La paix, s’il vous plaît

À la veille du jour du Souvenir, peut-être est-il important de rappeler que l’État canadien participe toujours, au moment d’écrire ces lignes, à des guerres injustes. Avec le gouvernement conservateur dorénavant majoritaire, il est primordial d’élever nos voix et de désarmer cette culture militaire.

En mars dernier, à propos de son gouvernement, le premier ministre Harper disait en entrevue à L’actualité: « C’est une approche où on privilégie les réductions d’impôts, plutôt que les augmentations de dépenses ; le soutien direct aux personnes, plutôt que des bureaucraties ; la restauration de la fierté dans nos institutions, nos forces armées, notre histoire. Nous voulons emmener le pays vers une définition de lui-même qui est plus en phase avec le conservatisme. » Le projet du gouvernement repose donc en partie sur la militarisation de la société, et cela a des impacts majeurs sur la sécurité des gens d’ici et d’ailleurs.

La militarisation tranquille

Le programme politique du Parti conservateur est notamment basé sur le conservatisme moral. Ceci consiste en un amalgame de valeurs traditionnelles, dont l’identité nationale. Voilà pourquoi le gouvernement Harper revisite dernièrement l’histoire canadienne, et puise dans les récits guerriers pour renforcer notre identité (et ce, en créant une supposée opposition avec l’identité américaine). La commémoration de la guerre de 1812, cette note en bas de page des manuels historiques, ou les cérémonies pour les vétérans de la guerre en Lybie en sont de bons exemples.

La guerre à l’austérité

À l’heure où les gouvernements mondiaux se disent contraints de couper dans les programmes sociaux et culturels, le gouvernement conservateur, depuis 2006, a augmenté de 48% le budget à la Défense (2010-2011). Inutile de dire que cette hausse se fait au détriment d’autres investissements gouvernementaux qui sont importants dans la vie de tous, mais particulièrement des femmes, telles la santé, l’éducation et les services sociaux. Selon l’organisme Stoppons les dépenses militaires, à chaque minute, le gouvernement canadien dépense 43 000$ à des fins militaires. Cela représente plus qu’un salaire moyen canadien. Présentement, 22 milliards de dollars (1,5% du PIB) sont alloués à la Défense, dont seulement 2 milliards par an ont été utilisés à la guerre en Afghanistan au cours des 10 dernières années. Toutes ces dépenses ne sont pas le seul produit du gouvernement Harper, elles ont eu l’appui des partis d’opposition. En fait, selon cette tendance, d’ici 2027-2028, le budget militaire est estimé à 30 milliards, ce qui représentera une augmentation de 6% par rapport à l’année 2008-2009.

 

 « La guerre chez soi ». L’ennemi intérieur

Au cours du 20e siècle, durant les conflits armés, les victimes civiles, majoritairement des femmes et des enfants, sont estimées à plus de 230 millions. En raison des avancées technologiques, les civils sont aujourd’hui 90% des victimes des conflits armés, alors qu’ils en étaient 10% lors de la Première Guerre mondiale, selon Amnistie internationale. La guerre exacerbe les rapports sociaux et permet tous les vices. Malheureusement, une fois le conflit terminé, les violences se perpétuent ici.

En effet, en juillet 2010, la Presse canadienne a diffusé des documents fortement censurés relatant une hausse importante d’agressions sexuelles et de conflits conjugaux sur ou à proximité des bases des Forces canadiennes. Les tentatives de celles-ci de camoufler les violences de leurs membres est un choix politique bien réfléchi de la part des dirigeants, et cela constitue un instrument d’occultation des violences. Ces dernières ne pourraient plus être impunément commises si les Forces, en connivence avec l’État, ne bénéficiaient pas de la protection des institutions. Au début des années 2000, à l’échelle mondiale, le taux de viol était estimé à une femme sur cinq. Dans les communautés militaires canadiennes, le taux de violence conjugale est de 23% plus élevé que dans la société civile (ce taux ne représente d’une partie de la réalité, considérant le faible taux de dénonciation des violences). En dépit des positions officielles de l’institution, notamment la politique de tolérance zéro concernant la violence conjugale, le fonctionnement interne est tel qu’il a pour but de cacher la vérité, et de s’assurer que les problématiques sociales et politiques soient inconnues du public. Il est question ici de protéger l’image de l’institution, comme ce fut le cas dernièrement avec Russell Williams, cet ex-colonel qui est présentement incarcéré pour avoir assassiné deux femmes et agressé plusieurs autres, mais qui continue malgré tout à percevoir sa pension militaire…

Ne pas contester les façons de penser militaristes revient à perpétuer et à privilégier certaines formes de masculinité, à maintenir fermement en place les rapports inégaux à tous les niveaux, à protéger les agresseurs auteurs de violence contre les femmes en temps de guerre et suite à celles-ci. L’actualisation du patriotisme canadien, dont la militarisation est un pilier incontournable, marque ainsi un recul important, notamment en raison de l’acceptation de l’usage d’aveux obtenus par la torture dans d’autres pays, du non-respect des droits humains, d’un certain conservatisme religieux ayant une obsession pour le crime et le châtiment, du retour du débat sur l’avortement et la peine de mort, etc.

Devoir de mémoire

Donc, à la veille du jour du Souvenir, de quoi doit-on se « souvenir » au juste? Pourquoi avoir un devoir de mémoire, sinon pour ne pas reproduire les erreurs passées? Il ne faut pas que ces commémorations aient pour but de justifier les horreurs présentes. En ce sens, afin de faire échec à cette stratégie politique conservatrice, je vous invite à porter au mois de novembre le coquelicot blanc. En effet, le coquelicot blanc se « souvient » réellement de ce qu’est la guerre, et rend hommage à ses victimes. À toutes ses victimes. Pas uniquement à celles qui y ont porté des armes.

Ceci dit, il ne faut pas s’y méprendre: cette lettre n’en est pas une contre les soldats eux-mêmes, mais bel et bien contre une dérive conservatrice de la société qu’il faut dénoncer. Je me dresse ici contre un système de domination impérialiste, colonialiste, sexiste ainsi que militariste.

 

– Émilie Beauchesne

4 Comments

  • Audrey
    11 novembre 2012

    Excellente critique du Jour du Souvenir. Merci!
    Est-ce possible d’avoir la référence des documents de la Presse canadienne sur les cas de violences sexuelles près des bases canadiennes?

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  • Emilie
    11 novembre 2012

    Dès 1993 avec la commission Faye rapportent des problématiques de violences sur les bases. Je vais référence à ce rapport entre autresPolice Militaire, Programme du renseignement criminel de la Police militaire, Aperçu statistique 2008 concernant les enquêtes de la Police militaire portant sur la violence familiale. Pour les auteures féministes je te suggère Razack, Harrison et Whitworth. Il y a aussi ce rapport : Family Violence and the Military Community research teams of the Muriel McQueen, Fergusson Centre for Family Violence Research at the University of New Brunswick and the RESOLVE Violence and Abuse Research Centre at the University of Manitoba, Report on the Canadian Forces’ Response to Woman Abuse in Military Families, May 2000, http://www.unb.ca/fredericton/arts/centres/mmfc/_resources/pdfs/familyviolmilitaryreport.pdf.
    Et cette enquête si tu es intéresée http://www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2010-2011/Reportage.asp?idDoc=144633

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  • Ève Marie
    11 novembre 2012

    Très pertinent, bien documenté. Saviez-vous qu’il existe un parti féministe qui s’est présenté aux élections européenne? Das le mème sens que vous, «combien les marchés du travail se dérègle et que l’influence des syndicats diminuent. Le modèle suédois (négociations salariales pluriannuelles, convention collectives actualisées) est fortement mis en cause, confronté aux procédures juridiques européennes, aux directives, aux privatisations, à la déréglementation et à la directive sur les services, avec le libre établissement et l’extension à de nouveaux domaines qui concernent notamment les services sociaux et de santé. Les femmes sont en bas de l’échelle du marché du travail et elles le paient au prix fort : précarité, insécurité de l’emploi et journées augmentées des tâches ménagères qui en font un double travail.» Voir http://www.feministisktinitiativ.se/franska.php?text=eu-valmanifest-2009

    Je prépare un article pour mon blogue et vous invite à y participer, sur la question «qu’est-ce qui limite les femmes à s’impliquer davantage en politique active?» Voir pouvez me joindre par messagerie fb pour me donner vos impressions.
    Ève Marie, d’Occupons Montréal

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