Pourquoi je ne m’épile plus

Ce texte a d’abord été publié sur le blogue de l’autrice.

J’ai commencé à détester mes poils en cinquième année de l’école primaire. Je me souviens clairement de ce jour où une camarade de classe m’a regardée d’un air dégouté en disant « T’es dont bien poilue ! ». Soudainement, une partie de moi est devenue laide et indésirable. J’ai interprété ce commentaire en me disant que ce n’était pas normal d’avoir beaucoup de poils. En me comparant aux femmes de mon entourage, j’ai réalisé qu’elles n’en avaient ni sur les jambes ni sous les bras. Ces poils noirs sur ma peau claire n’avaient plus leur place. Pour que les autres me trouvent jolie, je devais les enlever.

L’été de mes 11 ans, ma mère a accepté de me prendre un rendez-vous chez l’esthéticienne. Autour de moi, on racontait que l’épilation à la cire était bien mieux que le rasage. On racontait qu’à force d’arracher les poils, ils en pousseraient moins. On racontait que ça ne faisait pas si mal que ça… J’y suis allée en me disant que je faisais un premier pas dans le monde des femmes, dans un monde où il fallait faire des efforts, voire des sacrifices, pour être belle et désirable aux yeux des autres. Je pensais faire le choix de m’épiler, alors que j’ai plutôt cédé à la pression venue de mes camarades de classe et des femmes autour de moi de me conformer aux standards de beauté.

Mais, voilà. Les poils, ils repoussent toujours ! À chaque fois, je me trouvais moche, laide et non présentable. Je cachais mes jambes le temps que les poils soient assez longs pour être arrachés de nouveau. Je grattais les poils incarnés (ceux qui restent pris sous la peau) pour qu’ils puissent être arrachés aussi. Je me blessais, légèrement, mais constamment.

Malgré la douleur et les inconforts, malgré le temps et l’argent, j’ai continué de m’épiler. J’ai aussi utilisé les rasoirs, mais ce n’était pas mieux. Mes (très) nombreux poils noirs étaient toujours apparents, même fraichement rasés. Mes jambes se desséchaient. Je me souviens d’avoir acheté une crème hydratante qui devait retarder la repousse des poils… Quand j’ai demandé à la blague à une esthéticienne pourquoi les poils existaient, elle m’a répondu que, sans les poils, elle ne travaillerait pas ! Pour ce qui est des aisselles, je vivais tellement d’inconforts à les raser et les épiler que j’ai dépensé des centaines de dollars dans des séances d’électrolyse. Clairement, après ces multiples séances, j’ai réalisé que cette industrie qu’est devenue la beauté a intérêt à nous faire croire que les poils sont indésirables.

Puis, je suis devenue maman. Et quand ma fille m’a demandé ce que je faisais dans la salle de bain, je me suis sentie mal à l’aise de lui répondre que je m’arrachais les poils. « Pourquoi tu fais ça, maman ? » J’ai répondu d’un ton plutôt léger que je trouvais mes jambes plus douces comme ça parce que je ne voulais pas lui dire que je détestais une partie de mon corps. Toutefois, grâce au regard interrogateur et empathique de ma fille, j’ai réussi à prendre du recul face à l’épilation. Contrairement à cette camarade de cinquième année qui s’était permis de juger mon apparence, ma fille voulait simplement comprendre pourquoi j’agissais ainsi. Pour elle, j’ai mis de côté les messages véhiculés par la publicité et la pression sociale qui en découle et j’ai réfléchi sérieusement à sa question.

Pourquoi je m’épilais ?

  1. Parce que j’avais intégré que c’était la norme : quand les femmes montrent leurs jambes, elles sont glabres, c’est-à-dire sans poil.
  2. Parce que je pensais que c’était une façon visible et normale de prendre soin de mon corps.
  3. Parce que je voulais que mon amoureux me trouve désirable.
  4. Parce que je voulais que le regard des autres sur mon corps soit positif.
  5. Parce que je pensais que les poils sont laids et ne servent à rien d’autre qu’à me faire rager !

Et maintenant, pourquoi je ne m’épile plus ?

  1. Parce que les femmes ont des poils !
  2. Parce que je prends effectivement soin de mon corps en ne lui faisant pas subir des douleurs inutiles.
  3. Parce que mon amoureux me trouve désirable avec mes poils. En fait, ce qu’il aime, c’est que je sois épanouie, heureuse et en paix avec moi-même.
  4. Parce que je n’ai (presque plus) rien à faire du regard des autres sur mon corps.
  5. Parce que c’est incohérent de trouver que les poils sur les jambes d’un homme sont acceptables alors que ceux sur les jambes d’une femme sont laids. Ce sont des poils. Point. Et ces poils ont des fonctions : préserver l’hydratation de la peau, rafraichir le corps, participer au sens du toucher, etc.

Je n’ai pas changé ma façon de percevoir mon corps du jour au lendemain. J’ai un amoureux extraordinaire qui m’a énormément soutenue dans ce processus. Il m’a dit ce que j’aurais aimé entendre à 11 ans, avant de commencer à m’épiler, que je pouvais être fière de mon corps et que je n’avais pas à l’épiler pour les autres. Je me sens privilégiée d’avoir un partenaire de vie aussi respectueux et ouvert d’esprit.

J’ai encore de la difficulté à les trouver beaux, mes poils. Je suis capable de sortir en short sans me sentir trop gênée, mais pour ce qui est des jupes et des robes, j’ai un blocage. Des questions demeurent en suspens. Comment se fait-il que nous en soyons rendues à considérer que les poils sont laids ? Comment se fait-il que les poils féminins ne soient pas plus présents dans les arts et la culture populaire? Finalement, j’espère qu’un jour les femmes sentiront qu’elles ont vraiment le choix de faire ce qu’elles veulent avec leurs poils. Pour y arriver, avant de passer un commentaire sur la pilosité de la personne à côté de vous, je vous invite à prendre quelques secondes pour vous rappeler que l’apparence des autres ne vous regarde pas. Pour ma part, avant d’acheter un rasoir à ma fille ou de lui prendre un rendez-vous chez l’esthéticienne, je vais lui demander : « Pourquoi veux-tu t’épiler ? » et je l’accompagnerai dans son choix du mieux que je peux.

 

Post a Comment