Les filles, c’est pas pareil

58_dIl était une fois où, environ un mois après une rupture amoureuse, j’avais commencé à fréquenter un jeune homme. « Je me sens pas trop comme du boyfriend material » qu’il m’avait dit, « mais ce serait l’fun de se voir ». J’avais le coeur amoché de trois ans de relation, besoin d’espace mental pour la digérer, mais une envie criante d’organiser un party pour mes hormones. C’était sain, c’était divertissant, c’était sportif. C’était précisément ce dont j’avais besoin.

Le lendemain de la première rencontre, satisfaite de mes activités athlétiques de la veille, j’en ai glissé un mot à la soeur et au beauf. Je les savais assez traditionnels dans leur style de vie, mais je me disais qu’au pire, mes anecdotes de grand’folle célibataire urbaine les changeraient de leur routine.

– Et c’est bien, parce que je sais que je m’attacherai pas. Je le trouve drôle, super beau, mais il est un peu trop ado trentenaire pour moi, que j’affirme.

– Ah, tu sais pas. Peut-être que quelque chose va se développer, philosophe le beauf.

Je me contente de hocher la tête négativement, sachant très bien que de toute façon, je suis à mille séances de thérapie de même songer à peut-être possiblement vouloir me rematcher le coeur. Et gardant pour moi tout commentaire à l’effet que j’estime être la meilleure personne pour reconnaître mon genre de potentiel amoureux, merci.

Mais le beauf revient malheureusement à la charge:

– Moi, je pense que tu devrais continuer à le voir et tu pourrais lui demander, dans trois ou quatre mois: « Est-ce que je suis ta copine?« 

D’une phrase, deux claques dans face. J’ai perdu six mois de mon espérance de vie en cet instant précis. Le beauf est instruit, jeune papa, trentenaire; contemporain, quoi. Mais de sa réplique légendaire, il venait, d’une part, d’esquiver complètement la possibilité que je veuille sincèrement revoir ledit jeune homme en suit d’Adam, sans aspirer secrètement à donner son nom de famille à mes futurs enfants. D’autre part, il avait insinué que mon statut hypothétique de ‘copine’ me serait octroyé par le garçon, et lui seul. Apparence que j’aurais pas mon mot à dire là-dedans. Sous cet angle-là, il serait tout à mon avantage d’apprendre la valse bien vite, sinon je me trouverai pas un bon parti. À moins que mes parents aient déjà prévu des épousailles avec mon petit-cousin de la terre voisine. Il faudrait que je demande.

Outre son discours moyenâgeux sur le caractère facultatif de mon consentement à être en couple, j’ai mijoté plus longuement sur le scepticisme entourant la fille qui a des rapports sexuels conviviaux assumés, sans aspirer à plus. On compare souvent le traitement réservé aux femmes qui ont plusieurs partenaires à celui des hommes: la ‘fille facile’ versus le gars viril, la ‘putain’ contre le mâle qui se mérite un high five. C’est du convenu, c’est du déjà dénoncé, et j’ose croire que ça évolue. Mais la fille que l’on côtoie, que l’on connaît, et que l’on respecte, la croit-on lorsqu’elle a un partenaire sexuel régulier et qu’elle affirme ne pas avoir l’intention de donner une dimension amoureuse à sa relation? La croit-on lorsqu’elle prétend éprouver une attirance purement et exclusivement sexuelle pour quelqu’un? À l’inverse, insinue-t-on systématiquement qu’un garçon qui fréquente une fille en est inconsciemment amoureux?

Une amie m’a confié s’être fait mettre en garde, non pas par un, mais bien deux psychothérapeutes après leur avoir parlé de son amant, un rebound assumé. « Fais attention, parce que les filles, c’est pas pareil. Elles ont tendance à s’attacher. C’est pas comme les garçons » qu’on lui a dit avec de gros yeux, bien inquiet pour elle. Pendant que l’on s’époumone à intégrer le concept ‘d’agentivité sexuelle’, faisant référence à la « prise d’initiative, à la conscience du désir, et au sentiment de confiance et de liberté dans l’expression de sa sexualité » (Marie-Eve Lang, 2011), il semble bien que la simple notion de ‘désir sexuel féminin’ soit perpétuellement mise en doute. Perçoit-on réellement la sexualité humaine selon les théories évolutionnistes en 2014? Si on sait que l’homme produit des spermatos en quantité industrielle et que les femmes naissent avec une quantité prédéterminée d’ovules, il me semble que depuis belle lurette, on a établi qu’on ne baisait pas nécessairement dans le but de se reproduire. Merci de changer de perspective.

Finalement, le mâle qui se sentait pas comme du boyfriend material a fini par ne plus rappeler, sans raison évidente. Il paraîtrait que peu de temps après, il a fait une déclaration d’amour à une collègue de travail en couple. C’est particulier, quand même, venant de quelqu’un qui est censé être doté de l’habileté toute masculine de diviser la tête et le cul.

Image: « Suturer », monotype sur coton, 2012 par Cendres Lavy

4 Comments

  • steph
    13 mars 2014

    C’est sûr que « c’est pas pareil », mais pourquoi exactement? Et comment? Difficile à dire. Souvent, peut-être, parce qu’on croit que c’est pas pareil.
    Je trouve que le beau gosse avait une attitude plutôt saine (il ne veut pas décevoir une dame en ne la rappelant peut-être pas); quant au beauf’, qui veut votre bien, le plus décevant est qu’il ne semble pas se rendre compte de ses pré-supposés. Classique.
    Mais vous étiez-quand même UN PEU en amour avec, non? (*ironie*)

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  • Anaïs
    14 mars 2014

    C’est ironique, parce que bien des recherches sociologiques ont démontré que les hommes sont systématiquement plus romantiques que les femmes (du moins dans les sociétés occidentales). Cela s’expliquerait par le fait que les relations intimes demeurent, de manière générale pour les femmes, une forme d’ascenceur social – on cherche un gars beau et bon amant mais aussi, comme tu dis, un « bon parti », un homme au moins aussi éduqué que nous, au moins aussi riche, au moins aussi cultivé, etc. Les hommes, traditionnellement, *sont* l’ascenceur social – et peuvent se permettre d’avoir un coup de foudre basé entièrement sur l’apparence physique et l’attirance. En d’autres mots, et encore une fois de manière générale et dans un pattern patriarcal, les hommes sont libres de choisir leurs partenaires sans prendre en compte les aspects matériels et les choses terre à terre comme un emploi, une classe sociale. Ils peuvent donc adhérer à des idées plus romantique sur « the one », le coup de foudre, les âmes soeurs, etc.
    Voir les textes d’Eva Illouz à ce sujet, c’est intéressant.

    Peut-être que ton beauf voulait aussi dire que les femmes, quand elles trouvent un bon parti elles ne peuvent pas le laisser passer… C’est pas moyennâgeux, mais c’est 1950s en titi!

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  • Amélie Jolie
    4 avril 2014

    Par expérience, même en étant des amis-charnel, on développe toujours un petit quelque chose et des sentiments pour l’autre, on s’attache sans le vouloir, des deux côtés. Si on se revoit souvent, c’est qu’on s’apprécie. Sa laisse des souvenirs et des traces, c’est quand on arrête de se voir qu’on le réalise.

    Les amants des beaux jours n’y échappent pas. Le plus endurci des misogynes, même s’il est incapable de partager sa vie avec nous, s’il revient c’est qu’il y a une attirance physique certes, mais aussi en rapport à ce qu’on est comme personne. J’ai une fréquentation comme ça depuis 8 ans, on a jamais été en couple. Drôle de relation je sais. Mais oui l’envie sexuelle des femmes est belle et bien présente… mais parfois on se faire prendre à ce jeu et des deux côté.

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  • PB
    31 août 2014

    Vous avez écrit: « Mais oui l’envie sexuelle des femmes est belle et bien présente… mais parfois on se faire prendre à ce jeu et des deux côté. » J’ai envie de vous répondre: « Où est le problème? »

     » (…)l’envie sexuelle des femmes est belle et bien présente… » Je trouve plaisant de le voir reconnu. Ce qui me fait sourire est le souvenir de l’ire des femmes accusant les hommes de les réduire à leur seul corps, à l’objet de leur désir à eux.

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