Témoignage – Un requiem de mots pour du silence.

“Celui qui n’a rien comme moi, comme plusieurs
marche depuis sa naissance, marche à l’errance.
Avec tout ce qui déraille et tout ce qui déboussole
dans son vague cerveau, que l’agression embrume.” – 
Gaston Miron

Trop de jours, à regarder mon crayon qui plane au-dessus de cette feuille blanche. Trop de larmes à essuyer, trop de rage à encaisser.

Gomeshi. Jutra.
Aubut. Cloutier.
Un maire au nord, par-ci, par-là.
Des policiers, ici et là.
Un collègue de travail, ton patron.
Des coachs de ski.
Ailleurs, on a Cosby, Allen ou Polanski.
Un gérant de chanteuse pop.
Des chanteurs tout court, itou. D’une autre décennie, vous me direz. C’est ok, oui. Mais ça devrait quand même pas arriver?
L’Armée pis nos universités.
Aussi.

J’en ai marre, de cette même cassette.
De votre rectitude qui clame l’amitié, la stratégie politique et la moral par des « oui, mais… »
D’élever des gens sur un podium au nom de l’art, d’un statut et/ou de la mémoire.

À vomir.
Une culture qui fait vomir.
La présomption d’innocence, que vous me direz.
Bin moi, pis mes années de silence, on vous répond :  la présomption de vérité, okay? Le droit d’être cru, est-ce qu’on peut s’en jaser?
Dans le blanc des yeux, pis de tout le monde, enwaille ça presse.

C’est assez.
Assez, de voir [devoir] attendre une pluie de témoignages foudroyants de détails pour votre spectacle, dénonçant l’agresseur.
Afin de voir vos clapets se fermer – ou d’être ouverts enfin pour une bonne raison : la bouche bée.

Phénomène de cette culture malade.
Une culture qui me rend malade.
Une culture dont vous, vous là, vous la manger autour d’la table, pour souper à Noël ou au brunch pour Pâques. Une culture qui fait aussi souper/bruncher du monde tout seul, pendant que d’autres se complaisent, la tête dans le sable… Dans le cul du lion, j’veux dire. Parce que vous êtes carrément assis à côté de l’agresseur, non? C’est-tu pas beau?

Je réclame aujourd’hui le silence. 
En fait, j’exige plutôt d’entre entendue, d’être écoutée.
C’est ce que chaque personne devrait minimalement obtenir lorsqu’elle dévoile son vécu, sa douleur d’avoir été agressée sexuellement. Et présentement, ce que les Lise Payette de ce monde font, à grande échelle, avec leur 2 cennes cheapcheap, bin c’est c’qui passe dans la ô-que-très-grande-majorité des familles incestueuses : on excuse l’agresseur(e), on “oui, mais…”, on tente d’expliquer et de comprendre maladroitement trop de choses pis on passe à coté de l’essentiel : ÉCOUTER POUR MIEUX SE TAIRE.

Écouter pour mieux écouter.
Écouter pour laisser la place à l’autre, qui a besoin de parler, de se confier, de crier.
Écouter l’enfant, la victime, l’adulte.
Écouter pour mieux s’excuser, de ne pas avoir écouter.
S’excuser, pour dire “je te crois”.
S’excuser, pour dire “je suis là, pour toi. Pis cette année, il ne sera pas là à Noël. Mais toi, oui, ok?”
S’excuser pour sortir du déni, pour parler des vraies affaires : des agressions sexuelles.

Et là, on s’indigne d’une statue beurrée d’peinture rouge.
La même chose est arrivée, l’an dernier, pendant #AgressionNonDénoncée. Mais avec des p’tits collants, sur une porte à l’UQAM. La grosse affaire, oui.
La même chose arrive, dans l’entourage de trop de victimes.
La même chose arrive, encore aujourd’hui, dans ma famille.
Pis quand j’étais petite, on me disait même que j’étais menteuse, que je voulais de l’attention. On me disait d’arrêter de peinturer le monument de ma famille, pis de n’pas mettre de collants sur la porte de sa chambre.
À 31 ans et demi, je continue d’apprendre les secrets familiaux, qui me prouvent que non, je n’avais menti à personne.
Car bin oui, un moment donné, tu grandis en croyant très fort que tu n’étais qu’inepties, mensonges et fabulations. Oui, tu doutes de toi.
Encore aujourd’hui, je me sens impuissante devant tant de révélations sur mon passé, des souvenirs flous qui deviennent limpides, qui me font me demander : à quel point on peut être humain, à confiner des gens dans le silence, aussi fermement.
C’est si petit et ça veut vivre grand.
C’est fort en maudit, le déni.

Le déni, c’t’un peu tristement ça des fois… Un(e) Denis(e) avec des bas dans ses gougounes, siphonnant sa Coors tablette assis à côté de son barbeq’, se tenant le coff’e pendant qu’il(elle) rit grâssement d’une joke de « c’t’une blonde pis c’t’un newfie… », raconté par le cousin qui a touché sa fille, v’là quelques années.

Crédit: Valiumium Valérie n'a pas le câble (https://www.facebook.com/ValiumiumValiumVal/photos/pb.191300801023648.-2207520000.1456518823./562381780582213/?type=3&theater)

Crédit: Valiumium Valérie n’a pas le câble (https://www.facebook.com/ValiumiumValiumVal/photos/pb.191300801023648.-2207520000.1456518823./562381780582213/?type=3&theater)

Le déni, c’est fort, pis ça fait parler les gens mal à l’aise.
Le déni, c’est toute ma famille qui fait comme si ça n‘avait jamais existé, l’inceste, au sein de notre sang.
Le déni, c’est ce qui cultive des années de silence pour l’enfant qui côtoie un(e) pédophile.
Le déni, ça fait souper ton agresseur(e) à’ table pour les Fêtes.
Le déni collectif, ça fait pas des enfants forts. Ça fait des enfants qui survivent au pire.

Vos réactions cultivent les germes d’un violent silence, celui qui fait des prisons aux mauvaises personnes.
Vous ne dénoncez pas le bon crime, gang.
Et la peinture rouillée, qui s’écaille sur les cœurs d’enfances volées?
J’vous annonce que c’est l’heure de déchirer vos chemises, les pendules ont sonnés.

Apprenons-nous l’art du silence, pour mieux grandir, en tant que société.

Apprenons-nous l’art d’écouter, pour mieux se parler.

Changer la honte de camp? On peut juste faire ça ensemble. Redonnons un peu de lumière à l’enfance.
Renaitre d’une petite mort, ça se construit quand on nous croit… Et quand on nous croit, on se donne enfin le droit d’être indestructible.

Tanya.

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