Théâtre du corps et de l’audace
La pièce féministe Elles XXx était présentée au Théâtre La Chapelle dans le cadre du Zoofest du 29 juillet au 3 août dernier. Retour sur une pièce de théâtre écrite, montée et jouée par deux actrices aux multiples talents qui déchirent la scène avec les mots et les mouvements.
Nous avons d’abord été frappées par la proximité entre le public et les comédiennes. Le spectacle prenait place dans une petite pièce, véritable fenêtre ouverte sur l’intimité de Marie-Pier Labrecque et Mylène Mackay. Nous avons posé un regard voyeur sur deux corps qui dansaient, se dévoilaient et se torturaient sous des répliques assassines.
Elles XXx, produite par la compagnie Bye Bye Princesse, s’ouvre sur un fondu noir, une musique lascive et une lumière rouge impure donnent le ton du spectacle. Marie-Pier Labrecque et Mylène Mackay dansent merveilleusement bien et manient le poteau de main de maitresses! Elles expliquent qu’elles ont voulu faire cette pièce pour parler de LA femme et en profitent pour faire un coming out lesbien, en faisant un clin d’œil à tous les clichés (féministes, féminines, lesbiennes, butch, blondes, gentilles)… associés aux fantasmes masculins! Nous devons avouer avoir éprouvé un certain malaise : nous nous questionnions sur la teneur de la pièce, quel en était le propos féministe? Les artistes mettent la table pour déboulonner tous les préjugés sur les femmes et les féministes. Tout y passe : la pression sociale du maquillage, la division des tâches ménagères, la masturbation féminine, les bagarres de filles, les auditions des actrices vieillissantes qui peuvent être totalement cruelles. En tant qu’anthropologue et sociologue, nous avons eu un énorme malaise lors d’une scène où une burqa faite avec un sac poubelle était le matériel utilisé pour dénoncer le quotidien des femmes musulmanes. Sous de gros rire gras malaisants, cette scène s’est révélée une mise en abime pour parler du harcèlement de rue à Paris. Nous soulignons l’audace des auteures qui ont utilisé cet objet sacré, qu’est la burqa, pour dénoncer l’oppression de toutes les femmes, et pas seulement de celles qui le portent.
Après la conscientisation sur les enjeux féministes, les comédiennes font place à la colère. Elles se révoltent contre la mommyrexie, America’s Next Top Model (et le plaisir coupable que cette émission représente), la décision d’IKEA d’enlever les femmes de ses catalogues en Arabie Saoudite, les disparitions et assassinats des femmes autochtones, les mariages forcés – à l’étranger comme au Canada, et les conneries que nous entendons à propos du syndrome prémenstruel. La colère ouvre la porte à un féminisme assumé par les comédiennes. Elles appellent à la solidarité féminine, en mettant en scène leurs propres rivalités d’actrices pour illustrer la violence des relations entre femmes. Elles abordent la haine du regard que les femmes portent sur leurs corps et sur celui des autres.
Nous avons apprécié les numéros de stand up comic où trônent les blagues sexistes envers les femmes sous une pluie de rires en canne. Les blagues sont froides, tranchantes et machinales. Soudainement, les rires arrêtent lorsque les blagues visent les hommes, le ton change, ce sont des douces blagues, peu violentes. L’habileté de l’écriture nous permet de saisir les contrastes face à l’image stéréotypée des femmes et des hommes dans l’humour populaire.
Les comédiennes prennent position contre l’obsession de la jeunesse chez les actrices à la télé, soulignent le sexisme de la grammaire française et dénoncent les positions politiques du gouvernement Harper sur l’avortement. Chaque scène est espacée de parodies de publicités sexistes. Elles abordent également l’incapacité de jouir de certaines femmes, et donnent un cours sur l’art du cunnilingus et offrent quelques trucs pour bien performer, une – très courte – branlette.
Cette pièce féministe est touchante et bien jouée; c’est un feu roulant ponctué de malaises utiles où plusieurs clichés sont mobilisés pour mettre en scène le quotidien des femmes d’ici et d’ailleurs. Malheureusement, leur prise de position féministe n’est pas à la hauteur de leur performance artistique. D’un côté, cette pièce s’adresse à un public peu initié au féminisme, il est donc de bon ton de jouer dans les terrains connus du féminisme libéral et d’éviter les terrains minés (comme par exemple la déchirante question travail du sexe/prostitution). D’un autre côté, Elles XXx est un spectacle osé, mais pas (assez) subversif. En tant que féministes convaincues, nous en aurions pris plus. Beaucoup plus. Par exemple, nous aurions aimé voir des propositions de déconstruction des préjugés, de possibles réponses à faire au harcèlement de rue, voire même des pistes d’actions féministes. Mylène Labrecque et Marie-Pier Mackay jouent avec brio et ont su exposer l’angoisse éprouvée face aux regards des autres sur soi – c’est là que la proximité du public prend tout son sens, on sent qu’on leur fait mal. Il était fort agréable de voir deux actrices, deux femmes, deux féministes admettre leurs paradoxes, leurs malaises et leur colère contre les assholes. Nous recommandons cette pièce, mais sachez qu’elle s’adresse à un public large, les féministes convaincues resteront peut-être sur leur faim.
Geneviève Gariépy
Caroline Roy-Blais
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