« Affaire Lola » : Commentaires et pistes de réflexions
Mercredi dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu un jugement surprenant dans ce qui est désormais connu comme « l’affaire Lola », et par lequel elle renverse l’état du droit antérieur selon lequel seuls les conjoints mariés se doivent, en vertu de l’article 585 du Code civil du Québec une obligation alimentaire (a.k.a. une « pension », ou des « aliments » dans le jargon juridique) lors de la rupture de la relation de couple.
Dans une décision qui passera à l’histoire sous le sobre titre Droit de la famille – 102866, la Cour d’appel , sous la plume de la juge Dutil, a invalidé l’article 585 C.c.Q., au motif qu’il constituait une discrimination envers les conjoints de faits (par rapport aux droits dont jouissent les conjoints mariés ou unis civilement) en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que cette discrimination ne peut être justifiée dans une société libre et démocratique.
Cette décision n’a pas d’effets pour l’instant. Premièrement, parce que la Cour en a suspendu les effets pendant une durée d’un an, afin de renvoyer la balle dans le camp du Législateur. Deuxièmement, il y a lieu de croire que cette décision sera portée en appel devant la Cour suprême du Canada.
Quelques critiques
Si c’est le cas, plusieurs éléments pourraient faire en sorte que le jugement rendu cette semaine soit renversé.
D’une part, avec respect pour la Cour, l’analyse constitutionnelle que fait la juge Dutil soulève certaines interrogations. Notamment, peut-on vraiment dire que l’état civil (i.e. le fait d’être marié ou uni civilement, versus le fait d’être conjoint de fait) constitue un motif de discrimination analogue à d’autres caractéristiques ou conditions personnelles immuables, comme la race, le sexe ou l’orientation sexuelle? Aussi, en ce qui a trait à l’analyse par la Cour de la justification à cette « discrimination », peut-on vraiment affirmer que la protection de la liberté de choix des citoyens quant aux conséquences juridiques de leurs relations de couple ne constitue pas un objectif valable pour le Législateur (ou, dans le jargon de la Charte canadienne, un « objectif urgent et réel »)?
D’autre part, la Cour, bien qu’elle invalide l’article 585 C.c.Q., évite soigneusement d’entrer dans l’épineux débat sur la définition de « conjoints de faits ». Certes, le pouvoir de définir cette notion appartient au Législateur, et c’est précisément pourquoi la Cour a gardé ses distances quant à cette question. Cependant, cette réflexion était essentielle à l’analyse constitutionnelle en cause ici. Envers quelle catégorie de couples y aurait-il discrimination, exactement? Les couples qui se font passer pour mariés sans l’être réellement, avec des joncs et des fausses photos? Les couples avec enfants? Le chum et la blonde qui partagent un appart et un bill d’Hydro? Les one-night-stands? Cette ambiguïté, il va sans dire, cause également beaucoup d’inquiétude, et ce, tant parmi les juristes que parmi les binomes chums/blondes pas mariés près de chez vous.
Petits bémols et/ou pistes de réflexions
Bémol numéro 1.
Oui, il est très compréhensible que cette affaire soulève les passions. Comme une bonne partie de la population de la province a déjà cohabité avec un chum ou une blonde, tout le monde se sent plus ou moins concerné par cette décision. Cela dit, il s’agit d’un jugement qui soulève plusieurs questions profondes non seulement au niveau juridique, mais également au niveau politique, moral et social.
Bref, je suggère fortement à tous et toutes d’investir une petite demi-heure de votre temps et de lire le texte intégral de ce jugement, afin de vous en faire votre propre idée.
Bémol no. 2
L’amour et la famille, c’est pas la même chose que les affaires. Même si je ne souscris pas à la théorie de mon prof de contrats selon laquelle « l’amour vicie le consentement », je peux facilement concevoir qu’il y ait des situations où l’un des conjoints veut se marier (par amour ET pour protéger ses droits) et l’autre pas, mais entretient volontairement l’ambiguïté sur ses intentions à ce sujet, dans le but de profiter des avantages de la vie maritale sans avoir à en assumer les conséquences en cas de rupture.
Exemple simple: Un ancien collègue de travail adore les enfants et avait toujours souhaité en avoir. Ça a toujours été on-ne-peut-plus clair pour lui. Il en avait parlé à sa blonde, mais elle, de son côté, n’en veut pas. Le temps passe. Le gars n’a toujours pas de signe comme quoi sa blonde aurait changé d’avis sur la question reproductive. Mais, il l’aime, ils sont bien tous les deux, alors il reste avec elle. Au bout de 10 ans de vie commune, alors que la quarantaine se pointe pour chacun d’eux, le gars se rend compte que finalement, sa blonde ne veut vraiment pas d’enfants. Il la quitte.
C’est pas mal la même chose en matière de mariage. Madame voudrait se marier, compte tenu qu’elle et Monsieur ont fait le « choix » qu’elle abandonne sa carrière et reste à la maison pour élever les enfants. Monsieur dit « le mariage, oui, peut-être, mettons dans 4-5 ans ». Il la crisse là un beau jour, en riant dans sa barbe parce que légalement, il n’a pas à lui payer un rond.
Bémol no. 3
Je suis sensible à l’argument du juge Beauregard (qui écrit une opinion minoritaire, c’est-à-dire qu’il souscrit généralement aux motifs et aux conclusions de la juge Dutil, mais qui tenait à préciser ou à nuancer certains aspects du jugement). Avec une plume selon moi de loin plus éloquente que celle de sa collègue, le juge Beauregard insiste sur le fait que l’obligation alimentaire de l’article 585 C.c.Q. est fondée non pas sur le choix de se marier ou non, mais plutôt sur la responsabilité sociale et morale qu’a chaque citoyen de s’occuper de ses proches. Ainsi, l’obligation alimentaire ne bénéficie pas seulement à son conjoint (jusqu’ici, le conjoint marié seulement), mais également à ses enfants et à ses parents. La logique de cette disposition est donc que c’est aux individus, et non à l’État et à la collectivité de pourvoir aux besoins des membres de sa famille proche.
Comme le souligne avec raison le juge Beauregard, le législateur ne permet pas que l’on s’exclue contractuellement de ce régime de soutien financier. L’exclusion des « concubins », comme on les appelait anciennement dans notre droit civil, découle essentiellement d’un jugement défavorable, basé sur une morale religieuse punitive. On a corrigé en partie l’influence discriminatoire de cette morale religieuse (par exemple, en accordant des droits successoraux ou alimentaires aux enfants, même « illégitimes »), mais le Législateur a choisi de ne pas faire la même démarche quant aux conjoints de fait.
Ayant eu l’expérience, dans ma famille proche, d’être témoin du soutien actif – et onéreux, à plusieurs égards – de personnes envers leurs parents âgés et malades, ou envers des enfants handicapés, je suis loin d’être insensible à cet argument basé sur l’obligation morale envers ses proches.
Des alternatives?
Existe-t-il, à l’heure actuelle, des avenues ou recours possibles pour le conjoint non marié qui a sacrifié son indépendance financière pour le bien du ménage et de la famille, et qui se ramasse on his/her own à la suite d’une rupture?
La réponse est oui, mais c’est tout un chemin de croix. Dans la décision Pettkus c. Becker, la Cour suprême du Canada a reconnu le recours en enrichissement injustifié par un conjoint de fait. Dans cette affaire, Madame, une femme non mariée avait travaillé gratuitement pour la ferme de son mari, en plus de contribuer au ménage et au soin des enfants tant financièrement que par son activité au foyer. Éventuellement, Monsieur jette Madame. (Littéralement, Monsieur lui jette une poignée de dollars à terre et lui dit scramme.) Madame, non éligible à une pension alimentaire car non mariée, poursuit Monsieur en enrichissement injustifié. La Cour a accueilli le recours de Madame, celle-ci ayant prouvé que Monsieur avait connu un enrichissement, qui correspondait à un appauvrissement de Madame, et qui ne trouvait pas de justification dans une source juridique quelconque (comme un contrat, par exemple). Et non, by the way, l’amour et les joies du foyer ne constituent pas une telle « justification ».
Mais voilà, il est extrêmement difficile de faire une telle preuve. Sceptique? Combien de temps gardez-vous vos factures? Toutes vos factures? Auriez-vous gardé des notes précises du nombre d’heures et du type de tâches que vous avez exécutées au profit de la business de votre conjoint pendant les 15-20 dernières années? Et comment feriez-vous la preuve de l’enrichissement correspondant de votre ex?
Et encore faut-il, suite à un jugement favorable, être payé et recevoir son dû. L’épilogue de l’affaire Pettkus est aujourd’hui tristement célèbre. Malgré un jugement favorable de la plus haute cour du pays, Madame est incapable de percevoir son dû de Monsieur. Appauvrie tant par la rupture de son union avec Monsieur que par la saga judiciaire en découlant, Madame se suicide. Ultimement et définitivement appauvrie.
Une autre alternative hypothétique à ce genre de situations serait une modification législative émanant du Législateur. C’est surprenant, mais le Québec est actuellement la seule province canadienne qui ne reconnaît pas d’obligation alimentaire entre conjoints de fait. Bien entendu, une telle modification présuppose une définition claire de ce qu’est un « conjoint de fait ».
Mais pour l’instant, reste encore l’éducation et la responsabilité de tous et chacun de s’informer adéquatement sur ses droits. Je l’ai déjà dit sur ce blogue et je le répète : une petite visite chez le notaire ou chez un avocat pratiquant le droit familial, avant de se marier ou d’entreprendre vie commune peut vous épargner beaucoup d’incertitude et de frustration en cas de rupture. Et pour ceux que l’institution du mariage rebute, votre notaire / avocat(e) pourra vous conseiller sur l’opportunité de rédiger et signer un contrat de vie commune, qui établit dès le départ les règles du jeu en cas de séparation.
Joëllita
Merci, Catherine, pour cette discussion intelligente d’une affaire qu’il me semble difficile de régler de façon équitable. Une des choses qui m’énervent dans ce débat, est la mise en équivalence du conjoint de fait qui recherche compensation avec « les femmes ». Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’émission de Tout le monde en parle où ils avaient « débattu » de la question et où Martineau avait fait tout un speech macho comme si la cause de Lola était une sorte de complot féminin(iste) (!!) pour attraper les hommes et les forcer à payer. C’était assez dégoûtant, et il me semble que ce genre de réaction hystérique montre à quel point il y a un glissement entre « conjoint de fait » et femme qui aurait voulu se marier mais dont le conjoint habile a réussi à se protéger de ses mauvaises intentions (nuptiales). Ce qui m’insulte là dedans, c’est que j’y retrouve cette image réductrice de la femme comme force conservatrice dont l’ambition suprême est de se marier et de se faire entretenir. Je trouve ça dégueulasse.
Bref, bien sûr qu’on devrait s’occuper de nos proches, etc. Mais peut-on recadrer le débat sans que ça devienne une réaffirmation de l’impératif du mariage ou du couple stable etc. Il me semble qu’on est plusieurs à être dans des unions « de fait » sans espérer secrètement se faire demander en mariage ou profiter d’avantages financiers à travers notre partenaire. Il me semble que ça masque d’abord la possibilité que des hommes se trouvent dans cette position « féminine », mais aussi que ça réaffirme une vision conservatrice du « désir féminin » et des possibilités d’autonomie (financière, sexuelle et autres) pour les femmes.
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Caroline R.
Merci Catherine de parler de ce sujet. Je voulais justement préparer un billet là-dessus.
Personnellement, je crois que la clé de ce débat se résoudra dès qu’on définira ce que sont les conjoints de fait.
Ce matin, j’écoutais Christiane Charette et j’ai bien aimé les interventions de Francine Pelletier et de Patrick Lagacé. Vous pouvez écouter le tout ici: http://www.radio-canada.ca/emissions/christiane_charette/2010-2011/chronique.asp?idChronique=123902
Pour reprendre le questionnement de Lagacé, je trouve dangereuse cette décision de la Cour. En effet, je ne vois pas pourquoi des conjointEs (le E majuscule est ma façon de ne pas mettre entre parenthèses le féminin…) devraient une certaine pension alimentaire à unE ex-conjointE, s’ils n’ont pas d’enfants ensembles. Il me semble que si la relation n’a pas fonctionné, pour X raison, et que personne ne souffre de la séparation ben ça devrait être possible de ne plus jamais se parler, et surtout de ne rien se devoir.
Pour ma part, chacun prend ses cliques et ses clacs et continu son bonhomme de chemin, quand aucun enfant n’est au centre de la séparation.Je trouve qu’on entre sur une pente TRÈS glissante en suivant les idées avancées par Maitre Goldwater… du moins celles qu’elle avance à l’émission précédemment citée.
Et vous?
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Isabelle N.
D’accord avec toi Caroline. J’ai tout un malaise avec ce jugement (et merci Catherine de ce limpide exposé) et je crois que c’est quand maître Goldwater affirme qu’il protège les femmes… Il y a de plus en plus de femmes qui gagnent plus que leurs conjoints, en quoi ce jugement leur est-il favorable? Évidemment, dans un monde idéal, on se donnerait un coup de main, après une rupture, en cas de besoin, mais obliger les ex sans enfants… Bof…
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Martin Dufresne
Comment éviter de se rabattre sur des arguments préfacés par « dans un monde idéal »? En tenant compte de ce que vivent la majorité des gens, sans faire le jeu des mass médias, toujours prompts à nous présenter l’égalité comme déjà-là.
Il me semble que le détour auquel procède (ce porc de) Richard Martineau par l’idéation vengeresse-calculatrice-profiteuse des femmes est bien pratique pour les gens qui répugnent à prendre en ligne de compte les avantages et désavantages de la vie de couple pour les parties. L’analyse matérialiste fait toujours aussi peur dans un monde dominé par l’idéologie romantique. Évidemment que le problèeme ne se poserait pas si les salaires des hommes et des femmes étaient équivalents et surtout si les fonctions ménagères – et parentales quand il y a enfants – étaient également partagées. Mais comme c’est encore loin d’être le cas, le mieux payé des conjoints bénéficie, concrètement, du travail gratuit de l’autre, de sa mise au service des intérêts du couple ou de la famille (faute d’un salaire équivalent sur la place publique et d’une bonne volonté suffisante à domicile).
Dans ces conditions (réelles et non idéales), la pension alimentare versée à l’autre s’il y a eu mariage – pension conditionnelle au dénument de Madame, limitée dans le temps et somme toute, de plus en plus rare, voyez les statistiques à cet égard – constitue une reconnaissance sur le tard et une compensation bien partielle de ce travail fait gratuitement (« par amour ») pour l’autre, ou les autres s’il y a des enfants.
Quand il n’y a pas eu mariage et que l’amour ne retient plus le conjoint le mieux pourvu, enrichi par la disponibilité forcée de la conjointe, est-il vraiment anormal qu’une disposition vienne rétablir partiellement l’équité?
Pense-t-on vraiment que toutes les autres provices du pays sont aux mains de féministes radicales pour reconnaître cette responsabilité, pas seulement au plan moral mais dans la loi, qui est notre morale sociale?
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Marie-Élaine
Comme je partageais à une fellow correspondante « en vrai » ce soir, je connais très peu au droit de façon générale (et pas plus au droit familial en particulier), alors les implications de ce jugement… j’ai besoin de lire plus d’analyses encore de ce que ça implique.
Mais juste comme ça à frette? Pas sure que je le qualifierais de paternaliste, comme j’ai vu certaines personnes le faire.
Je me méfie aussi de la réaction misogyne que ce jugement provoque (pas ici, juste pour mettre ça au clair), sur les médias sociaux et aussi dans les journaux et à la radio. Par exemple, l’attitude de Patrick Lagacé à Christiane Charette? Moi, ça m’a fait grincer des dents. Et inversement, j’ai trouvé Mtre Goldwater posée, claire…
TK.
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Guillaume Rivest
Si je me fie a vos commentaires, les relation de couples au Qc sont une lute de pouvoir, pour savoir qui va faire le sacrifice supreme de dépendre de l’autre, au risque de tout perdre…non mais, où est la maturiter social? Des enfant qui ont des enfants…
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