La somme de ses parties

Le fait de baigner dans l’univers juridique a cela de sain qu’on finit par développer une attitude critique souvent plutôt sévère, qui flirte par moment avec un certain cynisme. Moi la première (je l’avoue, je suis assez chialeuse), je peux déblatérer pendant des heures sur la lenteur et les coûts du système, sur ses préjugés sexistes, racistes ou autres, ou sur les avocats et les juges qui n’aident pas du tout la situation.

Mais il y a des moments où, quand même, je suis contente de pouvoir dire « fiou ! finalement quelqu’un a mis ses culottes ! » et que je retrouve (un peu) confiance en le système.

Et c’est justement un moment comme celui-là que j’ai eu il y a quelques semaines quand j’ai eu vent du jugement du juge Michel Dubois de la Cour du Québec dans l’affaire Adoption – 091 (dans les matières touchant la famille ou les enfants, les noms des parties restent confidentiels dans les jugements publiés).

Cette affaire impliquait un couple québécois qui, incapable de procréer par eux-mêmes, ont eu recours à une mère porteuse dénichée sur Internet. Moyennant une « contribution » de quelque 20 000$, cette dernière a été « amicalement » (c’est-à-dire « DIY » – soyez imaginatifs ! par opposition à la procréation « médicalement assistée ») inséminée avec les gamètes de Monsieur et a mené sa grossesse à terme.

Or, à la naissance de l’enfant X, la mère porteuse, dans l’acte de naissance, ne s’est pas déclarée comme mère de l’enfant. En fait, le seul parent déclaré fut Monsieur, qui est tout de même le père génétique de l’enfant, allant ainsi à l’encontre de la bonne vieille maxime latine *rajustant ses lunettes de nerd* mater semper certa, pater semper incertus. (Autrement dit, normalement, en matière de filiation, alors que l’identité de la mère est toujours certaine, celle du père ne l’est jamais.)

Madame, quant à elle, bien que non identifiée comme « mère » à l’acte de naissance (le contraire aurait été difficile à faire avaler) s’est par contre dès la naissance de X, comportée en mère envers elle.

Madame a ensuite présenté une requête devant la Cour du Québec pour adopter légalement X (et donc créer judiciairement un lien de filiation avec l’enfant), notre droit civil permettant à un conjoint d’adopter l’enfant de l’autre conjoint dans certains cas.

Le tribunal refusera ultimement la demande d’adoption de Madame, en raison du caractère illégal d’un contrat de « mère porteuse ». En effet, au Québec, un tel contrat de « location d’utérus », comme le qualifie le juge Dubois, est jugé contraire à l’ordre public, étant donné qu’il a pour objet la commodification du corps humain ou d’une partie du corps humain, au même titre que, par exemple, la vente d’organes.

Selon le juge, accorder la demande d’adoption de Madame reviendrait à « enlever ses dents » à cette prohibition fondamentale, et à sanctionner après le fait, indirectement, ce que l’on ne peut sanctionner directement :

[61]            Faut-il, au nom d’un soi-disant « droit à l’enfant », avaliser le détournement de l’institution de l’adoption?

[62]            Dans le contexte factuel particulier de cette affaire, force est de conclure que le projet parental de la requérante et du père de l’enfant entraînait inévitablement, dès le départ, la création délibérée d’une situation d’abandon du bébé par sa mère biologique pour satisfaire leur désir d’enfant, puis dans un deuxième temps, le consentement à l’adoption.

[63]            Toutes les étapes chronologiquement postérieures à la décision de recruter une mère porteuse, au mépris des lois existantes et en marge du droit, ont donc logiquement engendré la suite des événements.

[64]            Il est clair que la requérante mise beaucoup sur la situation de fait accompli. L’enfant étant née, le principe cardinal de l’intérêt de l’enfant en chair et en os devrait non seulement émouvoir le Tribunal, mais constituer le seul critère déterminant de la décision à être rendue.

[…]

[78]            Donner effet au consentement du père à l’adoption de son enfant serait pour le Tribunal, dans les circonstances, faire preuve d’aveuglement volontaire et confirmer que la fin justifie les moyens.

(Je souligne.)

Oui, cette décision met Madame dans une situation très difficile : n’étant pas la mère de l’enfant qui, de facto, est sa fille, elle n’aura pas son mot à dire quant au choix de l’école, quant aux soins médicaux dont elle pourrait avoir besoin, etc… C’est triste. Mais je demeure convaincue que le juge Dubois a pris la bonne décision en refusant de sanctionner le stratagème imaginé par les parents de X.

Autrement, on aurait ouvert grand la porte à une commercialisation du corps des femmes enceintes, et aux multiples abus que cela peut entraîner.

Dans le même ordre d’idées, je suis tombée sur un reportage à la télé américaine sur le sujet des « surrogate mother frauds ». Décrit comme un fléau aux USA, où les contrats de mère porteuse – contre rémunération – sont entièrement légaux et exécutoires, on désigne par cette expression le fait pour une mère porteuse de refuser de remettre son bébé au couple qui l’a engagée, et ce, malgré avoir empoché la « compensation » à laquelle elle avait droit en vertu du contrat.

(Je n’ai pas trouvé la trace de ce reportage, diffusé récemment sur les ondes de TLC. Mais vous pouvez avoir un avant-goût de cette hystérie collective ici ou ici.)

Ça vous met littéralement la bile au bord des lèvres.

Des couples déconfits qui poursuivent au civil et, parfois, portent des plaintes criminelles contre ces femmes, souvent issues de milieux très modestes, parce qu’elles ont – du-uh ! – développé un lien affectif avec l’enfant qu’elles portaient.

Un des hommes interviewés dans le reportage s’insurgeait ainsi contre une telle « fraudeuse » : « J’ai payé 1 000$ pour cet enfant ! »

Euh… 1 000$ ??? Et combien il pense que ça coûte au juste les rendez-vous médicaux de suivi de grossesse, les suppléments d’acide folique, les vitamines, l’accouchement, l’hospitalisation, l’épisiotomie, la césarienne, l’épidurale, dans le beau système de santé privé de nos voisins du Sud ? C’est non seulement une insulte pour la femme qui est à l’autre bout du contrat, mais aussi pour l’enfant. Je ne vois aucune différence entre l’attitude de cet homme et celle d’une personne qui « achèterait » un enfant sur Internet.

Et quelle belle base d’amour et de respect parent-enfant : « T’es mieux de m’écouter mon ti-gars, j’ai quand même payé mille piasses pour toi ! »

À mes yeux, les contrats de mères porteuses ou – je répète l’expression du juge Dubois – de « location d’utérus » s’inscrit pour moi dans la même foulée que la pornographie, la prostitution, le trafic d’organe et l’esclavage. Il s’agit d’une autre façon d’exploiter les plus faibles, les moins bien nantis de notre société, et ce, de la façon la plus immonde, c’est-à-dire en objectifiant une personne humaine, en en faisant une chose du commerce, un simple bien que l’on peut acheter ou vendre à sa guise.

Et, particulièrement parce qu’il s’agit d’une forme d’exploitation unique aux femmes, il s’agit d’une autre situation où la femme, n’est plus qu’une chose, une non-personne, un primate femelle non-humain, non un tout complexe, mais la simple somme de ses parties.

6 Comments

  • Caroline
    6 mai 2009

    Je suis particulièrement d’accord avec ta conclusion.
    « Il s’agit d’une autre façon d’exploiter les plus faibles, les moins bien nantis de notre société, et ce, de la façon la plus immonde, c’est-à-dire en objectifiant une personne humaine, en en faisant une chose du commerce, un simple bien que l’on peut acheter ou vendre à sa guise.  »

    Cependant, ton article m’amène aussi une autre réflexion… Celle de la femme qui désire avoir un enfant ardemment et que malheureusement, ca ne fonctionne pas…
    Je ne veux pas dire qu’il faut « profiter de l’utérus » d’une autre femme, mais ca m’amène quand même à réfléchir… jusqu’ou nous sommes prêtes à aller pour avoir un enfant ???

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  • Marie-Anne
    6 mai 2009

    Je pense plutôt que la question que pose cet article est plus la suivante : jusqu’où la société doit permettre aux individus d’assouvir leur «besoin» d’enfants ? Qu’est-ce que ce «droit d’avoir» un enfant pose comme question éthique, morale et sociale, en plus de juridique ?

    Pourquoi se tourne-t-on vers un processus de mère porteuse au lieu d’une adoption ? Est-ce moins compliqué (sic) ?

    Je ne connais pas vraiment ce dossier, mais la galaxie de questions éthiques qu’il suppose me donne le tournis.

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  • loïc
    11 mai 2009

    si un jour vous appreniez que vous êtes stériles, je prends le pari que vous vous poseriez moins de questions à ce sujet.

     » Avoir un enfant n’est jamais une urgence sauf quand on sait qu’on ne peut pas ou qu’on ne peut plus en avoir « .

    A méditer hors de tout contexte philosophique.

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  • Marie-Anne
    11 mai 2009

    Bah, non, justement, je m’en poserai encore plus et je serais assez embêtée. Dans tous les cas, mon amoureux et moi on prendrai la bonne décision pour nous.

    Et puis, hors de tout contexte, ça existe pas. Objectivité absolue, tu penses ?

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  • Imace
    14 août 2009

    Je rejoins l’opinion de l’auteure. En France les conventions de mères-porteuses sont prohibées au nom du principe d’indisponibilité du corps humain (le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un commerce). Ce principe me paraît un des derniers remparts à l’ultra-libéralisme actuel.

    Ca me choque d’ailleurs toujours autant que les juges aient pu découvrir une exception en matière de prostitution.

    Et pour ma part – certes c’est facile à dire puisque je ne veux pas d’enfants – mais je pense avec une conviction absolue que n’existe ni un « droit à l’enfant », ni un « droit à la sexualité », ni aucun de ses « droits » individuels que les riches se découvrent au détriment des plus démuni(e)s.

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  • jasmine
    10 octobre 2009

    Selon moi cette opinion vaut autant que son contraire….Mettez-vous à la place de la mère qui tente d’adopter son enfant et qui présetement ne sera jamais reconnu. Si jamais son couple ne fonctionne plus et qu’il y a séparation, elle perd tout droit sur l’enfant qui est pour sien, mais qui selon la loi ne l’ai pas… Elle a voulu cet enfant dès le départ et elle a fait en sorte de l’avoir…Pour certain cela peut parraître effrayant , mais qui nous dit que tous les enfants dans les orphelinats sont arrivés là parce que les parents biologiques les y ont laissé… Peut être que pour elle l’adoption n’était pas une option. Moi je sais que mon conjoint n’aurait pas voulu de l’enfant de d’AUTRES!!! Quelle est la différence de verser l’argent à une mère porteuse où à une clinique d’insémination artifielle qui prenne le sperme ou l’ovule de d’autre ou celui du conjoint ou de la conjointe et crée ainsi ce qu’il y a de plus beau au monde. Moi je pense que si cela est un moyen pour un couple NON FERTILE d’avoir un enfant, je pense que cela en vaut la chandelle et qu’il serait grand temps que les gens et le gouvernement avance avec leur temps!!! Il est certain que le mieux serait de légiférer afin d’éviter les abus et les problèmes… Je suis par contre opposé au fait d’utiliser une mère porteuse pour un couple apte à avoir un enfant, mais dont la femme ne voudrait pas endommager son corps… Pour moi ces femmes ne sont pas des mères qui désire vraiment un enfant!!! Une vrai mère se fou d’avoir le corps déformé!!!!! Dans ces cas de mère porteuse, je crois que si il y avait des législations qui encadraient la pratique tout cela pourrait être bénéfique pour beaucoup (parents, enfants…) . Une vrai mère, qu’elle adopte, qu’elle se fasse inséminer ou qu’elle utilise une mère porteuse pour parvenir à enfin avoir dans ces bras le plus merveilleux et précieux cadeaux du monde mérite d’être reconne dans son rôle de mère d’un point de vue légale!!!!

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