Sexisme next level
J’aime les jeux vidéo. Il m’arrive parfois (souvent) de passer mes samedis soirs devant mon écran d’ordinateur, avec un sac de chips BBQ, prête à aller en guerre.
Le problème c’est que je ne suis pas un gamer, je suis une gameuse. Il y a toujours un moment de confusion quand je parle pour la première fois, avec ma voix bien trop aiguë, dans mon micro-casque pour dire à mes coéquipiers que si on ne gagne pas j’abandonne la vie. Les gens restent confus par rapport à mon identité : «T’es-tu une fille ou un petit gars de 12 ans, c’est pas clair?» Une fois l’ambiguïté résolue, je sens déjà qu’il y a un malaise. Les gars vont essayer de bien paraître, ils vont se demander si je joue bien, ils vont me faire des commentaires sexistes subtilement. Et même si ce genre de comportement ne survient pas, je me sens comme ça. Parce qu’on m’a conditionné à me sentir comme ça dans le monde des jeux vidéo. On m’a rapidement fait comprendre que je n’avais pas ma place. Je ne veux même pas commencer à parler de la représentation des personnages féminins parce que c’est une discussion sans fin. OK, juste un petit commentaire. On dirait que la seule façon d’avoir un personnage féminin comme protagoniste c’est si elle s’appelle Lara Croft pis si elle a des grosses boules. Allez googler ‘‘female characters in video games’’. Allez-y, je vous attends. Vous avez vu? Je ne mens pas. Il n’y a aucune diversité au niveau du physique. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de belles exceptions dans le milieu. Je dis que les gens commencent tranquillement pas vite à se réveiller. Mais pas assez vite. Pas assez vite considérant que les femmes dans la communauté des gamers se font harceler, intimider et humilier. Pas assez vite considérant que lorsqu’on parle d’un jeu vidéo pour fille, on associe cela à comment bien faire la vaisselle. Allez googler ‘‘video games for girls‘‘. Je vous attends. Parce que nous, les filles, on aime seulement les jeux où l’on nous apprend à bien réaliser notre chorégraphie de Zumba.
Mais j’aimerais quand même saluer le jeu qui a gagné Game of the Year à The Game Award 2016 : Overwatch. Pas obligé de vous expliquer le jeu de A à Z. Tu choisis ton personnage. Tu tires sur d’autres personnages. Tu gagnes ou tu perds. La mascotte du jeu est même un personnage féminin appartenant à la communauté LGBTQ. Les producteurs nous font découvrir de nouveaux personnages avec de nouveaux talents régulièrement et le plus récent est une fille. Si les concepteurs ont compris que les choses devaient changer, il reste du travail à faire au niveau du public. À peine l’annonce du nouveau personnage fait, les gamers capotent. Une autre fille? Encore?
Mais qu’est-ce que vous faites de tous ces jeux vidéos où on a rendu la femme invisible? Donc, en tant que gameuse, je n’ai pas le droit d’exister et je n’ai pas le droit de chialer non plus? Le pire là-dedans c’est que le nouveau personnage n’est même pas humain. C’est une robot. Quadrupède. Avec des cornes. Autrement dit, c’est rendu que les gamers sont intimidés par n’importe quelle représentation du genre féminin. Ça, c’est du sexisme next level (checkez mon petit jeu de mots geek).
Par contre, là où Overwatch réussit, il échoue également. Ce n’est pas toujours évident, mais si on prend deux minutes pour observer, on réalise rapidement que la diversité est plus grande chez les personnages masculins. Pour les personnages féminins, il doit toujours avoir le même fil conducteur : elles doivent être belles.
Il y a de très beaux personnages féminins dans le monde des jeux vidéo. Mais ces mêmes personnages n’existeraient pas si elles n’étaient pas belles (je reste polie ici). Pourquoi un guerrier est-il musclé? Pourquoi porte-t-il cinq couches d’armures? Alors qu’une guerrière ne pèse pas 100 livres mouillée et porte seulement un genre de bikini fait en pierres qui n’a même pas l’air confortable? Pourquoi un guerrier crie-t-il et inspire-t-il le courage? Pourquoi une guerrière crie-t-elle comme si elle était dans un film porno?
Je suis épuisée de devoir me justifier par rapport à l’inconfort que je ressens face à cette problématique. Oui, il y a des exceptions. Oui, il y a des stéréotypes dégradants chez les personnages masculins aussi. Oui, oui, oui. Et alors? Un problème n’en règle pas un autre. Je n’ai jamais demandé à ce que les personnages masculins soient aussi caricaturés que les personnages féminins. La bataille n’est pas là. J’ai demandé à ce qu’un personnage féminin intéressant et complexe puisse exister sans devoir répondre à des critères sexistes.
Le travail doit être fait au niveau des producteurs ET des joueurs.
Une semaine plus tôt, en jouant à Overwatch, mon équipe me supplie de jouer un personnage qui peut les guérir, communément appelé healer dans le jargon des gamers. J’accepte. Et eux de me rétorquer : «T’es le healer parce que t’es une fille.» Pardon? Je vous fais plaisir et je me fais remercier en me rappelant que mon identité de genre me coince dans des rôles que je n’ai jamais voulus? Ou pire encore, parce que j’apprécie un rôle que la société a construit pour moi, je participe aux stéréotypes et je n’ai pas le droit d’apporter de nuances? Deux choix s’offrent à moi. Me taire ou poliment leur faire comprendre que ce genre de commentaire est déplacé. Évidemment, je choisis le deuxième. Pas parce que ça me tente. Mais parce que je dois le faire. Pensez-vous vraiment que les gameuses ont envie de s’obstiner? Qu’on a envie de devenir politique alors qu’on avait juste envie de péter des gueules dans notre jeu toute la soirée? Non, on n’a pas envie. Mais le devoir l’oblige quand on veut que les choses changent. J’exprime poliment mon inconfort et, boom, c’est la guerre. «Bon, une autre frustrée. Pourquoi t’es pas capable de rire à une blague sur ton genre?»
Sérieusement? Pourquoi rirais-je d’une blague qui limite mes capacités? Pourquoi rirais-je d’une culture sexiste dans la communauté des gamers qui perdure à cause de ce genre de blagues là dite inoffensive? Ça ne fait aucun sens. Dans quel monde virtuel m’obligez-vous à vivre?
Plusieurs gamers, qui ont malgré tout de bonnes intentions, vont me dire de ne pas m’en faire avec ça. Que tu sois une femme, un homme, une chèvre, un cave ça reste un cave et ça trouve n’importe quel prétexte pour te rabaisser dans un jeu. Malheureusement, mon genre ne devrait jamais venir gâcher mon expérience avec les jeux vidéo. Parce que mon genre affecte toutes les sphères de ma vie. Ça affecte toutes les sphères de la vie de toutes les femmes et cela depuis une éternité. Elle est là, la différence. Elle est là, la nuance entre le fait de se faire harceler parce que t’as mal joué ou bien te faire harceler parce que t’es une femme. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi c’est si compliqué à comprendre.
Elsa
Excellent article!
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Isabelle Marazzani
Merci!
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2describe
1chemistry
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Cara
Je suis tombée sur cet article par hasard en faisait une recherche Google Google je suis restée scotchée : magnifiquement bien écrit et tout est très juste. Comme quoi, rien n’est encore gagné…
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