en vitrine, plutôt qu’aux qualités de celle qui la porte. Les femmes seraient-elles de vulgaires supports à vêtements? Ce questionnement est légitime, puisque l’achat compulsif de vêtements repose entièrement sur ce désir de « briller » grâce à un goût vestimentaire raffiné.
Culte du matérialisme et désillusion
Les femmes occidentales ont succombé à l’hégémonie des multinationales. C’est-à-dire, elles se sont transformées à la fois en produits et en consommatrices. En endossant un mode de vie et d’accomplissement reposant entièrement sur la consommation, elles se jettent, tels d’alléchants morceaux de viande, dans la gueule de la bête capitaliste.
En fermant les yeux sur les motivations réelles de la culture du matériel (soit le profit à tout prix), les femmes construisent elles-mêmes un monde de superficialité et de rêves brisés. Rêves brisés, puisque l’accomplissement personnel par le matérialisme ne peut que mettre en relief le vide émotionnel et spirituel pesant sur ces femmes. Parallèlement, leur enivrement par la consommation illustre la profitabilité pour les multinationales de miser sur un sujet délicat chez les femmes : l’apparence. Par des stratégies de marketing toujours plus agressives, l’obsession pour l’esthétique devient rationnelle.
Le Temps des Fêtes s’annonce sanglant. Cette célébration de la consommation, de la vacuité et de la superficialité fera d’innombrables victimes.
Si vous croyez que le bonheur et les sentiments humains se trouvent sur les présentoirs ou dans les petits pots, inutile d’agiter votre drapeau blanc, vous ne serez pas épargnée…
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Et vous, de quelles manière contestez-vous cette Fête de la consommation?
Croyez-vous que l’omniprésence de la consommation dans nos vie a transformé les relations entre les mères et les filles, les couples, et les amiEs?
Caroline P.
Moi, c’est par les traditions que j’essaie tant bien que mal à « briser » le cycle infernal de la consommation. Fabrictaion de décorations faites maison avec les enfants, cuisiner des gâteaux aux fruits « collectif », accrocher le bas de Noël, préparer des biscuits et mettre un verre de lait pour le Père Noël. Et évidemment, aller visiter toute la famille, jouer dehors, aller se promener pour regarder les décorations extérieures… Ce sont des moyens simples et à ma portée pour entretenir l’esprit des fêtes loin des centres commerciaux !
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Fanie
Pour ma part, j’essaye toujours d’acheter local ou de fabriquer des câdeaux moi-même.
Comme le dis si bien Caroline, d’avoir certaines traditions nous tient loin du centre d’achat et c’est tellement plus riche comme expérience.
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Daniel
Bonjour Edenne!
Je me trompe peut-être, mais tous tes lecteurs et lectrices seront d’accord que nous vivons dans une société relativement axée sur la consommation où certains tirent profit d’une « chosification » de la femme. On s’entend. Que fait-on, alors? Doit-on empêcher les entreprises d’utiliser le corps de la femme pour faire de la pub? Doit-on fermer les magasins?
Évidemment non. Consommer n’est pas mal en soi. Si certains-es désirent le faire, c’est bien évidemment leur choix. Tant que l’achat n’implique pas d’exploitation (et ça ne semble pas être le plus important de tes griefs), moi je vis très bien avec ça.
Plusieurs de ces femmes que tu nommes « victimes » et compares à des « morceaux de viande » disent être heureuses. Peut-on affirmer qu’elles ont tort?
Tu crois vraisemblablement que le bonheur que tu vis est meilleur que le leur et j’imagine que tu veux le partager. Si c’est le cas, j’avoue poursuivre le même objectif. Mais quel est le meilleur moyen d’y parvenir?
Me fiant à mes souvenirs, rares sont ceux et celles qui se laissent convaincre quand d’entrée de jeu on s’attaque à leur intelligence! Bien que je crois que cette stratégie doit être abandonnée, j’avoue ne pas en avoir de meilleure à proposer…
J’y réfléchis et je reviens!
À bientôt!
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Edenne
Merci Daniel de ta contribution. Évidemment, cet article fut écrit pour exprimer un point de vue personnel et plutôt radical si l’on le compare aux valeurs de millions de Québécois.e.s pour qui dépenser de l’argent est un accomplissement en quelque sorte.
N’empêche, tu soulignes un point important à mon argumentation tranchée: comment affirmer que ma vision du bonheur, du juste, du beau soit la bonne?
Par ailleurs, en ce qui a trait à la problématique de l’exploitation ouvrière, j’explore le brièvement le sujet en réponse à l’article Féminismes à la mode. Je tenais simplement à me concentrer sur une dimension, soit celle de la chosification de la femme et une éthique sociétale défaillante pour écrire cet article.
Dans tous les cas, je refuse de supporter l’argument que parce que ces femmes-«victimes» (victimes au sens où elles sont la proie des publicitaires, d’ailleurs, probablement avec leur consentement) sont heureuses, elles ont raison et nous ne devrions pas nous y attarder. On peut être heureux en accumulant du matériel, du vide, mais est-ce louable pour autant?
Finalement, je suis profondément mal à l’aise à l’idée que notre société, constituée de consommateur.rice.s pour la plupart peu au courant de l’impact de leur achats, cherchant à s’acheter une image, un statut, du bonheur plastique, soit constamment normalisée et légitimée. Je m’inquiète de nos valeurs morales alors que la pub se fait de plus en plus envahissante, que les biens s’accumulent (les magazines également) et que le culte de l’image semble être la force dominante des médias de masse, que le féminisme et autres idées solidaires s’en trouvent marginalisés…
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