« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »

« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre. »

Karl Marx – 1818-1883

Le féminisme est récent. Le féminisme est dépassé : l’égalité est là. Les droits des femmes sont en perpétuelle augmentation. Il suffit d’attendre pour que les injustices disparaissent. L’émancipation des femmes s’est faite en douceur. L’histoire des femmes peut être efficacement traitée en une double page dans les manuels d’histoire.

Je continue ? On en a toutes entendu ! Par un bref aperçu de l’histoire du féminisme en France, je vais tenter de corriger ces naïves assertions.

En France, le féminisme est séculaire ; citons pour le Moyen-âge Christine de Pisan (La Cité des Dames, 1389), Louise Labé (le Débat de Folie et d’Amour, 1555) ou Marie de Gournay (l’Égalité des hommes et des femmes, 1622) ; pour la révolution française Olympes de Gouge (Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791) ou Théroigne de Mericourt (fondatrice de la Société des Amis de la Loi, groupe qui informe le peuple des travaux de l’Assemblée, 1790) ; pour le XIXème siècle Louise Michel (anarchiste et féministe qui participât à la Commune de Paris, 1830-1905) ou Flora Tristan (Pérégrinations d’une paria, 1837). Je ne vais pas continuer l’énumération, ces quelques lignes ont pour but de prouver l’ancienneté du féminisme.

Et de rappeler qu’il a connu de nombreuses héroïnes dignes d’être mentionnées dans les livres d’Histoire. Hélas, les historiens les dédaignent. Hormis Louise Labé, et uniquement en temps que poétesse, mes longues années sur les bancs de l’éducation nationale ne m’ont rien dit de ces femmes emblématiques. En fait, les figures anciennes du féminisme mériteraient à elles seules un chapitre des manuels d’histoire ; le féminisme moderne un second chapitre… Et l’histoire des femmes, eh bien, la moitié des ressources. Pas moins.

Au XXème siècle, les mouvements féministes prennent leur essor et remportent des succès sans précédent. On peut décomposer les luttes des femmes du siècle dernier en 4 étapes :

1. les droits politiques initiés par le célèbre combat des Suffragettes (fin XIXème, surtout en Angleterre – début XXème) : capacité civile (pour signer un contrat, intenter un procès… lois de 1938 et 1942), droit de vote et éligibilité (1944 seulement ! Et la France prétend être la précurseure du suffrage universel…), droit à exercer une activité professionnelle sans le consentement du mari (1965), droit d’ouvrir un compte sans l’autorisation du mari et de gérer ses biens propres (1965), liberté de choix de son domicile (1975), suppression de la notion de chef de famille sur le plan fiscal, qui permet aux femmes de gérer les biens communs du couple, avant à la seule disposition du mari (1985), etc.

2. les droits contraceptifs et abortifs par le MLF dans la lancée du mouvement populaire de mai 1968 : dépénalisation de la contraception (loi Neuwirth, 1967) et de l’avortement (loi Weil, 1975), libéralisation du divorce (1975), dépénalisation de l’adultère féminin (1975).

3. la parité et la lutte pour l’égalité : la parité est une loi qui sanctionne financièrement les partis politiques qui ne présentent pas autant de femmes que d’hommes sur leurs listes électorales, pour les élections communales et municipales, dans les communes comptant plus de 3 500 habitants (loi sur la parité, 2000, qui a nécessité une révision constitutionnelle en 1999) ; du côté de l’égalité professionnelle, lois sur l’égalité salariale et interdiction des discriminations (loi Roudy, 1983 et loi Génisson, 2001), sur le harcèlement sexuel (1992).

4. le combat actuel pour l’autodétermination, avec la dénonciation des éducations sexuées, de l’assignation des femmes à la sphère domestique, de la discrimination dans l’éducation, l’orientation scolaire et le monde du travail, de l’essentialisme, de l’androcentrisme, de l’hétérocentrisme, et de tout un tas de mots en –isme que mon dictionnaire automatique souligne en rouge, parce qu’il ne les connaît pas :-p

Autre incongruité dans le discours du quidam lambda : les droits des femmes seraient en perpétuelle augmentation. L’émancipation des femmes serait un processus linéaire. Erreur !! Au Moyen-âge, les femmes ont bien plus de droit que sous l’Empire (le Code Napoléon, en 1804, fait de la femme mariée une mineure, sans capacité juridique et sous la complète dépendance de son époux). En fait, les femmes pouvaient durant le Moyen-âge voter aux élections municipales, être générale, mairesse ou abbesse, médecine (avant que l’Académie prohibe l’exercice de la médecine par les femmes et réserve le terme au seul métier), elle pouvait tester, hériter, contracter, ester en justice, gérer leurs biens… L’Histoire est une suite d’avancées et de reculs, chaque victoire étant suivie de combats pour préserver les droits acquis, et parfois de reculs.

C’est toujours le cas. Vous choquerai-je si je vous disais qu’au Moyen-âge, les femmes avaient investi des domaines de l’économie plus variés que les 6 secteurs où aujourd’hui 80% d’entre elles se concentrent ? Que tout au long de l’histoire, des femmes régnèrent sur la France, alors que ça fait 150 ans et trois républiques différentes qu’aucune femme n’a été à la tête de l’exécutif ? Que dans le domaine de la prostitution, l’apogée de l’abolitionnisme se situe à la moitié du XXème siècle, alors qu’aujourd’hui un vent de réglementarisme souffle sur l’Europe ?

Vous connaissez le livre Backlash de Susan Faludi ? Non seulement l’inertie freine l’émancipation des femmes, mais encore le processus de notre émancipation est réversible.

Pour celles que le sujet intéresse :

http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r1240.asp#P135_9334

http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/a/gat/d003.htm#_Toc83894045

La France, les femmes et le pouvoir, Eliane Viennot, 2006.

15 Comments

  • Myriam Bizier
    10 novembre 2009

    Oh yeah, you rock Sabrina! On aime ça. De l’Histoire du féminisme, on en veut plus. Merci beaucoup pour ton article édifiant. J’ai appris des mots et des faits. Je continue à lutter contre l’inertie, avec mon intuition et maintenant ma mémoire.

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  • Nouch
    10 novembre 2009

    Merci beaucoup, j’ai appris plein de choses, et considérablement allongé ma liste de lecture!

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  • Valérie
    10 novembre 2009

    Merci pour cet article. Il est informatif, clair, bien écrit et tout. On nous joue des tours avec l’histoire. Et pas seulement avec celle du féminisme. Comme dit parfois un ami, « on se fait crosser d’notre âme ». Je suis ébahie. Bonne nuit. Et merci encore!

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  • max
    11 novembre 2009

    s’agissant du point 3 « la parité et la lutte pour l’égalité « , c’est un concept tout à fait discutable dans la mesure où il fait obligation aux partis politiques de présenter des femmes même si celles-ci ne sont pas forcément toutes motivées voire même si elles ne sont pas toutes compétententes.

    pour ce qui est de l’étendre à la sphère professionnelle ,j’attend le moment où on va obliger les jeunes files à aller travailler dans un garage automobile, à ramasser les poubelles ou à exercer tout autre métier ingrat typiquement masculin au motif qu’il faut atteindre le quota de 50% ?

    tu es partante Sabrina ???

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  • Isabelle N.
    11 novembre 2009

    Comme le corps politique est censé être représentatif de la société, ce qui n’est pas le cas des autres métiers, je suis d’accord pour des mesures pour encourager les candidatures de femmes compétentes et déterminées (et il y en a, ne vous en déplaise!)

    Quant aux garages, je ne serais pas contre non plus des garagistes femmes qui ne me donnent pas du « ma petite dame » méprisant et qui ne me prennent pas pour une cruche!

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  • maxime
    11 novembre 2009

    oui c’est bien gentil comme discours Isabelle mais il vous faut alors passer à l’action et postuler pour travailler dans un de ces garages !

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  • Caroline R.
    11 novembre 2009

    Dans un premier temps, Sabrina je veux te dire que ton texte est absolument intéressant et que je me plongerai dans ces lectures, dès que j’aurai du temps! Ensuite, je trouve totalement intéressant le fait que tu mettes en avant l’Histoire du féminisme en France, je me propose de faire quelques recherches afin d’étoffer ce cours d’histoire avec une petite histoire du féminisme québécois! 🙂

    Dans un deuxième temps, je suis d’accord sur un point avec max, en effet la notion de parité est une notion discutable. Encore faut-il avoir des arguments pour discuter et savoir de quoi l’on parle. Certes, je serais plutôt contre qu’on « force » une femme (ou tout autre individu) à se présenter en politique dans le seul but de remplir un quota, mais il faut reconnaitre que le but est noble. En effet, le but de ce quota est d’encourager les partis politiques à reconnaitre que les femmes représentent environ 50% de la population et que cette partie non négligeable de la population a le droit de se voir représentée. Cependant, il est clair que dans l’absolu nous devrions toutes et tous aspirer à un modèle parfait qui n’aurait aucunement besoin d’encouragement ou de sanction afin de fonctionner. Et c’est justement là le point, il faut d’abord imposer afin que tout le monde s’y habitue et que ça devienne NORMAL pour une femme d’être en politique. Au Québec, on a choisi de récompenser les partis qui présentent un certain pourcentage de femmes(environ 30%, ce qui est bien loin du 50%, si je ne me trompe) plutôt que de les sanctionner s’ils ne rencontrent pas la parité. Chaque modèle a ses avantages et inconvénients, mais c’est un DÉBUT!…

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  • Karine
    12 novembre 2009

    Oui, Isabelle, qu’attends-tu pour te bouger et aller travailler dans un garage? Nul doute que ça serait une augmentation de salaire! (tu travailles dans le communautaire, non?)

    🙂

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  • Isabelle N.
    12 novembre 2009

    Ça, Karine, aucun doute! Je doublerais mon revenu d’un seul coup!

    Je termine mon petit projet, celui de mettre fin à la violence faite aux femmes, et ensuite je m’y mets, promis! 😉

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  • Milla
    12 novembre 2009

    Bonjour,

    merci pour cet article salutaire
    je savais que la féminisation des noms de métiers était plus riche et plus en vogue au Moyen Age qu’aujourd’hui mais j’ignorais que la diversification des métiers était plus importante à cete époque. Et n’en déplaise aux rabat-joie qui ont peut être peur de perdre leurs privilèges ? (cf commentaires précédents)
    Merci !

    Je vous invite à découvrir notre journal féministe mensuel en version électronique.
    http://www.osezlefeminisme.fr

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  • Marie J.M.
    14 novembre 2009

    Je pense que de connaître l’histoire des femmes doit faire partie de la culture générale de tous les humains. Cela nous aiderait peut-être à mieux nous comprendre et éviter de retomber dans des pièges du passé. Enfin… j’en rêve.

    J’en rêve et j’y travaille. Je me permets – quand le contexte s’y prête – de rappeler certains de ces éléments de l’histoire.

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  • Caroline L.
    5 décembre 2009

    D’ailleurs, semble-t-il, selon ce que j’ai lu dernièrement, que le « pétage » de vitrine lors de manifestations aurait débuté avec les suffragettes anglaises: « Le 1er mars 1912, tandis que Mrs Pankhurst elle-même réussit à briser quelques vitres de la résidence du Premier ministre au 10 Downing Street, d’autres militantes, armées de lance-pierre et de marteaux, font plusieurs milliers de livres sterling de dégât en mettant à bas systématiquement les vitrines des rues commerçantes à la mode. On arrête plus de deux cent « suffragettes ». »
    http://claudeguillon.internetdown.org/article.php3?id_article=270

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  • Camille
    9 décembre 2009

    Hum. Le « féminisme » est une idéologie testant l’appropriation par certaines femmes de caractères communs à toutes les femmes. Il conduit à une usurpation, du domaine du politique (« pour le bien des femmes », of course ; « le bien des autres », c’est l’argument habituel de ceux qui s’autorisent des écarts qu’ils refusent à autrui).

    Aussi, il est vain de distinguer une usurpation par une femme d’une usurpation par un homme. Ce serait du domaine du folklore, à l’exception du cas où l’on est féministe soi-même bien entendu, puisqu’il s’agit alors d’une compétition et de savoir qui va remporter la « galette ».

    Mais cela permet de dire aussi qu’il existe une usurpation des droits des hommes par d’autres hommes, qu’on n’appellera pas « féminisme ». Il s’agit toujours d’une usurpation des droits de tous par une minorité de salopard(e)s.

    Si on vole votre voiture (ou une chose plus intime), ce qui compte pour le volé c’est qu’on vous vole, pas QUI ou QUOI vous le vole.

    Par contre, le sexe du voleur compte dès lors que le voleur et la voleuse sont en compétition. Donc seuls les voleurs s’intéressent au sexe des voleurs.

    Aussi, l’apologie du féminisme n’a pas pour dessein réel de réparer des torts (hypothétiques ou pas), mais de goûter à la galette. C’est pourquoi toute allusion aux concepts de justice et d’injustice y est infondée, par nature.

    Ouh là là, que la vie est compliquée !

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  • Abd Salam
    4 juillet 2010

    @ Camille,
    C’est dingue comme les macho qui se font appeler « masculinistes » peuvent s’amuser à dispenser le poison de leur propagande sur les sites féministes militants…
    Le féminisme est le PRINCIPE tout simple que la femme est un être humain… Ce principe est l’affirmation que les femmes ont toutes les qualités et tous les travers humains ; en conséquence de quoi : les femmes ont un libre arbitre, un honneur, des droits et des de devoirs.
    Vous êtes totalement hors sujet quand vous parler de « caractères féminins », ce qui est un concept patriarcal : les femmes auraient leurs droits/qualités, et les hommes auraient leurs droits/qualités de leurs côté !

    D’autre part, votre intervention vous couvre de honte, vous vous exprimez comme si vous n’aviez rien compris à l’article. (je pense que vous le faites exprès, c’est pour ça que je formule « comme si »).

    Quant à ceux qui s’amusent à provoquer en parlant des métiers dit « masculins » ; si ces métiers sont considérés comme masculins, c’est parceque DES hommes l’ont voulu, et si aujourd’hui encore peu de femmes se lance dans des carriéres de mécaniciennes ou de charpentiers, c’est toujours parceque DES hommes et DES femmes s’y opposent… sans parler de l’éducation qui pousse toujours les filles à moins d’ambition, et à choisir des filiéres conformes à leur soit-disant « nature ».

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  • Abd Salam
    4 juillet 2010

    @ Sabrina, autrice de l’article,

    Vous écrivez : « 3. la PARITE et la lutte pour l’EGALITE : la parité est une loi qui sanctionne financièrement les partis politiques qui ne présentent pas autant de femmes que d’hommes sur leurs listes électorales »

    Je précise que le mot « parité » signifie « égalité », c’est un synonyme… qui était rarement utilisé jusqu’à présent.

    Je pense qu’il s’agit là d’un piège rhétorique, certains ont eu l’idée de remplacer l’égalité (concept plus clair), par « parité », vocable dont le sens véritable échappe a beaucoup de monde…
    J’ai peur qu’il s’agissent aussi d’affirmer implicitement que l’égalité est impossible (trop de différences entre les hommes et les femmes), mais que des aménagements pour une « égalité différentielle » soit possible. Il s’agit là d’un point marqué par les macho qui se font appeler « masculinistes ».

    Le terme « parité » renvoit à « pairs » et on est forcément l’égal de ses pairs… Le terme « parité » désigne en fait une égalité déjà réalisée…

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