Rencontre d’autrice : Geneviève Morin publie Gâteaux glacés
Bien qu’elle ait écrit son recueil avant de connaître le mouvement de la Radical Softness*, Geneviève est enthousiaste quand on lui dit que son livre nous a fait penser à ce mouvement, avec son côté gâteau, un peu pop, résolument féminin et cette narratrice qui prend le pouvoir sur sa sexualité, sa parole, ses rêves. Résumé d’une rencontre avec l’autrice de poésie autour de son recueil Gâteaux glacés.
Geneviève, au fil de ses poèmes, raconte l’histoire d’une femme qui s’ennuie et qui s’évade dans ses rêves et ses désirs. Le sucré léger du fantasme côtoie le monde extérieur hostile et la solitude. Partageant exclusivement le point de vue de la narratrice sur son vécu intérieur, autant au sens de «dans ses tripes» que de «dans sa maison»*, peut-on affirmer dès lors qu’il s’agit d’une œuvre strictement intimiste, d’une vraie «œuvre de femme» ?
Voilà comment faire monter, avec raison, une autrice féministe sur ses grands chevaux ! Geneviève trouve hypocrite qu’on qualifie la littérature des femmes d’intimiste et celle des hommes d’universelle. Pourquoi quand De Musset écrit sur l’amour cela parlerait au monde, alors qu’une George Sand ne s’adresserait qu’à elle-même ?
Pour la coach d’écriture, il n’y a que deux types d’écriture, et elles n’ont rien à voir avec la dichotomie femme-homme. Il s’agit de l’écriture sincère et de la non-sincère, la première étant à préconiser car elle demande et témoigne de l’engagement.
«Plus on s’engage, plus on devient universel. Plus on est personnel, plus on est universel, l’Histoire l’a prouvé», dit-elle.
Elle ajoute d’ailleurs :
«En sortant de l’université, j’ai publié en revues littéraires des textes auxquels ma famille et mes amis ne comprenaient rien. J’étais obsédée par la forme. Je copiais des modèles que je croyais intellectuels et raffinés. Puis, face à l’incompréhension de ma famille et de mes amis, ça m’a sauté aux yeux : je ne comprenais pas moi-même ce que je faisais, de quoi je parlais. J’ai décidé de revenir à moi.»
Et le «moi», était-il féministe ?
C’est en lisant Colette, Margaret Atwood, Marie Uguay et Carson McCullers que Geneviève a pris conscience qu’elle était féministe. Comme si ces femmes l’avaient révélée à elle-même, lui avaient fait comprendre que ce qu’elle vivait et ressentait avec un nom, une lutte : le féminisme. Peut-être est-ce bien de là que lui vient son engagement profond à militer à travers l’art et les écrits.
Geneviève croit en la nécessité que les artistes s’engagent dans la fiction pour lutter et montrer au social ses travers. Elle perçoit les artistes comme des canaris dans la mine de la société : plus sensibles à l’air ambiant, ils sont là pour avertir, au coût de leur vie s’il le faut, quand le monde devient dangereux.
Bien qu’elle ait participé à la Marche du Pain et des roses, et à d’autres manifestations, elle croit en la nécessité de s’engager sur le long terme, ce qui passe pour elle par l’écriture : ne dit-on pas que les paroles s’envolent, mais que les écrits restent ? Peut-être qu’en étant dans une bibliothèque son livre pourra inspirer et réconforter plus d’une femme et plus d’une génération. Car, pour l’autrice, les combats ne se gagneront pas rapidement. La société, c’est comme un gros bateau ; si on espère pouvoir le faire tourner rapidement, lui faire changer de direction d’un coup de pancarte, on se trompe… et on s’épuise.
Une dernière déclaration ?
Si elle s’oppose aux termes «littérature de femmes» vs «littérature universelle», Geneviève souligne quand même qu’il existe une différence entre les hommes et les femmes en littérature. Mais elle ne se trouve pas dans le propos ou son éventuelle portée, elle se trouve dans les ressources matérielles sont bénéficient l’auteur en comparaison avec l’autrice. Tant que les femmes gagneront moins que les hommes à travail égal, tant qu’elles effectueront plus de tâches ménagères et qu’elles porteront la plus grande responsabilité des enfants, il leur sera plus ardu d’écrire. Parce qu’elles doivent investir plus de temps qu’eux au travail pour pouvoir se payer un loyer, de la nourriture, etc. Parce qu’en plus de ce plus grand temps passé au boulot pour combler leurs besoins, elles ont moins de temps dit «de loisir» ou «de repos» à se consacrer à elles-mêmes et à l’écriture.
Elle dénonce également le fait que les femmes gagnent moins de prix littéraires et qu’elles sont moins mises de l’avant par les critiques (voir tous les maillons de la chaîne de l’économie du livre, avons nous envie de dire).
Chez Je suis féministe, on trouve que Geneviève a bien raison et on vous invite à briser la chaîne en choisissant de lire des autrices et de parler de leurs œuvres autour de vous. Si l’envie vous prend de commencer par le délicieux Gâteaux glacés, il est disponible dès maintenant dans votre librairie indépendante préférée. On en profite également pour vous mentionner que Geneviève est membre du Collectif RAMEN, de bels genses qui anime la ville de Québec de leur poésie. À découvrir sur Facebook, sur Twitter et sur le web!
Et parce qu’elle nous a nommé tellement d’autrices intéressantes qui l’ont influencée ou lui ont fait plaisir à lire, on a décidé de vous faire une petite liste de suggestions signée Geneviève Morin :
- Sylvia Plath («Je viens de découvrir qu’elle a littéralement inspirée toutes les femmes que j’aime lire», confie Geneviève)
- Margaret Atwood
- Suzanne Jacob
- Brigitte Fontaine (les textes en prose)
- Julie Doucet (les BD Dirty Plotte)
- Sylvie Laliberté (le livre illustré Je suis fantastique, mais ça ne dure jamais bien longtemps)
- Vickie Gendreau
- Nelly Arcand
- Tout chez les maisons d’édition de l’Écrou et les Filles Missiles
- Et pourquoi pas vous gâter les oreilles avec les chansons d’Yvette Théraulaz ?
*Pour en apprendre davantage sur la Radical Softness : http://artichautmag.com/radical-softness/
* Les occasions où la narratrice se trouvent dans l’espace public se comptent sur les doigts