Féminisme muselé sur les réseaux sociaux: retour sur les discussions #FIA

Dans la dernière semaine, je me suis retrouvée Générale de l’«Armée des méchantes féministes frustrées du Web». Vecteur d’une «tempête dans un verre d’eau», je suis devenue fautive de mettre beaucoup trop d’énergie sur une cause qui, selon certains, n’en vaut vraiment pas la peine. On a même suggéré que, si j’avais du temps pour ça, ça voulait dire que «le monde se porte maintenant à merveille, que la population autochtone n’a plus besoin de support, que nous avons enfin atteint l’égalité des sexes partout autour de la planète, qu’il n’y a plus d’analphabètes, que la couche d’ozone est réparée, que le réchauffement climatique est résolu, que le capitalisme sauvage n’est plus qu’un mauvais souvenir et que tout va crissement bien». Et ça c’est seulement un des commentaires que j’ai reçu, qui illustre assez bien le muselage dont je veux parler ici. Je tiens par conséquent à exprimer mon malaise face à des reproches injustifiés à l’égard de mon comportement… tout en précisant que j’aurais eu toutes les raisons et surtout le droit, de réagir davantage à cette situation. J’aurais aussi été en droit de m’attendre à obtenir l’écoute de mes interlocuteurs privilégiés au sujet d’une situation dont ils ne vivent pas les effets. Un citoyen indigné qui s’exprime publiquement avec respect ne devrait pas avoir à justifier sa prise de parole, dans une société qui se veut démocratique.

Parce que j’ai osé critiquer, avec Marie-Christine Lemieux, Marilyse Hamelin, Judith Lussier et bien d’autres, un «festival de l’Internet» qui n’avait aucune fille dans sa programmation;

Parce que j’ai critiqué le fait que les organisateurs ont refusé de se préoccuper de la situation après moult critiques, j’aurais causé une tempête dans un verre d’eau;

Parce que, dans un statut Facebook et dans une discussion Twitter sur le sujet, j’en ai simplement parlé, j’aurais provoqué une tempête dans un verre d’eau… Comme l’illustre ce fabuleux mème que je reçois en commentaire dès que j’ouvre la bouche (ou le clavier) sur le sujet désormais… 

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Donc, dans leur tentative pour me faire taire, mes détracteurs usent de deux procédés:

  1. Me dire que je fais une tempête dans un verre d’eau, ou

  2. Me dire que y’a d’autres causes vraiment plus importantes pis que «C’MON VA T’EN OCCUPER À PLACE!»

À tous, je répondrai ceci : Qui est-on pour discréditer les opinions, les discours ou les enjeux d’une cause, en tentant de ramener ça à des enjeux tout autres?! C’est quoi le rapport de mettre une cause en opposition avec une autre?! Peux-on laisser des personnes touchées, juger pour elles-mêmes de ce qu’elles considèrent important ou pas ? Le Web, c’est ce dans quoi je travaille et, une femme, c’est ce que je suis. Alors donner de l’attention à un festival qui s’appelle «festival de l’internet» parce qu’il n’y a pas de femmes dans la programmation, je ne trouve pas que c’est futile. En tout cas, ça vaut au moins UNE publication sur mon Facebook sans être taxée de faire «une tempête dans un verre d’eau!».

Depuis une semaine, sur mon mur Facebook, je n’ai fait qu’une seule publication sur le sujet pour souligner l’excellent billet de Toula Drimonis (qui, cela dit, est plutôt pacificateur dans le contexte, allez le lire!). Pourtant, encore ce matin, quelqu’un d’important pour moi, me demandait de « slacker sur le sujet » et d’arrêter… o.0 On va mettre les affaires au clair une fois pour toute là. Mon but n’est ni de m’acharner, ni de dénoncer des individus en les désignant comme étant sexistes. Parce que non, je ne crois pas qu’ils le soient, «sexistes», les organisateurs de ce festival. Je sais, par contre, qu’il nous arrive à tous de poser un geste sexiste, qu’on se réclame du féminisme ou pas. Sans le vouloir d’ailleurs. C’est souvent le cas des membres de «boysclub» (ceux-ci peuvent être constitués de femmes et d’hommes) qui, instaurent, sans s’en rendre compte, une culture, une ambiance sociale aux effets sexistes. (Comme par exemple, de ne pas mettre les efforts nécessaires pour qu’un festival ait aussi des filles dans sa programmation et de considérer comme hystériques ou folles celles qui leur en font la critique). Dans le cas des personnes privilégiées, qui ne vivent jamais d’enjeux du fait de leur sexe, couleur de peau, leur orientation ou identité sexuelle, ça peut passer davantage inaperçu, peut-être (qu’en sais-je?). Mais justement, ce «qu’en-sais-je?» ici est extrêmement important. Quand on ne le vit pas, on ne le sait pas de la même manière que ceux qui le vivent. Nous devons prendre en considération le fait que notre privilège de ne pas être directement affecté.e.s, peut avoir un effet de biais. Je suggère à tous, la lecture de ce billet sur le sujet, d’ailleurs :

http://alittlemoresauce.wordpress.com/2014/08/20/what-my-bike-has-taught-me-about-white-privilege/

Je n’ai pas l’intention de revenir sur les événements, ni d’alimenter ceux qui continuent de m’insulter ou de me considérer hystérique, divisante ou je ne sais quelles caractéristiques qui semblent être accolées si facilement à celles qui osent critiquer un truc en lien avec le féminisme. L’organisateur principal du festival, dans un commentaire Facebook, a fini par admettre, en quelque sorte, qu’ils auraient peut-être dû prendre la chose en considération. «Si je n’ai pas beaucoup participé aux échanges quant à la critique à l’égard de l’absence de filles dans la prog, c’est pour la simple raison que j’avais l’impression que, peu importe ce que j’allais avancer, on y verrait une intentionvilaine dans mes propos. J’ai donc préféré faire confiance au web en me disant qu’à un moment ou l’autre, les personnes concernées me pardonneraient cette maladresse et que mes actions futures auraient beaucoup plus de sens que quelques justifications prudentes. Maintenant, je regrette une chose, c’est d’avoir abandonné l’idée d’une table ronde au FIA parce qu’à la lumière de ce thread, et tout ça mélangé à la sauce pleine d’amitié du FIA, on aurait eu certainement droit à une discussion fort intéressante et plus constructive», a-t-il dit. Je le prends au mot pour l’année prochaine et, m’en inspirant, j’ai décidé d’en faire quelque chose de constructif. J’organise en ce moment avec Élodie Gagnon, un événement sur les femmes et les médias, qui, si tout va bien, aura lieu en mars prochain.

J’ai constaté, amèrement dois-je admettre, qu’il y avait matière à réfléchir et à creuser sur ce sujet.

J’ai vécu dernièrement un «fail» du genre au sujet des Première nations, même s’il s’agit d’une cause que je défends avec beaucoup d’ardeur. J’ai fait un commentaire qui me semblait tout à fait positif, mais qui pourtant a été perçu comme très blessant et raciste de la part d’amis autochtones. J’ai pris leur malaise au sérieux, parce que je n’ai aucune idée de ce que peut représenter la chose. J’ai retiré mon commentaire, me suis excusée et en bonus, j’ai renforcé des liens d’amitié et j’ai eu des suggestions de lectures qui sont très intéressantes. J’aurais apprécié le même genre d’écoute et d’ouverture devant la critique que nous avons faite de la programmation masculine du FIA. C’est une critique qui se voulait constructive et elle a été formulée de façon respectueuse. Vous pouvez toujours aller lire la litanies de billets qui se sont échangés si vous voulez suivre un peu ce qui s’est passé exactement dans ce cas., mais je pense que le dialogue n’avance plus sur le web (a-t-il déjà eu dialogue?) et que d’y revenir ne ferait que contribuer à radicaliser les camps ou accentuer l’effet de muselage dont je parle ici. Bien que cette situation me semble très révélatrice d’un malaise concernant la question féministe dans son ensemble, l’enjeu qui m’importe ici est celui de la place des femmes dans le web. Je préfère par conséquent éviter d’en détourner davantage l’attention.

Je vous invite donc (plutôt que de nous dire d’aller s’occuper de paix dans le monde en dessous de ce billet) à proposer vos idées pour l’événement qui sera organisé qui, je l’espère, nous permettra toutes et tous d’avancer là-dessus collectivement.

Nellie Brière

4 Comments

  • Michelle Monette
    8 septembre 2014

    Je vous trouve très digne face à toute cette hostilité. Sur le fond, vous raison. Les mentalités, les attitudes et les comportements sont loin d’avoir changé quand on voit à quel point on feint de trouver banal un tel oubli. Merci pour les liens aussi. J’ai vraiment aimé la perspective que nous donne la lecture du billet de Toula Drimonis.

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  • Nellie
    8 septembre 2014
  • Isabelle
    8 septembre 2014

    À chaque fois que je constate les réactions négatives de personnes que je considère intelligentes à des critiques justifiées comme la tienne, je me rends compte à quel point le féminisme est encore nécessaire à tous les niveaux. Merci pour cette prise de position claire et respectueuse.

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  • Julie
    9 septembre 2014

    Ce festival a eu lieu à Montréal?
    Je suis surprise de ne pas en avoir entendu parler nulle part… Soit c’était très mineur ou le travail de publicité a été très mal fait!

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