Comment poser nue m’a aidée à penser le sexe

J’ai toujours été écartelée entre les avatars de Catherine McKinnon considérant le sexe comme un viol et les théoriciennes féministes prosexe incitant à jouir sans entraves. Le paradoxe est plein pour moi, je sens autant l’oppression dans le sexe que la liberté, le plaisir que la dévalorisation.  Mais alors, comment faire pour s’envoyer en l’air sans avoir l’impression que je vis un vilain syndrome de Stockholm avec mon /mes partenaire(s) ?

Une activité récente m’a fait mieux appréhender ce paradoxe :   poser nue dans les écoles d’art. L’expérience implique de se sentir à l’aise avec sa nudité, y compris lorsqu’on est déprimée, réglée ou qu’on a des boutons sur les fesses. Pourtant il se passe une chose merveilleuse dans ces cas là : absolument rien. Mieux,  je me sens bien plus à l’aise dans ce contexte qu’avec une jupe un peu courte dans une rue de Paris.

Alors vous me direz peut-être qu’il s’agit de nudité et pas de sexe. Oui, soit, mais il me semble qu’il est bien difficile dans un contexte non artistique de dissocier un corps nu de la copulation. Et c’est bien cela qui me semble tragique. Être nue dans une classe d’art ne comporte aucun risque. Montrer une partie de ses seins dans un lieu public fait craindre l’agression sexuelle.

Dans une classe de dessin, on compare mon corps à des rythmes, des architectures, on incite à le voir comme des lignes abstraites dans le plus grand des calmes. Dans un espace public, si on compare mon corps à une symphonie de Schubert, j’aurais l’impression qu’on me demandera juste après d’ôter ma culotte. Pourquoi le cortège des normes sexistes et son appropriation du corps de la femme n’est pas invité dans les cours d’art ?

Ce qui est fantastique pour moi, ce n’est pas d’évacuer totalement le sexe de la nudité. Il y a de la volupté érotique à me laisser regarder, mais aussi toute autre chose : la douleur à gérer, la respiration à tenir, les formes que mon corps doit trouver, une dimension méditative dans laquelle se lover. La volupté n’est pas toute seule et elle ne ressemble en rien à un coït. L’art n’est pas une chose pure et lavée du péché, le sexe n’est pas cet ossement à déterrer comme on retirait le mal en brûlant les sorcières. Le sexe ne serait ni ce territoire de jeu à réexplorer comme le défendent les théoriciennes prosexe ni un territoire de guerre comme le décrit McKinnon, mais la nécessité de faire travailler son regard, de ne plus voir les corps, les frôlements, les caresses, les pénétrations avec notre regard patriarcal. « Pour bien dessiner, il faut stresser le regard », m’a dit récemment un prof de dessin. Est-ce que pour bien faire l’amour, il ne faudrait pas faire la même chose ? Contraindre son corps à voir autre chose que la domination, l’objectivation, mais la volupté, les contrastes, les sensations et les émotions de façon la moins codée, la plus abstraite possible.

Alors voilà, il est possible que poser m’ait fait toucher de doigt ce qu’est l’érotisme. Pas du « beau » sexe ni du sexe qui ne serait « pas vulgaire ». Ce genre de description m’a toujours fait prendre l’érotisme pour une façon d’affirmer la supériorité de sa classe. Non, l’érotisme serait du sexe qui serait mélangé à autre chose : de l’intime, de l’introspection, de l’art, des théories. Il serait du sexe qui se pratiquerait avec des concepts, le sol, des regards, sa propre peau. La domination ne meurt pas dans l’érotisme évidemment, mais peut être peut-on y jouer d’autres rôles que ceux de la brute et de la prostituée, celui peut être d’une femme féministe, se levant chaque jour avec à l’idée de conquérir plus de puissance d’agir. Pour cela, il faut dés-érotiser le sexe et ré-érotiser le monde.

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